Intervention de Alima Boumediene-Thiery

Réunion du 23 novembre 2004 à 10h00
Création de la haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité — Discussion d'un projet de loi

Photo de Alima Boumediene-ThieryAlima Boumediene-Thiery :

...si la HALDE était placée auprès d'un ministre ou structurée comme une émanation de la puissance publique, elle n'aurait pas l'indépendance nécessaire à l'égard de cette administration publique.

De ce point de vue, le fait que les membres de la Haute autorité soient désignés par de hautes personnalités ne nous semble pas adéquat.

La majorité d'entre eux devraient, selon nous, être élus par les assemblées, dans le respect du pluralisme politique.

Quant à son président, il devrait être élu par ses pairs, ce qui établirait, bien mieux que dans l'actuel projet de loi, la légitimité et l'indépendance de la HALDE.

Sans prétendre vouloir redessiner tous les contours précis de la HALDE et redéfinir sa composition, nous estimons qu'elle devrait être une autorité collégiale plutôt qu'une autorité incarnée par une personne unique.

Il convient de mettre en place une autorité de plein exercice, et non pas un simple médiateur qui risquerait d'avoir un rôle symbolique. Ses membres devraient être choisis en raison de leur compétence et de leur expérience, et être issus de la société civile.

Cette légitimité « par en haut » doit être complétée par une légitimité « par en bas », oserions-nous dire, qui permette effectivement à toute victime de saisir la HALDE.

Cette saisine est prévue par l'article 3. Cependant, il nous semble indispensable que les organisations de lutte contre les discriminations et les parlementaires soient autorisés à saisir la Haute autorité, ce que ne prévoit pas le projet de loi.

Enfin, il est essentiel que la Haute autorité puisse demander des explications à toute personne physique ou morale, publique ou privée, et pas seulement « à toute personne privée », et exiger des réponses à ses interpellations, faute de quoi elle perdrait une bonne part de sa légitimité et de son efficacité.

Le recours au droit et à la justice, protecteur pour les personnes fragilisées, doit être utilisé à chaque fois qu'il est possible. Malheureusement, il est loin d'être à lui seul suffisant pour constituer un cadre unique de lutte contre les discriminations.

Il n'en reste pas moins que, même si elles arrivent devant les tribunaux, les discriminations aboutissent très rarement à des condamnations en justice. L'arsenal juridique est difficile à actionner pour les victimes, déjà fragilisées par la discrimination, voire terrorisées par certaines pressions.

Il nous semble donc extrêmement positif que le projet de loi reprenne une idée-force de la directive européenne concernant la « charge de la preuve » pour une victime de discrimination, ce qui est souvent difficile à établir, en affirmant que la victime devra simplement établir les faits, à charge pour la partie adverse de prouver que ces faits ne sont pas le fruit d'une discrimination.

Parce qu'il s'agit de créer non pas une autorité « centralisée », mais une autorité capable de répondre au plus près des préoccupations de nos concitoyens - car, chacun le sait, c'est au plus près que s'exercent le plus violemment les préventions de toutes natures -, la HALDE doit disposer de relais au niveau territorial. Au minimum, son implantation régionale est essentielle.

On pourrait imaginer mettre en place des délégués locaux, ou départementaux, selon les besoins, pour lutter concrètement contre les discriminations.

Puisque le projet de loi prévoit que la HALDE disposera de services et pourra recruter des agents contractuels, compte tenu des missions qui vont être dévolues à ces agents, plusieurs choses paraissent nécessaires, l'autorité devant pouvoir s'appuyer sur des délégations régionales.

Compte tenu de leurs missions, ces agents devront être assermentés et, pour nombre d'entre eux, être des fonctionnaires détachés des différents corps d'inspections.

Par ailleurs, nonobstant les compétences propres de ces différents corps d'inspection, la HALDE devra avoir la capacité de recourir, en tant que de besoin, à la compétence de ces inspections.

Ces délégués locaux contribueraient à accueillir, à écouter et à donner des informations aux victimes, puis à les orienter vers les conseils juridiques existants.

Toutefois, ils devraient aussi jouer un rôle majeur et ne pas se limiter à un rôle d'information. Ils devraient animer et coordonner le réseau local des acteurs de la lutte contre les discriminations.

Ils devraient également avoir une fonction d'assistance aux personnes, un pouvoir d'investigation pour permettre une meilleure instruction liée à des enquêtes locales, pour, enfin, transmettre à l'autorité nationale toutes les situations dont ils auraient connaissance.

Un rapport annuel rendra compte de l'ensemble des saisines et de leurs résultats ; il comportera des recommandations. Il serait bon que ce rapport soit rendu public.

Quant aux procédures, elles devront être claires et transparentes.

Or, alors que le projet de loi prévoit que les agents de la HALDE seront susceptibles de faire des mises en demeure, aucune procédure n'est prévue quant aux suites de celles-ci, en particulier sur deux points essentiels : le débat contradictoire et les suites administratives éventuelles en cas de non-respect de la mise en demeure.

Les seules suites envisagées le sont en termes de saisine judiciaire, ce qui n'était d'ailleurs pas nécessaire puisqu'elles sont, de toute façon, rendues obligatoires, si le cas le justifie, par l'article 40 du code de procédure pénale.

De plus, il n'est pas prévu que la victime, ou la personne mise en cause, pourra se faire accompagner d'un conseil ou se faire représenter.

Les agents de la HALDE doivent-ils être en mesure d'effectuer des investigations sur place sans l'accord préalable des intéressés éventuellement mis en cause ? Il serait alors nécessaire d'encadrer ces investigations.

J'en viens aux moyens prévus par le projet de loi de finances pour 2005.

Il me semblait que toute volonté politique devait se traduire par la mise en oeuvre de moyens. Alors que nous n'avons pas encore entamé le débat, nous apprenons que le budget affecté à la Haute autorité a été réduit à 9 millions d'euros par les députés...

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion