Monsieur le président, madame et monsieur les ministres, mes chers collègues, Mme Bariza Khiari a, au nom du groupe socialiste, déjà dit l'essentiel sur le sujet dont nous discutons.
Je voudrais, quant à moi, élargir le débat, car nous sommes dans une société malade : le rejet de l'autre devient monnaie courante, les actes racistes et antisémites se répandent, les violences faites aux femmes s'aggravent, l'homophobie a pignon sur rue.
Il ne faut pas déconnecter ce problème du débat sur la lutte contre les discriminations.
Certes, le rejet de l'autre est aussi vieux que l'humanité, mais quand il vient à nous empêcher de vivre ensemble, quand il mine la cohésion sociale, c'est que quelque chose va très mal.
Si nous sommes tous là - tous, ou presque - pour rappeler que l'exclusion de l'autre ne correspond pas aux valeurs de la République et doit être condamnée, dans les faits, cependant, les politiques publiques, les choix économiques, sociaux, sociétaux, renforcent chaque jour le « chacun pour soi », tandis que la concurrence entre les individus et les groupes reproduit les inégalités sociales et territoriales et empêche la mobilité sociale, qui donne espoir à chacun de sortir de sa condition s'il le souhaite et s'il entreprend les efforts nécessaires.
L'égalité, qui est le fondement de notre République, n'est pas une réalité pour les millions de femmes et d'hommes, et c'est bien l'égalité des droits et l'égalité sociale qu'il faut conquérir le plus complètement possible.
Si nous légiférons, aujourd'hui, pour mettre en place cette Haute autorité, c'est bien parce que ce principe d'égalité, présent dans notre Constitution, ne s'impose pas à tous. Si nous voulons apprendre à nos enfants le respect de l'autre, leur apprendre qu'il n'y a pas de races, qu'une femme est l'égale de l'homme, les institutions - toutes les institutions -, les responsables - tous les responsables -, l'Etat, son administration, jusqu'à l'échelon le plus bas, proche des citoyens, les collectivités territoriales, les bailleurs sociaux et les chefs d'entreprise doivent montrer l'exemple.
Quand une société maintient, dans ses rapports sociaux, les facteurs de discrimination, elle peut difficilement faire la leçon à ses citoyens. A ce titre, les actes que nous sommes amenés à accomplir en tant que responsables constituent l'essentiel de la pédagogie.
Lorsqu'un enseignant s'aperçoit que, dans sa classe, les élèves s'insultent en stigmatisant la couleur de la peau ou la nationalité, en se traitant de « sale juif », de « sale arabe », de « sale noir », et que ces insultes deviennent quotidiennes, il doit donner un cours d'éducation civique pour expliquer que les valeurs de solidarité, de tolérance et d'égalité forment le socle de la République. Mais si ces mêmes élèves constatent que tous ne sont pas égaux dans les banlieues, dans les territoires les plus pauvres, dans les emplois les plus sûrs, que leur parcours est tracé dès l'école et qu'ils ne pourront s'en sortir, il sera difficile de les convaincre que la société fonctionne sur ces valeurs qui s'imposent à eux. Nos actes et nos politiques ont donc une valeur d'exemple essentielle. C'est pour cela que la question de la lutte contre les discriminations est fondamentale.
L'objectif est bien l'égalité. Sans elle, la liberté peut devenir le chacun pour soi, se traduire par un renforcement des intérêts individuels ou des intérêts de groupe qui minent notre cohésion sociale.
Certains débats sont pervers. On peut considérer, et certains le disent, que la liberté pour une jeune fille aujourd'hui, c'est de porter le voile à l'école. Or il n'y a pas si longtemps, la liberté, c'était de l'enlever ! Parce que l'égalité est à la base du « vivre ensemble », elle est fondamentale aujourd'hui, ici comme ailleurs.
Bien entendu, la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité est un plus et personne ne peut s'opposer à sa création. Toutefois, il faut éviter que, telle une bonne conscience, elle ne nous exonère de tout faire pour empêcher l'extension des discriminations, du rejet, de l'exclusion dans notre société. Il faut un investissement massif pour favoriser la mobilité sociale, faire en sorte que chacun sache qu'il pourra s'en sortir quel que soit son quartier, ou devenir professeur même s'il est fils d'ouvrier. Tant qu'une politique volontariste n'imposera pas cela dans la société, la lutte contre les discriminations et les hautes autorités ne seront qu'un pansement. Bien sûr, si le reste fait défaut, le pansement demeure nécessaire, mais il faut tout de même que ce pansement soit judicieusement appliqué.
Or la Haute autorité n'a pas été créée en concertation avec le monde associatif qui, au quotidien, dans nos quartiers, lutte contre les discriminations, alerte, combat, réfléchit sur ces questions bien avant que les politiques n'aient pris le problème à bras-le-corps. C'est dommage, car une telle concertation aurait fait jaillir des réalités peu connues qui auraient permis d'enrichir ce texte. Il n'a pas été constitué avec la société civile, il n'a pas été pensé comme cela et la forme de la Haute autorité s'en ressent : les nominations des membres de son collège viennent d'en haut, sa représentativité est contestable, son pluralisme inexistant. Voilà qui handicapera certainement son action.
Pour toutes ces raisons, notre groupe s'abstiendra lors du vote sur ce projet de loi. Pour autant, il ne s'abstiendra pas quand la question des discriminations sera posée, à l'occasion de débats parlementaires sur l'éducation, la cohésion, l'accès à la culture, l'accès à l'emploi, le logement. C'est là que nos politiques de lutte contre les discriminations auront le plus de force pour réduire les inégalités.