Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, comme je l'ai indiqué en ouvrant la discussion générale, ce projet de loi, qui s'appuie fortement sur le travail de la commission présidée par M. Stasi, que j'ai le plaisir de saluer ici et aux côtés duquel j'ai travaillé pendant plusieurs mois lors des travaux de la commission sur la laïcité, est perfectible.
Cependant, quels que soient les arguments que j'ai entendus de tous côtés, je note un consensus sur la nécessité de créer la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité afin de compléter le travail des associations en matière de prévention des discriminations et aider la justice à dégager des preuves de telles discriminations. Comme l'a souhaité M. Seillier, nous devons démasquer les discriminations aujourd'hui invisibles dans notre pays.
Je veux, en préambule, rassurer Mme Boumediene-Thiery et M. Assouline : il s'agit non pas d'une transposition a minima des directives européennes, mais du projet ambitieux qu'a annoncé le Président de la République en 2002. Ce projet comprend non seulement la création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité - Mme Boumediene-Thiery a insisté sur ce dernier terme -, mais également l'accueil des étrangers en France, avec l'Agence nationale de l'accueil et des migrations, et le contrat d'accueil et d'intégration prévu par la loi de programmation pour la cohésion sociale, que vous avez votée récemment, ou encore les chartes de la diversité des entreprises.
Après le principe de laïcité, nous confortons le principe d'égalité en France.
S'agissant de la Haute autorité elle-même et de sa composition, je vous répondrai très précisément.
Sur la place de cette instance d'abord, je veux indiquer au rapporteur, M. Lecerf, que la Haute autorité devra établir des liens étroits avec d'autres autorités, tels le Défenseur des enfants, la Commission d'accès aux documents administratifs, la CADA, la CNIL ou le Médiateur de la République. La création de la Haute autorité est aujourd'hui nécessaire parce que, nous le voyons bien, le dispositif présente une lacune. En France, les discriminations ne sont pas sanctionnées ou le sont très rarement, chacun d'entre vous l'a souligné, M. de Montesquiou en particulier.
Par ailleurs, le Gouvernement examinera dans les meilleurs délais la saisine directe du Médiateur de la République.
Concernant la désignation des membres du collège de la Haute autorité ensuite, pour répondre à Mmes Dini et Assassi, il nous est apparu qu'il fallait donner dès l'origine une forte légitimité à la Haute autorité. C'est pourquoi nous avons retenu une composition conforme à notre tradition, ce qui n'a jamais mis en cause l'indépendance des membres ainsi désignés, je pense notamment au Conseil constitutionnel.
S'agissant du mode de saisine, le Gouvernement est naturellement ouvert aux amendements de la commission, comme à ceux de la majorité, mais aussi à ceux de l'opposition qui, j'ai cru le comprendre, vont dans le même sens pour un grand nombre d'entre eux.
Madame Dini, il y aura bien, je l'ai dit dans mon discours introductif, des délégations territoriales de la Haute autorité. Mais cette disposition est sans doute de nature réglementaire. En revanche, il ne pourra s'agir des commissions pour l'égalité des chances, c'est-à-dire les anciennes CODAC, car elles sont un organe de l'Etat. Les délégations territoriales devront, comme la Haute autorité, être indépendantes.
En outre, pour rassurer surtout Mmes Boumediene-Thiery et Assassi, le groupement d'intérêt public GELD sera supprimé afin de ne pas faire double emploi avec la Haute autorité. Son personnel et son budget seront repris par la Haute autorité. S'agissant du budget, j'ai noté l'intérêt de chacun des groupes pour doter la Haute autorité de moyens suffisants. Aujourd'hui, madame Boumediene-Thiery, le budget a été rétabli par l'Assemblée nationale et s'élève à 10, 7 millions d'euros. De même, monsieur Türk, je fournirai au Sénat, dans le cadre de la discussion budgétaire, le plan de montée en puissance tant en personnel qu'en moyens financiers.
Enfin, le Gouvernement partage l'avis exprimé par M. Cambon sur la gratuité du dispositif d'accueil téléphonique. Avec 98 % d'appels fantaisistes, le 114 est aujourd'hui ingérable. Néanmoins, un accueil téléphonique et d'orientation est nécessaire à un coût modique.
J'en viens aux missions de la Haute autorité.
Je note tout d'abord un consensus sur le champ de compétences et les missions, comme l'a indiqué M. le rapporteur.
Madame Khiari, concernant la directive européenne, la France n'est pas la dernière à transposer, puisque l'Allemagne, l'Espagne, le Portugal et peut-être d'autres pays encore n'ont pas transcrit en totalité les directives 2000/43, 2000/78 et 2002/73.
Plus sérieusement, je veux répondre sur l'inefficacité de l'empilement de nos dispositifs actuels. En effet, je partage ce point de vue, c'est pourquoi nous avons repris l'exemple du centre pour l'égalité des chances belge qui fonctionne efficacement depuis onze ans avec le ministère de la justice. Il n'y a aucune raison pour que ce dispositif ne soit pas transposable en France, qui a une organisation juridictionnelle comparable.
M. Lecerf comme Mme Assassi ont évoqué les statistiques. Comme le prévoit l'article 14 du présent projet de loi, la HALDE « conduit et coordonne des travaux d'études et de recherches relevant de sa compétence ». Dans ce cadre, il paraît en effet souhaitable qu'elle engage non seulement en liaison avec la CNIL et les institutions chargées de la statistique publique, mais aussi avec le concours d'experts nationaux et internationaux, une réflexion approfondie sur ce que M. le rapporteur a nommé « l'invisibilité statistique des discriminations ».
J'évoquerai maintenant les amendements tendant à réprimer l'homophobie et le sexisme. J'ai noté vos interrogations sur les amendements déposés hier soir par le Gouvernement. Ils tiennent compte des différents avis et observations qui ont été formulés sur le projet de loi initial.
Sont prises en considération les remarques formulées par les églises, notamment l'église catholique, qui s'inquiétaient de voir tomber sous le coup de la loi pénale, par exemple, des propos défavorables au mariage des homosexuels, qui auraient pu alors être considérés comme constitutifs du délit de provocation à la discrimination. Cette inquiétude était également exprimée par les organes de presse au nom de la liberté d'expression.
En liant, conformément à l'avis du Conseil d'Etat en date du 21 juin 2004, cette incrimination nouvelle aux discriminations pénalement réprimées prévues par le code pénal, le projet de loi actuel répond à cette inquiétude.
Il atteint donc un double objectif : d'une part, il permet la répression des provocations à la discrimination, à la haine ou à la violence homophobe ou sexiste, soulignant ainsi l'idée d'une protection accrue de victimes particulièrement exposées ; d'autre part, il n'interdit pas le débat, la manifestation d'opinion, en limitant le champ de la répression aux provocations à la discrimination pénalement réprimées, à savoir l'emploi, le logement et les services.
Il prend en compte les observations formulées par les mouvements féministes, qui souhaitaient que les diffamations et injures sexistes soient réprimées au même niveau que les diffamations et injures homophobes. Les dispositions relatives aux unes et aux autres sont totalement alignées.
Le projet de loi prend également en compte les observations des médias, qui faisaient valoir qu'une prescription d'un an en matière de délit de la loi de 1881 portant sur des faits de provocations, de diffamations ou d'injures déséquilibrait le système pénal au détriment de la liberté de la presse.
En ramenant la prescription à trois mois, le texte actuel calque la prescription de ces délits sur le droit commun des infractions en matière de presse. Cette modification du projet de loi prend en compte les observations du Conseil d'Etat ainsi que celles de la Commission nationale consultative des droits de l'homme.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons un but : permettre à la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité d'accompagner effectivement les victimes qui, le plus souvent dépourvues de moyens juridiques et financiers, luttent à armes inégales.
Je suis donc persuadée que nos travaux vont concourir à conforter le principe d'égalité dans notre pays. Je veux remercier dès à présent la commission des lois et son rapporteur, M. Lecerf, pour le travail remarquable d'ores et déjà accompli. Je remercie également les orateurs pour leur contribution de ce matin.