Intervention de François Fillon

Réunion du 22 septembre 2008 à 17h00
Prolongation de l'intervention des forces armées en afghanistan — Débat et vote sur une demande d'autorisation du gouvernement

François Fillon, Premier ministre :

Le taux de mortalité infantile a baissé de plus de 25 %. Le nombre de centres médicaux a été accru de 60 %. Plus de 20 % de la population a désormais accès à l’eau potable contre 4 % en 1990. En 2004, 70 % des électeurs afghans ont voté lors des élections présidentielles. Le Parlement afghan compte près de 30 % de femmes.

Le Gouvernement croit à l’action engagée. Mais il est parfaitement conscient des difficultés rencontrées, lesquelles sont diverses.

Ces difficultés tiennent d’abord au fait que, après avoir chassé la dictature talibane, les forces alliées ont concentré leurs efforts sur Kaboul et ses environs. Les zones les plus lointaines n’ont pas fait l’objet de la même attention. Seules les opérations « coup de poing » de l’opération « Liberté immuable » contre les talibans et les réseaux terroristes s’y sont déployées.

Ce n’est qu’à partir de 2006, voilà donc fort peu de temps, que la FIAS, la Force internationale d’assistance à la sécurité, s’est engagée à sécuriser l’ensemble du territoire. Aujourd’hui, ce sont vers ces zones que nos efforts sont tendus et, par là même, les occasions d’affrontement s’amplifient.

En outre, la présence de jihadistes internationalistes s’est accrue. L’approche strictement militaire, avec ses drames collatéraux, a trouvé ses limites, chaque erreur pouvant faire basculer la population afghane dans la désolation, quand ce n’est dans la défiance ou l’hostilité.

Enfin, l’aide à la reconstruction n’est pas assez rapide et coordonnée, et la corruption et le trafic de drogue continuent de gangrener de larges pans de la société afghane.

Mesdames, messieurs les sénateurs, tout cela, la France le pressentait, et ne s’y résout pas.

Voilà pourquoi, sous l’impulsion du Président de la République, notre pays est à l’origine de la rénovation de la stratégie internationale entérinée lors du sommet de l’OTAN à Bucarest, en avril 2008. Cette stratégie rompt avec la vision quantitative et d’abord militaire qui prévalait jusqu’alors.

Voilà aussi pourquoi notre pays s’est impliqué à fond dans la conférence de Paris sur la reconstruction de l’Afghanistan, le 12 juin dernier.

Pour construire la paix, il faut en toutes circonstances rappeler l’objectif central : donner au peuple afghan le pouvoir d’assurer par lui-même et pour lui-même sa sécurité, sa prospérité et sa souveraineté.

Pour atteindre cet objectif, il faut d’abord et avant tout gagner la confiance des Afghans.

Des expériences locales nous encouragent dans cette voie et nous montrent que l’échec n’est pas une fatalité.

Le redressement de la situation dans la plaine de Shamali que nos soldats parcourent depuis 2003 en est une démonstration. Cette plaine, qui compte 400 000 habitants, connaît une véritable renaissance.

Dans la plaine de Shamali, les champs sont en culture, les écoles fonctionnent, les lignes électriques ont été rétablies, les échanges commerciaux reprennent.

Tout cela, c’est le fruit d’une démarche déterminée où l’équilibre est constamment recherché entre les actions offensives et les actions de reconstruction, entre le retour de la sécurité et l’amélioration des conditions de vie.

La paix se gagne par la confiance. Et cette confiance exige une approche globale. C’est précisément ce que le Président de la République a fait acter lors du sommet de Bucarest et lors de la conférence de Paris.

Mesdames, messieurs les sénateurs, notre stratégie, c’est d’abord celle de l’afghanisation. Plus vite les Afghans seront en mesure de stabiliser leur pays et de prendre leur destin en main, plus vite nous nous retirerons. L’armée afghane compte aujourd'hui un peu moins de 60 000 hommes. Plus de 300 de nos soldats participent activement à sa formation.

Nous nous sommes fixé un objectif, celui d’équiper une armée de 80 000 hommes d’ici à 2010 et, à terme, une armée de 130 000 hommes.

Le transfert de la responsabilité de Kaboul aux autorités militaires afghanes est en cours depuis le 28 août dernier ; celui de la région Centre est prévu pour avril 2009.

Notre stratégie, c’est ensuite celle de la reconstruction rapide de l’Afghanistan.

À Paris, 20 milliards de dollars ont été recueillis et une feuille de route pour les trois ans à venir a été fixée. Mais tout cet argent n’a de sens que s’il n’est pas dispersé. Il n’a d’efficacité que s’il s’inscrit dans le cadre d’une véritable politique afghane rationalisée, hiérarchisée et évaluée. Enfin, il n’a de véritable utilité que s’il s’articule avec les opérations de sécurisation.

La coordination civile et militaire était insuffisante. Nous avons demandé et obtenu qu’elle soit placée sous l’égide de l’ONU, sous l’autorité d’un nouveau représentant, le Norvégien Kai Eide.

Le gouvernement du président Karzaï a présenté sa stratégie nationale de développement. Les autorités afghanes doivent intensifier leurs efforts en faveur des réformes, du respect des droits de l’homme, de la lutte contre la corruption et contre la drogue.

Le 17 septembre dernier, devant l’une des commissions de l’Assemblée nationale, Antonio Maria Costa, directeur de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime, a indiqué que, en 2008, pour la première fois, la superficie cultivée comme la production de drogue avaient diminué.

Ce combat contre la drogue est très difficile. Bien sûr, il est souvent mal vécu par les populations locales. Il exige de la fermeté et il suppose le développement de cultures alternatives qui doivent être rentables pour les paysans.

Notre stratégie, c’est aussi celle de la démocratie et de la réconciliation de l’Afghanistan.

La démocratie n’est pas le privilège des seules nations développées ! C’est aussi une arme contre ceux qui misent sur la servitude et sur le mutisme du peuple afghan.

Les électeurs ont été huit millions lors des élections présidentielles de 2004, et cinq millions pour les élections législatives de 2005.

L’élection présidentielle et l’élection des conseils provinciaux se tiendront à l’automne 2009. Les élections législatives et celles des conseils de district, quant à elles, auront lieu à l’été 2010. Chacun mesure combien la réussite de ces consultations constitue un rendez-vous décisif pour l’Afghanistan. C’est justement ce rendez-vous que nous devons protéger et accompagner jusqu’à son terme.

Pour garantir le succès de la mise en œuvre de la démocratie en Afghanistan, il faut aller vers une réconciliation nationale. Les autorités afghanes doivent créer les conditions d’un dialogue politique avec tous ceux qui sont susceptibles de respecter les institutions et de déposer les armes.

Pour notre part, nous devons réfléchir à la nature même de l’insurrection à laquelle nous sommes confrontés. L’adversaire qui est en face de nous ne constitue pas un bloc unifié. Nous devons explorer la manière de séparer les jihadistes internationalistes de ceux qui inscrivent davantage leur action dans des logiques nationales ou tribales.

Sécurisation, afghanisation, reconstruction, démocratisation et réconciliation : c’est cette approche globale que nous défendons dans toutes les instances politiques et militaires, devant l’Organisation des Nations unies, au Conseil de l’Atlantique Nord, au sein de l’état-major de la FIAS.

Cette approche réclame une très grande maîtrise dans les opérations militaires. Les armées de la coalition doivent impérativement veiller à faire un usage proportionné de la force.

Nos soldats ne peuvent parvenir à nouer une relation de confiance avec une population qui continuerait à être meurtrie par des actions offensives insuffisamment ciblées. Une bombe ne doit pas créer plus d’ennemis qu’elle n’en supprime en frappant sans discernement. §Nos soldats sont particulièrement sensibilisés à cet impératif.

Concernant l’engagement de ses propres forces, la France exerce un contrôle national permanent extrêmement strict sur l’action de son contingent. Ainsi, nos pilotes ont pour instruction de ne tirer que sur des cibles identifiées à 100 %.

Cette vigilance que nous nous imposons, il importe – je le dis solennellement – que nos alliés, tous nos alliés, en fassent preuve également.

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