Intervention de Josselin de Rohan

Réunion du 22 septembre 2008 à 17h00
Prolongation de l'intervention des forces armées en afghanistan — Débat et vote sur une demande d'autorisation du gouvernement

Photo de Josselin de RohanJosselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères :

Autant il est sûr que nous ne sommes pas juridiquement en guerre contre un État, autant il est évident que l’opération d’assistance à la sécurité à laquelle nous participons emploie les moyens de la guerre pour atteindre ses objectifs au service du peuple afghan et de son gouvernement. Ce faisant, nous défendons très directement dans ce pays lointain la sécurité de nos concitoyens.

Il n’échappe en effet à personne que les attentats perpétrés ou déjoués en Europe, au Maghreb ou en Mauritanie, notre voisinage proche, ont été le fruit de l’action d’une internationale terroriste qui a clairement déclaré la guerre à nos sociétés démocratiques et à leurs valeurs. Cette internationale s’appuie sur des moyens financiers très importants et recourt à des méthodes de propagande contre lesquelles il faut lutter plus efficacement. Elle n’hésite pas à utiliser les méthodes les plus barbares pour affirmer sa domination.

La seconde question que pose notre action militaire tient à la « caveatisation » de la guerre : cette évolution mérite une réflexion approfondie avec nos alliés, de manière à s’assurer que toutes les forces qui composent la FIAS puissent être utilisées dans les mêmes conditions au service de sa mission.

Il me paraît particulièrement important d’affirmer et de faire appliquer le droit des conflits armés dans le conflit afghan, notamment le principe de proportionnalité. Ce point est particulièrement délicat et important pour déterminer la qualité et le niveau de notre engagement dans ce pays.

L’action de la coalition en Afghanistan est clairement ordonnée autour de la reconstruction et de la sécurisation de ce pays, au profit d’un peuple qui a été suffisamment éprouvé durant les trente dernières années. Les dommages collatéraux imputés à l’ensemble des forces de la coalition, de plus en plus souvent sans distinction entre les deux opérations menées sur le terrain, doivent impérativement être limités. Là encore, l’« afghanisation » de la guerre, c’est-à-dire la montée en première ligne de l’armée nationale afghane, doit permettre d’identifier les actions de pacification du territoire comme des actions de politique intérieure dont l’aboutissement est souhaité par une très grande majorité de la population qui aspire à la paix, à la sécurité et au mieux-être. La paix ne se gagnera pas parles armes mais dans les cœurs.

L’intervention militaire ne se suffit pas à elle-même. Elle est indispensable à la sécurisation, mais c’est par la reconstruction et le développement que nous acquerrons la paix. Lors de la conférence de Paris, notre diplomatie a joué un rôle très positif, que je veux saluer, pour obtenir les moyens financiers nécessaires à ces actions. Je voudrais aussi rendre hommage aux ONG qui, sur le terrain, agissent avec beaucoup de courage dans un environnement de plus en plus difficile : elles contribuent activement au maintien de la paix.

Il s’agit là d’un enjeu fondamental. L’action de la communauté internationale, pourtant considérable, a eu trop peu de répercussions concrètes pour la population. En termes d’infrastructures, d’accès à l’eau, d’irrigation, de cultures alternatives à la production de pavot, d’électrification – pour ne citer que ces secteurs –, les progrès accomplis ont été notoirement insuffisants, pour des raisons que chacun connaît, en particulier l’existence d’une corruption endémique.

La population afghane, dont les conditions de vie ne s’améliorent pas au rythme qu’elle souhaiterait, pourrait se retourner progressivement contre l’intervention extérieure, avec le risque que cette dernière soit perçue comme une force d’occupation. Le terrorisme taliban, dans sa composante intérieure comme dans sa composante internationaliste, joue sur ce thème. Pour autant, il serait injuste de passer sous silence les remarquables résultats obtenus depuis sept ans dans les domaines de la santé, de l’éducation et des infrastructures, qui ont permis d’arracher la population, singulièrement les femmes, à l’obscurantisme et à l’arriération imposés par les talibans.

Nous devons également faire porter notre effort –comme cela a été décidé au sommet de Bucarest – vers les pays limitrophes de l’Afghanistan, en tout premier lieu vers le Pakistan, dont les zones tribales pachtounes, qui se situent de part et d’autre de la ligne Durand, constituent un foyer majeur d’insécurité. L’action internationale doit porter en priorité sur la stabilisation et le renforcement du Pakistan, afin que cet État soit en mesure d’imposer son autorité sur ces zones.

Pour ce faire, et compte tenu de la crainte obsidionale pakistanaise, les puissances occidentales doivent œuvrer au rapprochement entre les deux puissances nucléaires que sont l’Inde et le Pakistan. La résolution du conflit du Cachemire pourrait convaincre le Pakistan de faire porter ses efforts sur sa sécurité intérieure et de lutter avec efficacité contre l’insurrection des talibans grâce à une coopération étroite avec les autorités afghanes. De ce point de vue, les contacts récents entre les deux présidents Karzaï et Zardari sont très positifs.

Le Pakistan peut également lutter, avec la communauté internationale, contre le développement de la culture du pavot et le trafic de drogue, combat qui doit aussi impliquer l’Iran et les États d’Asie centrale voisins de l’Afghanistan. Cela étant, notre effort devrait porter, d’une part, sur la répression de la demande, qui concerne directement nos sociétés occidentales, et, d’autre part, sur le contrôle de tous les marchés –transformation, achat, transport – et l’élimination des laboratoires de transformation du pavot en héroïne.

À défaut de progrès dans ces deux domaines, le conflit afghan risque de s’éterniser et l’opinion publique pourrait refuser son soutien à une action qui lui paraîtrait sans issue. Il est toutefois de notre devoir de souligner qu’elle prendra du temps : c’est assez dire que le débat d’aujourd’hui ne sera sans doute pas le dernier.

La conclusion du rapport que nous ont présenté nos collègues Robert del Picchia et Jean-Louis Carrère à la suite du déplacement qu’ils ont effectué en Afghanistan auprès de nos forces armées du 26 avril au 2 mai derniers était la suivante : « Les causes géopolitiques et stratégiques qui ont conduit à l’engagement international en Afghanistan demeurent. Dans ce contexte, l’échec n’est pas une option. »

Certains – ils sont très rares –, au lendemain des événements tragiques du 18 août dernier, ont réclamé le retrait immédiat des troupes françaises d’Afghanistan. D’autres y songent, sans oser le dire. Il eût été contraire à nos engagements à l’égard de nos alliés et du peuple afghan d’opérer ce retrait. Si nous avions eu cette tentation, il eût alors fallu nous souvenir des propos de Winston Churchill au lendemain de Munich : « Vous avez voulu acheter la paix au prix du déshonneur ; vous avez le déshonneur et vous aurez la guerre. »

Nos soldats ne sont pas tombés en vain. Ils sont morts pour la défense de nos idéaux de justice, de liberté et de démocratie. Tel est le sens du combat que mènent nos troupes et celles de nos alliés. Telle est la raison pour laquelle nous soutenons votre politique.

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