Intervention de Jean François-Poncet

Réunion du 22 septembre 2008 à 17h00
Prolongation de l'intervention des forces armées en afghanistan — Débat et vote sur une demande d'autorisation du gouvernement

Photo de Jean François-PoncetJean François-Poncet :

Aussi la stratégie mise en œuvre comporte-t-elle, depuis le premier jour, un important volet économique.

Une guerre anti-insurrectionnelle ne se gagne qu’avec le soutien de la population. Or celle-ci, après trente ans de troubles sanglants, connaît une immense misère. Les ONG, financées par l’ONU, ne sont pas les seules à y faire un admirable travail. Depuis plusieurs années, nous tendons à l’oublier, les gouvernements ont mis en place des équipes régionales de reconstruction, qui s’efforcent de rétablir, région par région, des conditions de vie normale. Cet effort, bien entendu, doit être développé.

Cela étant, des résultats importants ont d’ores et déjà été obtenus ; vous l’avez-vous-même rappelé, monsieur le Premier ministre, en donnant des précisions à ce sujet. Je n’y reviens donc pas. Il reste, à l’évidence, énormément à faire. C’est vrai, notamment, en matière de justice, de police, et peut-être surtout, en matière de lutte contre la corruption, qui est endémique à tous les niveaux du pouvoir.

Il est bien évident aussi que la reconstruction économique est difficile et probablement impossible dans les régions qui n’ont pas été pacifiées. Pour développer, il faut d’abord sécuriser.

Il reste à aborder le volet politique de notre stratégie. Les talibans ne constituent pas un bloc homogène. Il y a des extrémistes, endoctrinés au Pakistan. Il y a des éléments étrangers – arabes, ouzbeks, européens –, encadrés par Al-Qaïda : nombre d’entre eux ont été formés en Irak, d’où ils refluent. Toutefois, parmi les membres des tribus pachtounes du sud et de l’est de l’Afghanistan, nombreux sont ceux qui combattent les troupes étrangères par simple nationalisme. C’est avec eux qu’un dialogue peut et doit être noué. Ce dialogue, l’Occident doit l’encourager, mais c’est au président Karzaï, pachtoun lui-même, qu’il incombe de persuader ces éléments que l’intérêt du pays est de se débarrasser d’Al-Qaïda et de ses alliés, dont les objectifs n’ont rien à voir avec l’indépendance et la prospérité de l’Afghanistan.

Mes chers collègues, notre propre objectif mérite, lui aussi, d’être clairement défini. Il ne s’agit pas, en effet, de remporter une victoire, comme si nous étions confrontés à une guerre conventionnelle. Il s’agit, la France s’y emploie d’ailleurs depuis le début, de former et d’équiper les forces de sécurité afghanes et de les préparer à assumer elles-mêmes la responsabilité de pacifier le pays.

Sans doute auront-elles encore longtemps besoin d’un soutien occidental, mais, plus le passage de témoin interviendra rapidement, mieux cela vaudra. Le Président de la République vient d’annoncer que le processus était déjà engagé dans le district de Kaboul – vous nous l’avez confirmé, monsieur le Premier ministre – et qu’il serait poursuivi dans la région centre de l’Afghanistan, dont la France assure le commandement pendant un an.

J’en viens, pour terminer, à nos alliés américains.

Un débat sur l’ensemble de la stratégie occidentale devra être ouvert avec eux aussitôt après l’installation de la nouvelle administration. Il ne pourra pas s’agir seulement de débattre des effectifs à engager, de leur commandement ou de la reconstruction économique et politique du pays. Le problème crucial de l’avenir du Pakistan et de la situation dans les zones tribales du nord-ouest de ce pays devra être clairement posé. Les talibans y règnent en maîtres et alimentent en armes et en combattants les insurgés afghans. Cette situation doit, d’une façon ou d’une autre, cesser.

Le problème de la drogue devra lui aussi être débattu. La culture du pavot entretient une corruption qui gangrène l’État, même si certains progrès, comme vous nous l’avez rappelé, monsieur le ministre, ont été accomplis. C’est de la drogue que les talibans tirent leurs ressources. C’est elle qui soutient une hiérarchie de seigneurs de la guerre défiant l’autorité du président Karzaï.

Mes chers collègues, ne sous-estimons pas la détermination et l’esprit politique des Américains. Nul n’a désormais plus d’expérience qu’eux de la lutte contre une insurrection, dont les attentats suicides et les explosifs dissimulés au bord des routes, sont les armes favorites. Ils ont réussi, ce qui n’avait rien d’évident, à détacher d’Al-Qaïda les tribus sunnites irakiennes.

Certes, la partie est loin d’être gagnée en Irak, mais les résultats obtenus après, il est vrai, cinq années de sanglants combats et plus de 4 000 soldats tués sont significatifs.

L’Amérique est un partenaire désormais aguerri. Pour autant, il est essentiel que l’Europe, en raison de l’importance de son effort militaire et financier, soit, dans tous les domaines, traitée en partenaire égal.

Mes chers collègues, l’Afghanistan n’est pas le seul théâtre de lutte contre le terrorisme international. Mais il constitue, avec la création d’un État palestinien et l’arrêt du programme nucléaire iranien, un défi qu’il est fondamental de relever si nous voulons éviter que le choc des civilisations ne devienne un jour une réalité.

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