Intervention de Catherine Morin-Desailly

Réunion du 9 mai 2006 à 21h30
Droit d'auteur et droits voisins dans la société de l'information — Article 7, amendement 18

Photo de Catherine Morin-DesaillyCatherine Morin-Desailly :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous l'avons bien compris, avec cet article, nous entrons vraiment dans le vif de la directive et nous abordons un enjeu de société essentiel du présent projet de loi.

En effet, l'article 7 intègre dans notre droit interne les mesures techniques de protection proposées dans la directive comme étant légitimes pour répondre au téléchargement illégal. Il concerne aussi, à la suite des modifications apportées par l'Assemblée nationale, l'interopérabilité.

L'interopérabilité constitue, selon nous, la contrepartie indispensable de la protection juridique des MTP.

En effet, on ne peut comprendre la notion d'interopérabilité que si l'on a également à l'esprit les risques que représente la généralisation de ce que l'on appelle les Digital Rights Management, ou DRM, c'est-à-dire, en français, les « mesures techniques de protection », ou MTP, suivant une traduction qui n'est pas parfaite, ainsi que cela a été souligné à de nombreuses reprises.

Pour ma part, je vois quatre dangers majeurs à la généralisation des mesures techniques de protection.

Le premier d'entre eux réside dans le fait que la généralisation des mesures techniques de protection peut menacer le droit des consommateurs. En effet, relisons la définition minimale de l'interopérabilité est la suivante : il s'agit de pouvoir jouir d'une oeuvre légalement acquise, en la rendant lisible sur tous les supports.

Or je pense pouvoir dire à cet égard que nous sommes tous d'accord pour estimer normal qu'une oeuvre acquise licitement puisse être lue sur n'importe quel support ou n'importe quel logiciel. Cela garantit l'exception pour copie privée remise en cause par les « verrous numériques » que sont les MTP, et qui empêchent l'utilisateur de faire une copie, alors qu'il a payé la redevance pour copie privée en achetant un support vierge. Il faut donc assurer la compatibilité entre tous les systèmes en limitant les procédés anticopie.

Le deuxième danger concerne les mesures techniques de protection qui remettent également en cause les libertés publiques et individuelles, puisque le respect de la vie privée peut être menacé par les dispositifs techniques destinés à contrôler à distance certaines fonctionnalités des ordinateurs personnels, dispositifs qui sont susceptibles de donner ainsi accès aux données personnelles de l'utilisateur.

Les exemples foisonnent de fabricants ayant installé des logiciels espions à l'insu des utilisateurs pour contrôler leur ordinateur. Il n'y a là rien moins qu'une atteinte à la vie privée causée par le caractère intrusif des mesures techniques.

En outre - c'est le troisième danger -, les MTP menacent le développement des logiciels libres et pourraient ainsi porter préjudice, comme l'ont souligné plusieurs de mes collègues, aux petites entreprises innovantes, c'est-à-dire à tout un secteur de la recherche et de l'innovation, autrement dit à la compétitivité industrielle française et européenne.

Je n'aurais garde d'oublier un quatrième danger, je veux parler des risques de monopole industriel qui se profilent derrière les mesures techniques de protection. Notre collègue Yann Gaillard a d'ailleurs évoqué les pressions dont nous avons pu faire l'objet de la part de grandes firmes américaines. Nous savons pertinemment comment agissent Apple et Microsoft dans ce domaine, en empêchant de rendre leurs systèmes interopérables et en obligeant au paiement de licences.

Enfin, il est un argument qui milite en faveur de l'interopérabilité, à savoir les intérêts stratégiques de la France en matière de recherche, de compétitivité, de sûreté nationale, ainsi que l'ont bien compris nos collègues députés en adoptant l'article 7 bis.

Dès lors, les mesures techniques de protection peuvent être considérées comme des obstacles à la recherche industrielle sur des logiciels en ce qu'elles prévoient des sanctions à l'encontre de ceux qui travaillent sur ces logiciels.

Pour tous ces motifs, nous pensons, comme d'autres, qu'il revient au législateur de fixer des règles générales concernant l'interopérabilité, et que celles-ci doivent apparaître noir sur blanc dans la loi, plutôt que de laisser à l'autorité de régulation des mesures techniques de protection le soin de décider des modalités d'existence de l'interopérabilité.

Telle est la raison fondamentale de notre scepticisme, mais nous aurons l'occasion d'évoquer à nouveau, lors de l'examen de l'amendement n° 18, les missions de l'autorité de régulation dont la mise en place a été suggérée par la commission des affaires culturelles.

Quoi qu'il en soit, nous regrettons, chacun l'aura compris, que la commission revienne sur les dispositions prises en faveur de l'interopérabilité qui, pour nous, constituent, je le répète, une avancée considérable, ce qu'a d'ailleurs également reconnu M. le ministre. Pour ma part, je ne citerai pas le Herald Tribune, mais je sais que, dans les colonnes du Monde, monsieur le ministre, vous avez récemment déclaré souhaiter « briser l'emprise de la technologie iTunes développée par Apple sur le téléchargement de la musique », précisant bien qu'il ne s'agissait pas là d'une vengeance ou d'une mesure de protection à l'encontre d'une société étrangère.

Nos six sous-amendements à l'amendement n° 17 rectifié de la commission des affaires culturelles viseront donc à rétablir les dispositions adoptées à l'unanimité par l'Assemblée nationale, avec l'avis favorable du Gouvernement, dispositions qui garantissent pleinement, selon nous, l'interopérabilité en plaçant la France en pointe dans ce domaine, mais aussi et surtout en la mettant sur la bonne voie pour répondre aux enjeux énormes que mes collègues avant moi ont mentionnés, qu'il s'agisse des enjeux culturels et économiques, bien sûr, mais aussi sociétaux, et ce à l'échelle de la planète.

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