Intervention de Michel Mercier

Réunion du 17 mai 2011 à 14h30
Participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et jugement des mineurs — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Michel Mercier, garde des sceaux :

Je sais que certaines interrogations pratiques ont été exprimées : la première a trait aux moyens accompagnant la réforme et la seconde concerne l’allongement des procédures que pourrait entraîner la présence des citoyens assesseurs.

Sur le premier point, nous évaluons le nombre d’affaires au jugement desquelles participeront les citoyens à environ 40 000 par an. Comme je m’y suis engagé, cette réforme sera donc accompagnée du recrutement de 155 magistrats et de 108 greffiers. Deux concours de recrutements exceptionnels sont d’ailleurs prévus dès cette année pour les magistrats et les greffiers.

Sur le second point, il est évident que la procédure sera allongée et il serait absurde de le nier. Mais, naturellement, cet allongement est le prix à payer pour la démocratisation de la justice !

À cet égard, je suis pleinement favorable à l’amendement présenté par M. François Zocchetto, qui a été adopté par votre commission des lois et vise à réduire d’un mois à huit jours le délai de présentation devant le tribunal correctionnel dans le cadre de la procédure de comparution immédiate. Cette modification permet d’établir un équilibre entre la nécessité de conserver des modes rapides de poursuites pour ces délits et celle d’éviter l’accroissement des cas de détention provisoire.

D’une manière générale, il nous faut, je crois, adopter une démarche pragmatique sur ce dispositif nouveau ; c’est bien pourquoi nous avons retenu le principe d’une mise en œuvre progressive de la loi, comme le permet l’article 37-1 de la Constitution.

Cette phase d’expérimentation, qui débutera dès le 1er janvier 2012 dans deux cours d’appel, pour s’étendre à un tiers du territoire l’année suivante, au début de 2013, nous permettra, avant l’entrée en vigueur définitive du texte, prévue au 1er janvier 2014, d’évaluer avec une plus grande précision les répercussions de cette réforme, notamment sur l’organisation des audiences.

Enfin, je veux insister sur le fait que la participation des citoyens assesseurs supposera, à n’en pas douter, un effort de pédagogie de la part des magistrats, qui prendra sans doute du temps, mais qui concourra à la meilleure compréhension des décisions de justice.

Comme je l’ai dit, la procédure sera adaptée à cette fin, avec, notamment, un exposé oral de l’affaire par le président pour permettre, dès le début de l’examen du dossier, à tous les assesseurs de disposer d’une connaissance complète de l’affaire.

Le deuxième point du projet de loi est relatif à l’amélioration du fonctionnement des assises. En la matière, le Gouvernement a fait un pas vers la commission des lois, qui, elle-même, en avait fait un vers le Gouvernement, en acceptant que les jurés soient présents au sein des formations correctionnelles statuant en premier ressort.

La première innovation consiste à simplifier la procédure devant la cour d’assises. Nous proposons cette simplification pour permettre, en réduisant les délais de jugement des affaires criminelles, de lutter contre la pratique de la correctionnalisation.

Dans notre pays, les cours d’assises traitent chaque année environ 2 400 affaires, plus 200 affaires en appel. Or, dans leur très grande majorité, les crimes sont déclassés en délits et jugés par les tribunaux correctionnels.

Outre cette correctionnalisation, l’appréciation est différente selon les départements. En effet, lorsqu’il y a beaucoup d’affaires criminelles à juger, les correctionnalisations sont nombreuses. Au contraire, lorsqu’il y a peu d’affaires criminelles, la cour d’assises, qui siège tous les trois mois, comme la loi le prévoit, parvient à épuiser pratiquement toutes les affaires criminelles inscrites au rôle.

Il en résulte une inégalité de nos concitoyens devant la loi pénale sur des points particulièrement importants, notamment le viol. Ainsi, les faits constitutifs d’un viol peuvent être disqualifiés en agression sexuelle, qui est un délit et non plus un crime, et sont donc jugés par le tribunal correctionnel au lieu de la cour d’assise.

Pour lutter contre la correctionnalisation, nous souhaitions rendre plus efficace et plus rapide la procédure devant la cour d’assises. Gouvernement et commission des lois sont tombés d’accord pour privilégier une modification du nombre de jurés, sans distinguer selon les catégories de crimes : en première instance, trois magistrats professionnels siégeront avec six jurés et, en appel, trois magistrats professionnels avec neuf jurés. Malgré cette réduction du nombre de jurés, nous restons fidèles à la règle selon laquelle la décision de condamner peut être prise par les seuls jurés non-magistrats, les chiffres le montrent.

Une autre proposition du Gouvernement adoptée par votre commission des lois permettra également un gain de temps et apportera, surtout, de la clarté aux débats : il s’agit du remplacement de la lecture, souvent fastidieuse, de l’arrêt de renvoi, par un rapport oral du président en début d’audience. Associées, ces mesures permettront de limiter les correctionnalisations.

La seconde innovation concernant l’amélioration du fonctionnement des assises est l’obligation, pour les cours d’assises, de motiver leurs décisions.

Dans sa décision du 1er avril dernier, le Conseil constitutionnel a considéré que notre procédure d’assises, qui ne prévoit que la réponse à une série de questions, était conforme à la Constitution. Nous n’étions dès lors aucunement contraints de légiférer sur ce point.

Cependant, il nous apparaît utile de permettre à toutes les parties de connaître le raisonnement qui a conduit la cour d’assises à condamner ou à acquitter, tout en respectant, bien sûr, le secret du délibéré et l’intime conviction, fondements du système du jury d’assises. Les parties pourront ainsi prendre la décision d’un éventuel appel en toute connaissance de cause. Le président de la cour d’assises rédigera donc une note qui synthétisera les débats.

Enfin, dans son troisième et dernier volet, le projet de loi modifie l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante.

Les réflexions sur la justice pénale des mineurs ont conduit le Gouvernement à solliciter en 2008 le recteur Varinard, pour animer une commission qui a formulé de nombreuses propositions susceptibles d’améliorer son fonctionnement. Ces travaux se sont poursuivis avec un projet de refonte complète de l’ordonnance du 2 février 1945, modifiée trente-quatre fois depuis son adoption. Il s’agissait de proposer un véritable code de justice pénale des mineurs.

Toutefois, ce code, dont l’élaboration est quasiment achevée sur le plan technique, ne peut se concevoir qu’en adéquation avec la réforme plus globale de la procédure pénale que le terme très proche de la législature en cours ne permet pas d’envisager.

Il est cependant apparu nécessaire au Gouvernement de procéder dès à présent à plusieurs modifications de l’ordonnance du 2 février 1945 pour renforcer la qualité de la réponse pénale, par exemple avec la création du dossier unique de personnalité. Il s’agit également de rendre la justice des mineurs plus rapide – le délai moyen entre la commission de faits par un mineur et le jugement par le tribunal pour enfants est actuellement supérieur à dix-huit mois – et de l’adapter à une délinquance plus violente qui est le fait de mineurs de plus en plus jeunes.

Le projet de loi respecte pleinement les principes de la justice des mineurs consacrés par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 29 août 2002, à savoir la priorité donnée aux mesures éducatives, la spécialisation des structures, les procédures protectrices – telles que les prévoit aussi la Convention internationale des droits de l’enfant signée par la France – et, enfin, l’excuse de minorité.

Pour une meilleure prise de conscience des faits commis par les mineurs, et donc pour prévenir les risques de récidive, le projet de loi donne au parquet la possibilité de convoquer directement le mineur devant le tribunal pour enfants, par voie de convocation par officier de police judiciaire.

Tirant les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel du 11 mars dernier sur la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, ou LOPPSI 2, nous avons assorti cette convocation de toutes les garanties requises. Le projet de loi prévoit donc, pour recourir à cette procédure, un seuil d’âge minimal, un niveau de gravité des faits, un délai maximal de deux mois pour la tenue de l’audience et, enfin, la mise à disposition du tribunal d’éléments récents de personnalité.

Sur ce dernier point, votre commission des lois a estimé que la saisine du tribunal pour enfants par convocation par officier de police judiciaire ou par la procédure de présentation immédiate, qui exige une complète information du tribunal sur la personnalité du mineur poursuivi, ne saurait être possible si ces informations provenaient du seul recueil de renseignements socio-éducatifs.

Cependant, il peut être utile de prévoir que les investigations sur la personnalité puissent résulter de ce recueil, dès lors que ces investigations auront été suffisantes. Il faut également que les circonstances de la poursuite, en l’espèce une succession d’infractions commises par le mineur, le justifient.

Je vous proposerai donc, par voie d’amendement, de revenir sur ce point, en précisant que seul un mineur qui fait l’objet ou a déjà fait l’objet d’une ou de plusieurs procédures pourra être poursuivi au moyen d’une convocation par officier de police judiciaire. En effet, l’objectif n’est pas de permettre l’utilisation de cette convocation à l’égard des mineurs qui ne sont pas déjà connus de la justice, mais de la réserver aux mineurs qui ont déjà fait l’objet, par exemple, d’une composition pénale ou d’une convocation devant le juge des enfants.

Pour autant, il n’est pas possible d’attendre que ces procédures aient abouti à une condamnation définitive, ni qu’elles aient déjà permis des investigations approfondies ; une telle exigence interdirait la convocation par officier de police judiciaire à l’égard des mineurs qui multiplient la commission d’infractions dans un court laps de temps. Or cette situation est fréquente chez des mineurs qui, à une période de leur adolescence, multiplient les délits.

Le projet de loi contient deux autres modifications majeures destinées à mieux répondre aux évolutions de la délinquance et à lutter contre la récidive

Les possibilités de placement en centre éducatif fermé sont élargies : le projet de loi prévoit ainsi d’abaisser de sept ans à cinq ans le seuil de la peine encourue qui autorise le placement en centre éducatif fermé. Ces centres ont démontré leur efficacité, notamment s’agissant de la lutte contre la récidive. Ainsi, plus des deux tiers des mineurs, souvent difficiles, qui en sortent ne récidivent pas l’année suivante. Cette prise en charge pluridisciplinaire, très renforcée, mérite donc d’être étendue à des mineurs, même primo-délinquants, qui commettent des faits graves.

Pour mieux répondre à la problématique de la récidive, le projet de loi crée, par ailleurs, un tribunal correctionnel pour mineurs qui jugera les mineurs délinquants en état de récidive de plus de seize ans, dès lors qu’ils encourent une peine supérieure à trois ans d’emprisonnement. À la progressivité de la sanction doit correspondre la même progression dans les formations de jugement compétentes pour connaître des délits commis par les mineurs.

Ainsi, cette nouvelle juridiction apportera une réponse mieux adaptée, du fait de sa plus grande solennité et de sa charge symbolique. Elle pourra prononcer des sanctions éducatives si elle le juge suffisant. La commission des lois du Sénat a, en outre, souhaité qu’elle soit présidée par le juge des enfants – puisqu’un un juge des enfants siégera obligatoirement dans ce tribunal – pour préserver la spécificité de la justice des mineurs. La procédure suivie sera bien celle du tribunal pour enfants et non celle des juridictions pénales de droit commun.

Par ailleurs, le projet de loi comporte un dispositif visant à mieux prendre en compte la personnalité du mineur délinquant : il s’agit de la création du dossier unique de personnalité qui répond à une demande forte des professionnels, tant éducatifs que judiciaires. Il rassemblera l’ensemble des éléments relatifs à la personnalité d’un mineur, recueillis soit à l’occasion d’une procédure pénale, soit à l’occasion d’assistance éducative.

Ce dossier unique de personnalité assurera une connaissance plus approfondie du mineur délinquant, pour un meilleur suivi et une meilleure cohérence des décisions le concernant. Il répondra aux règles fixées par la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, ses conditions de conservation et d’archivage étant définies par voie réglementaire, après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. N’ayant vocation à être utilisé que pour les procédures suivies devant les juridictions pour mineurs, il ne sera conservé après la majorité que pour permettre le jugement de faits commis auparavant ou pour assurer le suivi du mineur, jusqu’à vingt et un ans au maximum, par le juge des enfants dans le cadre de ses fonctions d’application des peines.

Cette mesure synthétise de manière exemplaire l’esprit dans lequel ce projet de loi a été élaboré : pouvoir juger les mineurs délinquants dans les meilleures conditions, notamment grâce à une connaissance plus fine de leur personnalité, tout en respectant l’exigence de célérité qui permet de donner pleinement son sens à la sanction.

Le projet de loi prévoit enfin un renforcement de la responsabilisation des parents, en ouvrant la possibilité de délivrer, comme pour les témoins, un ordre de comparaître, afin de les contraindre à assister à l’audience. Le parent n’est-il pas en effet le témoin essentiel de la personnalité d’un mineur ? Il est important d’impliquer les parents dans la procédure, pour leur faire prendre conscience de l’importance de leur rôle et donner leur pleine portée aux décisions de justice.

Pour conclure, je reviendrai sur l’intérêt d’une participation des citoyens aux décisions de justice pénale. Je ne doute pas en effet que les débats judiciaires qui se tiennent dans les cours d’assises depuis plus de deux siècles correspondent à la description qu’en faisait André Gide dans l’introduction de ses Souvenirs de la cour d’assises. Voici ce qu’il écrivait : « ce qui m’a peut-être le plus frappé au cours de ces séances, c’est la conscience avec laquelle chacun, tant juges qu’avocats et jurés, s’acquittait de ses fonctions. J’ai vraiment admiré, à plus d’une reprise, la présence d’esprit du président et sa connaissance de chaque affaire ; l’urgence de ses interrogatoires ; la fermeté et la modération de l’accusation ; la densité des plaidoiries et l’absence de vaine éloquence ; enfin, l’attention des jurés. »

Par votre vote, j’en suis convaincu, vous aurez à cœur, mesdames, messieurs les sénateurs, de rapprocher encore les citoyens de leur justice. Comme le disait le jeune juré dont le témoignage figure aujourd’hui dans Libération, « dans tous les cas, ça contribuera à notre apprentissage de la citoyenneté ». Tel est bien le but que poursuit le Gouvernement en soumettant ce projet de loi à la Haute Assemblée.

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