Intervention de Anne-Marie Escoffier

Réunion du 17 mai 2011 à 14h30
Participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et jugement des mineurs — Discussion générale

Photo de Anne-Marie EscoffierAnne-Marie Escoffier :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, mes chers collègues, je m’en tiendrai, dans mon intervention, au projet initial présenté par le Gouvernement, projet initial qui avait pour objectif d'améliorer, de renforcer ou encore d'élargir la participation des citoyens assesseurs ou des citoyens jurés à toutes les instances judiciaires.

Voilà qui procède d’une juste cause dès lors que l'ambition qui la sous-tend respecte les principes d'indépendance et d'impartialité de l'autorité judiciaire énoncés dans notre Constitution.

La participation des jurés au délibéré de la cour d'assises est le garant de ces principes : principe de la légalité, principe de l'application des lois dans le temps, de l'individualisation des peines, principe, encore, de la présomption d'innocence.

Autant de fondements qui expliquent le plébiscite dont font l’objet, depuis bien longtemps, les jurys populaires, qui ajoutent au jugement des techniciens du droit leur intime conviction.

Pourquoi, alors, le texte du projet initial rompt-il ce délicat équilibre sous prétexte d'impliquer davantage le citoyen dans la prise d'une décision de justice rendue au nom du peuple, si ce n'est pour répondre à une autre ambition, celle qui nous est proposée dans ce projet de loi, c'est-à-dire le durcissement de nos procédures pénales ?

Je n'en veux pour preuve que l'omission bien malencontreuse dans le projet présenté par le Gouvernement du principe de présomption d'innocence. Dans votre conclusion sur les objectifs de la loi, n'écrivez-vous pas que ce texte « prévoit la motivation des arrêts d'assises, qui permettra aux personnes condamnées de connaître les principales raisons pour lesquelles la cour d'assises a été convaincue de leur culpabilité » ?

Qu'en est-il des arrêts d'acquittement ? Notre droit et notre justice ne peuvent laisser subsister un doute sur le respect de ce principe, déjà largement ébranlé par l'introduction du « plaider coupable », par le renforcement du rôle du parquet, dont la qualité d'autorité judiciaire est pourtant contestée par la Cour européenne des droits de l’homme au motif que celui-ci n'est pas indépendant et autonome de l'exécutif, ou encore par les projets de suppression du magistrat instructeur.

Sous prétexte d'améliorer le fonctionnement des cours d'assises et de remédier à la multiplication des cas de correctionnalisation des infractions, vous proposez de remplacer les actuels neufs jurés de cour d'assises par deux assesseurs à l'instance des crimes punis d'une peine maximale de quinze ou de vingt ans, à l'image du dispositif fixé s'agissant de la procédure correctionnelle.

Vous instituez ainsi, implicitement, une correctionnalisation légale des primo-crimes ou, inversement, une criminalisation des délits. De fait, le tribunal correctionnel et la cour d'assises avec deux assesseurs citoyens et trois magistrats ne se distingueront plus que par leur nom. Les infractions, qu'elles soient qualifiées de délit ou de crime, seront toutes poursuivies, introduites et renvoyées selon la même procédure et sur le fondement des mêmes règles d'audiencement devant des instances différenciées par leur seul nom. Notre cour d'assises, dès lors, en sa formation traditionnelle actuelle, deviendra exceptionnelle et réservée aux crimes en récidive, à la faculté des parties de s'opposer à la formation « assesseurs » et aux crimes les plus odieux qui font encourir plus de vingt ans de réclusion criminelle.

En proposant pareil dispositif, le Gouvernement introduit une nouvelle hiérarchie, celle de l'auteur et non plus celle de l'infraction. Jusqu'à présent, il s'agissait de distinguer les crimes des délits et de protéger le principe du procès équitable : même juridiction pour même qualification.

Aujourd'hui, la différenciation vient de la qualité de l'auteur : le récidiviste ne sera pas traité comme le primo-délinquant ; cette circonstance jusqu’à présent aggravante devient un élément constitutif de l'infraction qui justifierait à lui seul non pas une sanction plus sévère, mais une juridiction particulière et exceptionnelle.

Le petit criminel aura droit à la cour citoyenne, le grand criminel à la cour d'assises ; le petit criminel sera traité comme le prévenu.

Au total, on assistera à un renforcement de la répression et à une aggravation des peines non pas encourues, mais prononcées, chacun sachant bien la plus grande sévérité des peines prononcées par les magistrats correctionnels par rapport à la relative clémence des cours d'assises.

Au-delà de ce changement d'orientation voulu, je voudrais soulever le problème des moyens matériels et budgétaires nécessaires à l'application de cette réforme.

Par le jeu des dispositions visées aux futurs articles 181–1, 240–1 et 237–1 du code de procédure pénale, articles relatifs aux assesseurs de cour d'assises et destinés à réduire, dites-vous, de moitié les délais de détention, vous écartez, comme d'un revers de main, les difficultés administratives, matérielles et financières qui vont affecter dans leur fondement les missions et les charges de nos magistrats.

Raisonnablement, l'impact positif de la réforme sur les délais de comparution de la personne poursuivie est peu probable. En revanche, bien probable est le cortège des difficultés à venir : les désistements de dernière heure des assesseurs, le temps nécessaire pour les familiariser avec une matière difficile à appréhender par le plus grand nombre, le coût des indemnisations.

Mais, surtout, il est à craindre que ce projet n’ait des incidences sur le délai des comparutions, voire sur les comparutions immédiates elles-mêmes. Compte tenu de l'impossibilité de réunir le tribunal le jour même, le prévenu sera présenté devant le seul juge des libertés et de la détention ou devant le tribunal composé alors des seuls magistrats.

Dans l'hypothèse d'une détention provisoire, le délai de placement ne devrait pas excéder un mois, délai au-delà duquel le prévenu serait remis en liberté.

Dès lors, en matière criminelle, alors que le Gouvernement dit vouloir réduire à six mois le temps de détention provisoire, qu'en sera-t-il vraiment ? Doit-on craindre ou se réjouir de voir remis en liberté un accusé au terme des six mois ? Doit-on craindre ou se réjouir de voir cet accusé renvoyé devant une cour d'assises composée des seuls magistrats ? Est-ce là le progrès que l'on est en droit d'attendre d'une réforme « réfléchie et pensée » ?

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