Intervention de Nicole Borvo Cohen-Seat

Réunion du 17 mai 2011 à 14h30
Participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et jugement des mineurs — Discussion générale

Photo de Nicole Borvo Cohen-SeatNicole Borvo Cohen-Seat :

Or, monsieur le garde des sceaux, la compétence du « tribunal correctionnel citoyen », telle que vous la préconisez, concerne largement les actes de violences aux personnes. Le rapporteur reconnaît que l’on cible de fait « une catégorie de délinquants qui, le plus souvent, se recrutent au sein d’une frange particulièrement démunie de la population ». Il ajoute que : « d’autres formes de délinquance moins sociologiquement “marquées” continueront de relever des […] magistrats professionnels ».

Vous avez vraiment du mal à cacher le contenu de classe de votre projet. Au fond, pour vous, les juges auraient besoin de la pression populaire pour sanctionner les vols et les agressions. En revanche, les jurés ne seraient pas capables d’avoir un avis – ou peut-être seraient-ils trop sévères ? – s’agissant des délits économiques et financiers, par exemple, pour lesquels, curieusement, depuis quelques années, on voit au contraire des tentatives de dépénalisation ou de réduction de la prescription.

Monsieur le garde des sceaux, il se pose ensuite une question incontournable, celle de l’applicabilité d’une réforme sur laquelle tous les professionnels s’accordent.

Les dispositions proposées induisent une modification en profondeur du fonctionnement des tribunaux correctionnels. Les jurés tirés au sort ne connaissant rien du dossier, la procédure sera inévitablement plus orale demain qu’elle ne l’est aujourd’hui, ce qui modifiera la pratique et la durée des audiences, comme l’a souligné le précédent orateur.

Vous prévoyez un doublement du nombre des audiences, mais ce sera beaucoup plus selon les professionnels. Or, non seulement les moyens seront insuffisants pour faire face à la multiplication du nombre des audiences, mais vous négligez en outre d’autres paramètres. Il en est ainsi des surfaces nécessaires pour la tenue des audiences, alors que, notamment avec la réforme de la carte judiciaire, les surfaces pouvant être affectées aux audiences ont plutôt tendance à diminuer. Mais peut-être les tribunaux siégeront-ils dehors ?

Encore une fois, la question, centrale, des moyens réels dont dispose la justice n’est pas au cœur du présent projet de loi, tant s’en faut.

Soyons clairs : ce texte contribue à la défiance, entretenue par le Président de la République, à l’encontre des juges. D’où, dans votre projet, la participation des jurés tirés au sort aux décisions de libération conditionnelle. Étrangement d’ailleurs, vous évincez, au second degré, les représentants d’association.

Dans ce domaine, les décisions demandent une professionnalité importante : sur la prévention, la réinsertion, les conditions de l’une ou l’autre... Quel sera le sens de l’intervention de jurés tirés au sort dans la prise de décision ? Disons-le clairement, vous jouez l’opinion publique, sans cesse sollicitée sur les faits divers, contre les magistrats.

Monsieur le garde des sceaux, si vous aviez recherché, comme vous l’affirmez, un rapprochement des citoyens de la justice, vous vous y seriez pris autrement.

D’abord, une concertation aurait dû être menée sur une participation plus durable des citoyens dans une instance judiciaire – ce que l’on appelle l’échevinage, pratique à laquelle nous sommes, pour notre part, favorables – ainsi que sur la proportion entre professionnels et citoyens et vous auriez aussi prévu que ces derniers puissent être éventuellement récusés. Or, ce n’est absolument pas ce que vous faites. Nous ne pouvons que refuser ce projet. Nous défendrons des amendements lors de l’examen des articles.

J’en viens à la réforme que vous voulez introduire dans la justice des mineurs.

Précisons que cette réforme n’était pas prévue à l’origine. Il est éminemment critiquable d’amorcer ainsi, en urgence, une déstructuration grave de la spécificité de la justice des mineurs instaurée par l’ordonnance de 1945.

Je considère pour ma part qu’il est au contraire nécessaire de refonder, dans des dispositifs législatifs cohérents, les principes de la justice des mineurs, qui sont déjà souvent écornés. Pourtant, depuis 1945, ces principes ont souvent été confirmés dans les engagements internationaux de la France, notamment dans la Convention internationale des droits de l’enfant ou dans les Règles de Pékin.

Ce qui ressort de ces principes, c’est précisément la distinction entre un mineur et un majeur, d’où la prévalence de l’aspect éducatif, la spécificité des procédures mais aussi des juridictions.

Votre logique, comme celle de vos prédécesseurs, est totalement inverse. §Le Président de la République déclarait le 10 février à la télévision : « un délinquant de 17 ans, 1, 85 m, que l’on amène devant le tribunal pour enfants, ce n’est pas adapté […] Un mineur d’aujourd’hui n’a rien à voir avec ce qu’était un mineur en 1950 ».

Ces propos, nous les entendons en toute occasion. Ils seraient risibles s’ils ne sous-tendaient pas une volonté politique éminemment critiquable. En effet, à chaque époque, les mineurs sont différents, comme le sont les majeurs, les institutions, les dirigeants. Mes chers collègues, nous sommes nous-mêmes très différents des législateurs de 1945.

Monsieur le garde des sceaux, vous soutenez que ce qui a changé depuis 1945, c’est le travail et la famille. Doit-on entendre que, lorsqu’il n’y a plus de travail pour les jeunes et que les familles sont en grande difficulté, il faut pénaliser les mineurs ? Là encore, je vois apparaître le caractère de classe de vos propositions.

D’ailleurs, je note que, selon votre logique, les enfants des classes populaires seraient très rapidement majeurs, alors que ceux des classes aisées pourraient rester mineurs plus longtemps puisqu’ils font des études.

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