Intervention de Nicole Borvo Cohen-Seat

Réunion du 17 mai 2011 à 14h30
Participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et jugement des mineurs — Discussion générale

Photo de Nicole Borvo Cohen-SeatNicole Borvo Cohen-Seat :

L’affichage est toujours le même : tolérance zéro et risque zéro, si tant est que cela soit possible, voire simplement crédible, face au laxisme de la justice des mineurs… Vous prenez des risques !

Selon le rapport, sept mineurs sur dix ne réitèrent pas dans l’année suivant la fin de leur prise en charge. Le taux de réponse pénale est de 93 % pour les mineurs, 87 % pour les majeurs. Les mises en cause ont augmenté, entre 2002 et 2009, de 32 % pour les majeurs et 19 % pour les mineurs. Le laxisme de la justice des mineurs n’est donc pas prouvé.

À partir de votre objectif, vous bouleversez la cohérence de la justice des mineurs. Vous l’avez déjà fait en introduisant notamment une forme de comparution immédiate et les peines planchers pour les récidivistes. Vous avez déjà opéré un clivage entre la jeunesse en danger et la jeunesse délinquante, alors que l’on sait bien qu’il y a un lien direct entre les deux.

Vous confondez volontairement réponse rapide et jugement. Vous mettez donc en œuvre une justice plus expéditive axée sur la seule sanction pénale.

Le tribunal correctionnel pour mineurs, qui statuera dans des délais plus brefs que le tribunal pour enfants, est conçu pour les mineurs récidivistes de seize ans passibles d’une peine de prison de trois ans minimum. Or, le critère de récidive peut être facilement retenu pour des mineurs qui commettent souvent plusieurs délits dans un bref laps de temps. Le tribunal correctionnel pour mineurs concernera donc de nombreux cas. Dans les faits, l’unité de la justice des mineurs sera donc cassée.

Confier la présidence de ce tribunal au juge des enfants, comme le propose M. le rapporteur, ne changera rien, puisque ce dernier disparaît de l’audiencement, qui constitue pourtant un outil de travail avec les mineurs. Il jugera des jeunes qu’il ne connaîtra pas. Pourtant, sa spécificité est de piloter le processus, donc de pouvoir s’intéresser à la personnalité du mineur, de disposer de temps entre le moment où il lui est présenté et le moment où il sera éventuellement déféré devant un tribunal et jugé.

Contrairement à ce que vous voulez faire croire, les professionnels font observer que les mineurs entrés en délinquance préféreraient souvent passer rapidement devant un tribunal plutôt que d’être pris en charge. Précisément, notre responsabilité n’est pas les envoyer faire de petits séjours dans une prison d’où ils risquent fort de sortir plus ancrés dans la délinquance qu’ils ne l’étaient en y entrant. Notre responsabilité, c’est de les prendre en charge sur une longue période.

Le dossier unique de personnalité aurait pu faire l’objet d’un consensus. Mais si vous l’avez placé sous le contrôle du juge des enfants, vous l’avez aussi mis sous l’autorité du procureur ; vous y versez des éléments recueillis lors de procédures d’assistance éducative, donc relatives aux parents, à la fratrie du mineur, ... ce qui aura pour effet de « marquer » celui-ci et par conséquent de le figer dans la fatalité sociale.

La convocation par officier de police judiciaire s’ajoute à la présentation immédiate et à la comparution à bref délai. Elle donne au procureur le pouvoir de décider des suites. La phase d’instruction devant le juge des enfants sera alors supprimée, le mineur ne le rencontrant qu’à l’audience.

Avec ce texte, vous accroissez encore les pouvoirs du procureur au détriment du juge des enfants.

Les mineurs de treize ans pourront être assignés à résidence sous surveillance électronique mobile. Alors que le bracelet électronique est difficile à mettre en œuvre pour les majeurs, croyez-vous vraiment qu’un mineur déscolarisé et en rupture familiale, par exemple, sera en mesure de s’y soumettre de façon qu’il ait une quelconque utilité ? En réalité, vous accélérez la case « enfermement », et vous le faites d’ailleurs avec tous vos dispositifs.

Ainsi, vous banalisez la détention provisoire et le placement en centre éducatif fermé, ou CEF, puisque vous étendez le champ du placement sous contrôle judiciaire des mineurs de treize ans.

Il est à craindre que les centres éducatifs fermés ne deviennent bientôt le passage obligé pour les mineurs délinquants.

Vous avez dit, monsieur le garde des sceaux, qu’il n’était pas question de toucher aux foyers non fermés. Mais vingt foyers éducatifs vont encore être transformés en centre éducatif fermé !

Or le fonctionnement de ceux-ci, l’absence de projet éducatif sur la durée, c’est-à-dire d’un « avant » et d’un « après », ont été critiqués par la Défenseure des enfants, autorité aujourd’hui en suspens, par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté dans son dernier rapport, et par les professionnels.

Vous n’attendez même pas les conclusions du rapport du groupe de travail sur l’évaluation des centres éducatifs fermés et des établissements pénitentiaires pour mineurs, les EPM, dont sont corapporteurs nos collègues Jean-Claude Peyronnet et François Pillet.

Vous préférez stigmatiser les parents, toujours les mêmes, ceux que votre collègue Laurent Wauquiez accuse de fraude au revenu de solidarité active, le RSA, et de préférence pour l’assistanat : avec de tels propos destinés à être relayés dans l’opinion publique, quelle image auront d’eux leurs enfants, que ceux-ci soient ou non des délinquants ?

La meilleure façon de les impliquer dans le procès judiciaire est-elle de les amener au tribunal entre deux policiers ou gendarmes ? Est-ce là la « nouvelle économie de la sanction parentale » que prône notre collègue Jean-Marie Bockel dans le rapport que le Président de la République lui a demandé de rédiger ?

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