Intervention de Jean-René Lecerf

Réunion du 17 mai 2011 à 14h30
Participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et jugement des mineurs — Exception d'irrecevabilité

Photo de Jean-René LecerfJean-René Lecerf, rapporteur :

… pour les raisons qui ont été exposées tout à l’heure : bien imprudent qui penserait pouvoir déterminer lesquels, des magistrats ou des citoyens assesseurs, seront les plus sévères. Cela variera certainement en fonction des situations. En tout cas, aux assises, les jurés semblent plutôt faire preuve d’une plus grande indulgence que les magistrats.

Par ailleurs, la stigmatisation de tel ou tel juge de l’application des peines dans des affaires de libération conditionnelle ayant débouché sur une récidive tout à fait horrible et inacceptable m’a semblé injuste. Je suis convaincu que lorsque des citoyens assesseurs seront présents auprès de ces magistrats, on n’entendra plus les mêmes critiques. En outre, le citoyen assesseur étant à mon sens tout à fait capable de comprendre l’utilité de la libération conditionnelle, son intervention ne limitera pas le recours à cette mesure.

Vous avez également prétendu, monsieur Mézard, que cette réforme trouverait son origine dans la seule imagination du Gouvernement et que nul ne l’aurait prônée auparavant. Or de grandes organisations représentatives des magistrats, notamment le Syndicat de la magistrature, appelaient depuis longtemps de leurs vœux une participation des citoyens dans les tribunaux correctionnels, souhait que partagent bon nombre de nos collègues parlementaires, quelle que soit leur sensibilité politique. En particulier, M. André Vallini s’est déclaré plutôt favorable à une association plus large des citoyens à l’expression de la justice pénale.

Je m’attarderai un peu plus longuement sur les arguments d’inconstitutionnalité qui ont été évoqués, une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité ayant fondamentalement pour objet de mettre en cause la conformité d’un texte à la Constitution.

S’agissant de la question des garanties d’indépendance présentées par les non-professionnels appelés à siéger dans des juridictions répressives, que notre collègue Jacques Mézard a abordée, j’observe que l’article 1er du projet de loi prévoit un certain nombre de filtres destinés à assurer l’impartialité des citoyens assesseurs.

Ainsi, la commission départementale, qui existe d’ores et déjà et réunit des magistrats, des conseillers généraux et le bâtonnier de l’ordre des avocats, examinera la situation des personnes et pourra procéder ou faire procéder à leur audition avant leur inscription sur la liste annuelle. Avant d’exercer leurs fonctions, les citoyens assesseurs prêteront serment de bien et fidèlement remplir celles-ci. En outre, ils pourront être récusés dans les mêmes conditions que les magistrats. Par ailleurs, le citoyen assesseur qui suppose en sa personne une cause de récusation ou estime en conscience devoir s’abstenir pourra être remplacé. Il me semble donc que le projet de loi prévoit, en la matière, des garanties non négligeables.

De plus, j’attire l’attention sur le fait que les citoyens assesseurs seront minoritaires au sein de la formation de jugement, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel formulée dans sa décision du 20 janvier 2005. Il en va tout à fait autrement pour les cours d’assises, où les jurés peuvent être majoritaires, pour des raisons que j’ai développées au cours de la discussion générale.

S’agissant de la question de l’égalité des citoyens devant la justice, notre collègue fait probablement référence au recours à l’expérimentation prévu par le projet de loi.

Le recours à l’expérimentation en matière de libertés publiques est désormais possible, je le rappelle, depuis la révision constitutionnelle du 28 mars 2003, sur le fondement de l’article 37-1 de la Constitution. Cet article dispose en effet que « la loi et le règlement peuvent comporter, pour un objet et une durée limités – c’est bien le cas ici –, des dispositions à caractère expérimental ».

En outre, il ressort clairement des travaux parlementaires préparatoires que l’intention du constituant était d’autoriser le recours à l’expérimentation dans le domaine des libertés publiques.

Je le concède, le recours à l’expérimentation en matière pénale ne fait pas partie de nos traditions républicaines. Pour autant, notre Constitution l’autorise bel et bien désormais. En l’espèce, cette démarche permettra de mieux évaluer les éventuelles difficultés de mise en œuvre de la réforme avant de procéder à sa généralisation, si le Parlement le souhaite, en 2014. Cela me paraît, de surcroît, aller dans le sens d’une bonne administration de la justice.

J’ajoute enfin qu’en aucun cas il ne sera porté atteinte aux droits essentiels de la défense, en particulier au droit de tout accusé de bénéficier d’un procès juste et équitable.

S’agissant maintenant de la spécificité de la justice des mineurs, il me semble que le projet de loi, tel qu’il a été modifié par la commission des lois, s’inscrit pleinement dans le cadre des principes dégagés par le Conseil constitutionnel.

Ainsi, le tribunal correctionnel des mineurs devra être présidé par un juge des enfants. Les débats auront lieu devant lui selon le principe de publicité restreinte, et les magistrats composant cette juridiction seront invités à prononcer en priorité des mesures éducatives, conformément au principe de primauté de l’éducatif sur le répressif. On retrouve là des dispositions de l’ordonnance de 1945 qui ont été constitutionnalisés par la jurisprudence du Conseil constitutionnel et auxquelles nul ne songe à porter atteinte.

Les procédures rapides de poursuite, notamment la convocation par officier de police judiciaire devant le tribunal pour enfants et la présentation immédiate, ne pourront être mises en œuvre que lorsque des investigations approfondies et récentes auront été réalisées à la demande du juge des enfants, et non au seul vu du recueil de renseignements socio-éducatifs, le RRSE. Sur ce point, la commission des lois a souhaité prendre des précautions supplémentaires, eu égard à la décision du Conseil constitutionnel sur la loi LOPPSI 2.

Le dossier unique de personnalité sera tenu et conservé dans des conditions permettant de garantir la confidentialité des informations qu’il contient et, ainsi, de préserver la vie privée du mineur. Des amendements portant sur l’avenir de ce document ont été déposés ; la commission des lois y est plutôt favorable.

Enfin, les dispositions du projet de loi relatives au contrôle judiciaire s’inscrivent pleinement dans le cadre de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui considère, je le rappelle, que cette mesure est susceptible, dans certains cas, de jouer un rôle dans le relèvement éducatif et moral des intéressés.

Pour l’ensemble de ces raisons, je vous demande, mes chers collègues, au nom de la commission des lois, de rejeter cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

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