Je soutiens la motion qui a été défendue par M. Mézard.
En matière d’égalité devant la justice, il me semble que vous avez écarté un peu vite, monsieur le garde des sceaux, le problème posé non seulement par l’expérimentation, mais aussi par l’existence de cinq formations correctionnelles différentes, qui soulèvera tout de même des difficultés.
En ce qui concerne les dispositions relatives à la justice des mineurs, monsieur le garde des sceaux, si le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 10 mars 2011, évoque en effet, avec la prudence qu’on lui connaît, des juridictions spécialisées et des procédures spécifiques, j’estime pour ma part, à l’instar de notre collègue Jacques Mézard, que votre projet de loi remet en cause les unes et les autres. Cette question devra sans doute être tranchée par le Conseil constitutionnel, à moins que vous n’entendiez dès à présent nos observations. Votre argument selon lequel les deux conditions posées par le Conseil constitutionnel ne sont pas cumulatives n’est pas recevable.
Première condition, les mesures concernant les mineurs doivent être « prononcées par une juridiction spécialisée ». Or la simple présence du juge des enfants dans la composition du tribunal correctionnel des mineurs ne suffit pas à faire de celui-ci une juridiction spécialisée.
La spécialisation du juge des enfants tient en effet à la spécificité de son mode d’intervention. Or cette spécificité n’apparaîtra plus lorsqu’il siégera au sein du tribunal correctionnel des mineurs. D’ailleurs, lorsque des juges des enfants sont conduits, comme cela leur arrive, à siéger au sein de certains tribunaux, ceux-ci ne deviennent pas pour autant des juridictions spécialisées ! En outre, confier au juge des enfants la présidence du tribunal correctionnel des mineurs, comme le propose M. le rapporteur, ne constitue nullement une garantie, dans la mesure où il ne disposera pas d’une voix prépondérante.
Il s’agit plutôt, en l’espèce, d’une neutralisation du juge des enfants, puisque son mode d’intervention ne sera plus celui que prévoit la justice des mineurs, d’autant qu’est proposée la suppression de la procédure de convocation par officier de police judiciaire à comparaître devant le juge des enfants aux fins de jugement. Il ne peut être recouru à cette procédure que dans les hypothèses où il existe, à l’encontre du mineur, des charges suffisantes. Cette solution est choisie par le procureur de la République dans le cas d’affaires simples, destinées à être jugées par le juge des enfants sans que des interrogations supplémentaires soient nécessaires à la recherche de la vérité. Le fait qu’il s’agisse d’une convocation à comparaître devant un juge des enfants est fondamental, car cela signifie que la convocation par officier de police judiciaire ne pourra en aucun cas déboucher sur le prononcé d’une sanction pénale. Or le dispositif proposé prévoit, je le répète, la suppression de cette procédure. En conséquence, ce projet de loi ne satisfait pas à l’exigence de spécialisation de la juridiction compétente pour juger les mineurs.
La seconde condition posée par le Conseil constitutionnel est que les mesures concernant les mineurs devront être prononcées « selon des procédures appropriées ».
L’article 17 du projet de loi tend à inscrire dans l’ordonnance du 2 février 1945 un nouvel article 8-3 autorisant le procureur de la République à faire convoquer par un OPJ un mineur de 13 ans directement devant le tribunal pour enfants. Il est prévu de transposer la même procédure au tribunal correctionnel des mineurs.
Les renseignements de personnalité exigés par la loi pourront se résumer à un simple recueil de renseignements socio-éducatifs, lequel résultera non pas d’une investigation, mais seulement d’une enquête rapide, qui ne permettra pas de prendre des mesures adaptées au parcours et à la personnalité du mineur concerné. La procédure prévue ne revêt donc pas le caractère de spécialisation requis.
Avec d’autres, je considère par conséquent que, du double point de vue de la composition de la formation et de la procédure applicable, le dispositif proposé n’est pas conforme aux exigences posées par le Conseil constitutionnel.