Intervention de Claude Lise

Réunion du 7 décembre 2005 à 10h15
Loi de finances pour 2006 — Outre-mer

Photo de Claude LiseClaude Lise :

Monsieur le ministre, tout à l'heure, lors de ma première intervention dans ce débat, je vous ai déjà adressé mes remerciements pour la part que vous avez prise au deuil qui a frappé la Martinique au mois d'août dernier.

Je souhaite ajouter que nous comptons sur votre appui pour soutenir l'action des élus et des associations de familles de victimes qui se battent afin que toutes les responsabilités de ce drame soient élucidées et que les mesures de sécurité aérienne soient très sérieusement renforcées.

Je veux, par ailleurs, vous dire combien j'apprécie la place que vous avez faite jusqu'ici à la concertation et le soutien que vous avez apporté aux élus ultramarins pour contrecarrer la nouvelle offensive menée contre le régime fiscal spécifique appliqué outre-mer, un régime fiscal qui ne constitue certainement pas une panacée pour combattre le « mal développement » de l'outre-mer, mais que l'on ne peut vouloir supprimer sans en évaluer sérieusement les conséquences : ma collègue de la Réunion l'a très bien dit.

Tout cela me fait d'autant plus regretter, évidemment, que les arbitrages ne vous aient pas été plus favorables pour votre premier budget.

Pour la troisième année consécutive, en effet, les crédits du ministère de l'outre-mer accusent une baisse.

Celle-ci est, en réalité, presque du même ordre que celle de l'année précédente, qui était de 7, 6 %. Il importe, en effet, de comparer les crédits de 2006 et de 2005 en présentation LOLF, mais en prenant soin de le faire à périmètre constant. On constate alors que la baisse atteindrait cette année 11, 8 % si des crédits supplémentaires n'avaient été votés à l'Assemblée nationale, ce qui la porte en définitive à 7 %. C'est le chiffre que nous devons retenir.

Vous comprendrez donc, monsieur le ministre, que l'on puisse sérieusement s'interroger sur les possibilités d'atteindre les objectifs affichés par le Gouvernement et pour lesquels le ministère de l'outre-mer a la responsabilité de jouer un rôle déterminant, notamment en ce qui concerne l'emploi et le logement, surtout lorsque d'expérience on sait devoir compter avec les régulations budgétaires.

Quant au programme « Emploi outre-mer », qui regroupe les contrats aidés et les exonérations de charges sociales, je crains que nous n'ayons crié victoire un peu vite à propos de la suppression de l'article 73 de la loi de finances. Cette suppression aurait, en effet, dû entraîner un abondement des crédits de ce programme de 195 millions d'euros ; il ne l'a été en réalité que de 95 millions d'euros.

Le solde devra donc être financé par des redéploiements, dont 85 millions d'euros à l'intérieur même du programme « Emploi outre-mer ».

En clair, on va devoir faire un choix entre les exonérations de charges sociales et les emplois aidés, ce qui sera, d'une manière ou d'une autre, préjudiciable à l'emploi. Or, sur ce plan, la situation se dégrade de nouveau après la relative amélioration relevée depuis 1999.

À la Martinique, par exemple, le nombre de suppressions d'emplois a crû de 11 % cette année, alors même que le nombre d'offres d'emplois a baissé. Dans le seul secteur de la banane, on compte plus de 1 000 licenciements depuis janvier 2004.

Dans ces conditions, le programme « Emploi outre-mer » aurait dû être bien mieux doté. Certains dispositifs, mis en place par la loi d'orientation pour l'outre-mer de décembre 2000 et qui ont fait leur preuve, devraient d'ailleurs être revus à la hausse, notamment le congé solidarité et le projet initiative-jeune pour la création d'entreprise.

Concernant les contrats aidés dans le secteur non marchand, je me félicite que le Gouvernement soit revenu sur une conception un peu trop idéologique en prévoyant, dans le cadre du plan Borloo, la mise en place de contrats d'avenir.

C'est pourquoi je n'ai pas hésité à signer avec vous, monsieur le ministre, un contrat d'objectifs pour la mise en oeuvre de 5 000 de ces contrats d'ici à décembre 2006, ainsi que de 800 contrats de réinsertion-revenu minimum d'activité, les CIRMA.

Il ne faudrait pas, cependant, que leur mise en place s'accompagne de la disparition, à due proportion, des autres types de contrats financés par le fonds pour l'emploi dans les départements d'outre-mer, le FEDOM.

Ce serait une erreur de réduire la quantité d'emplois aidés dans les DOM, alors qu'y persiste la situation économique que l'on sait. Il faut savoir qu'en Martinique ces derniers représentent 46 % des offres d'emplois déposées à l'ANPE !

S'agissant de la politique du logement, je vous ai rappelé, dans le rapport de la commission des affaires économiques, l'acuité de la crise qui sévit dans la plupart de nos collectivités ultramarines et l'insuffisance des crédits consacrés à cette action dans la mission « Outre-mer ».

Les crédits inscrits sur la ligne budgétaire unique sont reconduits, cette année, au même niveau que l'année dernière et ils n'ont pratiquement pas évolué depuis 2002. Mais, alors que leur volume est insuffisant pour répondre aux besoins, il faut savoir qu'ils sont régulièrement l'objet de gels et de régulations budgétaires.

Depuis deux ans, on se trouve même confronté à une situation de manque de crédits de paiement pour régler des travaux déjà effectués !

C'est le cas en Martinique où, au 31 décembre 2004, il manquait 7 millions d'euros, et où l'on s'achemine malheureusement vers une situation encore plus grave pour la fin de cette année.

Cela se traduit par des arrêts de chantiers dont vous devinez les conséquences pour les familles et les entreprises. La situation serait d'ailleurs bien pire si les collectivités territoriales ne contribuaient fortement au financement de la politique du logement.

Cela m'amène à évoquer plus précisément la situation paradoxale de ces collectivités, qui doivent faire face à un accroissement de leurs charges et à une réduction de leur autonomie financière alors même qu'elles jouent un rôle de plus en plus déterminant dans le développement local.

Je ne vais pas énumérer ici la liste des compétences déléguées insuffisamment compensées. Mais il m'est difficile de ne pas profiter de l'occasion qui m'est donnée pour attirer votre attention sur la situation des conseils généraux d'outre-mer, confrontés à une nouvelle et très inquiétante difficulté : je veux parler des conséquences du remboursement par acomptes et avec retard des sommes versées au titre de l'allocation RMI.

Au vu de l'ampleur du RMI outre-mer, on comprend aisément que les difficultés de trésorerie qui en résultent y prennent un caractère beaucoup plus aigu que dans l'Hexagone. Ainsi, en Martinique, au 31 octobre 2005, le différentiel représentait déjà plus de 13 millions d'euros !

C'est, vous le comprenez, ce qui amène les élus à être particulièrement méfiants s'agissant du transfert des personnels techniciens, ouvriers et de service, les TOS, de l'éducation nationale.

Je souhaite par ailleurs, monsieur le ministre, évoquer deux graves sujets de préoccupations pour les Antilles et au sujet desquels nous attendons un fort soutien du ministère de l'outre-mer. Il s'agit du dossier de la banane et de celui des transports terrestres interurbains de personnes.

En ce qui concerne le secteur de la banane, déjà bien éprouvé, vous savez les très grandes craintes que suscite la dernière décision de Bruxelles visant à fixer à 176 euros la tonne le montant des droits de douane dans le cadre du nouveau système de « tarif only », applicable dès le 1er janvier 2006.

Ce niveau très bas de droits d'entrée conduit à l'ouverture totale du marché européen aux « bananes dollars ». Face à cette concurrence, la banane européenne, plus respectueuse des droits de l'homme et de l'environnement et produite dans des conditions sociales plus contraignantes, risque tout simplement de disparaître.

Les efforts réalisés sur le plan technique et organisationnel par les exploitants ont conduit à améliorer les rendements et la qualité de nos produits, tout en favorisant des pratiques respectueuses de l'environnement.

Sur les plantations de bananes martiniquaises, le rendement moyen est passé, sur les dix dernières années, de 24 tonnes l'hectare à 35 tonnes l'hectare.

Malgré ces avancées indéniables, le dispositif actuel d'aide compensatoire ne permettra pas d'éviter, dès le début de 2006, de nouvelles faillites d'exploitations.

Le Gouvernement a certes déposé, avec les principaux pays producteurs, un mémorandum le 20 septembre dernier. Mais si ce document, qui n'a pas valeur obligatoire, n'est pas pris en compte pour une application dès 2006, la situation dans le secteur de la banane se dégradera encore davantage.

C'est pourquoi je réitère ici la demande déjà formulée dans la proposition de résolution que j'ai déposée le 26 octobre dernier, par laquelle le Gouvernement est invité à faire preuve de fermeté pour obtenir que soit mise en place dès 2006 une aide au revenu suffisante pour faire face aux conséquences prévisibles de l'application de la réforme de l'OCM banane.

En ce qui concerne maintenant le transport terrestre interurbain de personnes, qui comporte des caractéristiques tout à fait spécifiques aux Antilles, se pose avec une acuité particulière le problème de l'adaptation de la loi Sapin. Nous arrivons en effet au terme d'une situation dérogatoire provisoire instaurée par la loi d'orientation de décembre 2000 et prorogée jusqu'en juin 2006 par la loi d'amnistie du 6 août 2002.

Je vais bientôt devoir lancer en Martinique la procédure de délégation de service public. Or je peux vous dire que cela entraîne déjà une forte mobilisation des professionnels et que nous risquons d'aller vers un conflit très dur et très pénalisant.

La solution ne peut venir de l'utilisation des possibilités prévues à l'article 73 de la Constitution, contrairement à ce qu'avait laissé entendre Mme Girardin. Il s'agirait d'une procédure beaucoup trop lourde, qui nécessiterait de toute façon que soit votée au préalable la fameuse loi organique prévue à l'article 73. Or celle-ci n'a pas encore été présentée au Parlement.

Selon moi, il conviendrait de recourir à la procédure des ordonnances, mais après une large concertation avec les professionnels et les élus de Martinique et de Guadeloupe. Du même coup, on pourrait y intégrer les éléments contenus dans le projet d'ordonnance du 7 mars 2002 concernant la mise en place, dans chacun des deux départements concernés, d'une autorité organisatrice unique des transports.

Ce problème relatif au transport illustre bien la difficulté que nous continuons d'éprouver dans les DOM pour faire prendre en compte dans les faits, et pas seulement dans les discours, nos réalités diverses et singulières.

Cette difficulté, nous y sommes confrontés en permanence. J'en ai encore fait récemment l'expérience lors du débat relatif au projet de loi sur l'eau et les milieux aquatiques ou au cours de l'examen du projet de loi d'orientation agricole.

C'est dire, monsieur le ministre, que la situation des départements d'outre-mer n'appelle pas seulement la mise en oeuvre de moyens budgétaires bien plus importants que ceux qui sont actuellement prévus : elle nécessite également d'être appréhendée autrement que selon la logique uniformisatrice qui prévaut encore.

Mais, pour cela, il faut une autre vision de l'outre-mer : une vision moderne, respectueuse des identités et des différences, dépassant les raisonnements comptables à courte vue, sachant au contraire percevoir les potentialités inexploitées. Une vision valorisante donc, et bien évidemment dégagée de cette nostalgie de l'époque coloniale qui semble obscurcir certains esprits ces temps-ci. Une vision que je vous invite, monsieur le ministre, à partager et à promouvoir !

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