Intervention de Simon Loueckhote

Réunion du 7 décembre 2005 à 10h15
Loi de finances pour 2006 — Outre-mer

Photo de Simon LoueckhoteSimon Loueckhote :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'examen des crédits de l'outre-mer pour l'année 2006 est pour nous l'occasion de présenter un aperçu de la situation de nos collectivités respectives. C'est donc sur la Nouvelle-Calédonie que j'axerai mon propos d'aujourd'hui.

Depuis 1988, la Nouvelle-Calédonie bénéficie d'une stabilité issue, comme chacun le sait, de deux accords politiques fondamentaux : les accords de Matignon et l'accord de Nouméa, qui ont durablement ramené la paix dans notre archipel.

Le cadre juridique institué par la loi organique de mars 1999 ne se caractérise pas par des dysfonctionnements majeurs, mais il a d'ores et déjà montré quelques limites. En tout état de cause, il apparaît très nettement qu'il n'y a pas de besoin impérieux et unanime d'accélérer le processus d'émancipation de la Nouvelle-Calédonie, contrairement à ce que certains prétendent. Pour autant, la situation politique et institutionnelle de notre archipel est préoccupante à bien des égards.

L'évolution du paysage politique depuis mai 2004, point de départ de la seconde mandature, est telle que la représentation au sein des assemblées locales n'est plus en faveur des partis signataires de l'accord de Nouméa, et cela n'est pas sans incidence. Il faut bien admettre que, depuis cette date, le dialogue entre les pères fondateurs de l'accord de Nouméa a été interrompu.

Par ailleurs, ceux qui sont actuellement en charge des institutions de la Nouvelle-Calédonie ne sont pas du tout animés par la volonté de faire vivre l'accord de Nouméa, tel qu'il a été conçu, et conduisent une politique fondée sur la discrimination et non sur la construction d'un destin commun.

C'est malheureusement dans ce contexte incertain qu'intervient le débat sur le corps électoral, qui a inopportunément été rouvert il y a quelques mois par Brigitte Girardin, alors ministre de l'outre-mer, ce que je regrette vivement !

Concrètement, l'objectif est de demander à la représentation nationale de restreindre davantage le corps électoral admis à participer au renouvellement du Congrès et des assemblées de provinces de Nouvelle-Calédonie. En privant de leur droit de vote toutes les personnes qui se sont installées en Nouvelle-Calédonie après 1998, et qui totaliseront pourtant plus de dix ans de présence, le corps électoral reste donc figé à l'année 1998.

Mes chers collègues, j'ai eu l'occasion d'expliquer devant vous, en 1998 comme en 1999, les raisons qui nous ont fait accepter le compromis d'un droit de vote réservé aux personnes présentes depuis au moins dix ans. Néanmoins, je voudrais rappeler la position du Rassemblement pour la Calédonie dans la République, le RPCR, signataire de l'accord, qui ne s'est engagé sur aucune autre condition et a donc accepté un corps électoral « glissant », interprétation validée par le Conseil constitutionnel et très largement approuvée par les Calédoniens en novembre 1998.

Sept ans après, il est question de remettre en cause ce que nous considérons être un pilier de l'accord politique que nous avons signé avec les indépendantistes. J'appelle par conséquent votre attention sur la responsabilité que prendraient le Sénat et l'Assemblée nationale en choisissant de soutenir un tel projet de texte, qui ne fait l'objet d'aucun consensus et qui est motivé par la seule volonté de satisfaire une minorité.

Pour répondre à l'aspiration d'une grande majorité de Calédoniens, mon collègue député Jacques Lafleur et moi-même avons donc déposé une proposition de loi constitutionnelle visant à limiter la restriction du corps électoral à trois années de présence en Nouvelle-Calédonie. Toutefois, je continue à formuler le souhait que ce débat ne soit pas rouvert, car ce vote ne ferait que confirmer la mort de l'accord de Nouméa.

Depuis mai 2004, la Nouvelle-Calédonie ne fonctionne que sur la base d'un cadre institutionnel totalement privé de son essence même, à savoir le dialogue entre les partenaires d'un accord de Nouméa qui est lui-même moribond. Le climat de confiance que nous avions réussi à instaurer à force de dialogue et de négociations s'est en effet fortement dégradé en quelques mois.

La stabilité institutionnelle que nous avons connue ces dernières années a néanmoins permis à notre archipel de conforter son essor économique.

La Nouvelle-Calédonie a ainsi affiché, en 2004, des indicateurs économiques encourageants dus essentiellement à l'essor de l'activité nickel, elle-même dynamisée par la forte augmentation des cours et par la nette croissance de la demande, provenant notamment de la Chine. Et cette tendance favorable s'est confirmée en 2005.

Pour autant, ces bons résultats ne sauraient occulter la fragilité de notre économie, très dépendante de l'activité nickel, qui a représenté plus de 90 % de la valeur de nos exportations en 2004.

Ainsi, les efforts de diversification de l'activité économique ne se traduisent pas par des résultats significatifs, en dépit du soutien apporté par les collectivités. En outre, le véritable enjeu du développement de la Nouvelle-Calédonie réside dans une meilleure répartition de l'activité sur la Grande Terre et dans les îles Loyauté.

Je le rappelle, cet engagement politique majeur avait été pris dès la signature des accords de Matignon et il était assorti d'une obligation de redistribution d'une partie des recettes de la Nouvelle-Calédonie aux collectivités provinciales, en respectant une clé de répartition nettement favorable à la province Nord et à la province des îles Loyauté.

Alors même que ce dispositif est en place depuis dix-sept ans, il n'a pas montré, à ce jour, de signes tangibles de réussite et il n'a pas permis d'enrayer l'exode des populations vers Nouméa et le Grand Nouméa, posant d'énormes problèmes liés à leur accueil.

Or, comme vous le savez, l'attention de tous nos compatriotes calédoniens se porte aujourd'hui sur l'implantation de deux nouvelles usines de traitement du nickel, qui installeront durablement les conditions d'un véritable rééquilibrage, notamment au profit de la province Nord. C'est pourquoi les retards pris dans les échéanciers de réalisation de ces projets, de même que l'annonce d'une OPA lancée par Inco, opérateur de l'usine du sud, sur Falconbridge, opérateur de l'usine du nord, sont source d'une grande inquiétude, l'interrogation portant surtout sur le sort réservé à l'usine du nord.

À quelques semaines de l'échéance des accords de Bercy, la tension monte entre toutes les parties impliquées. L'action de l'État fait actuellement l'objet d'une grande campagne de dénigrement, qui est totalement injuste, car nous savons le caractère exceptionnel de son soutien financier en faveur de l'usine du nord, conformément aux engagements du Président de la République, M. Jacques Chirac, lors de son voyage en Nouvelle-Calédonie en 2003.

Par conséquent, je tiens à souligner la volonté unanime qui existe en Nouvelle-Calédonie quant à la mise en oeuvre de toutes les conditions nécessaires à l'aboutissement du projet de l'usine du nord.

Il est tout à fait légitime, face à de tels enjeux financiers et quand on mesure la force de frappe des multinationales, de vouloir préserver un patrimoine minier qui est celui de l'ensemble des Calédoniens, des Français, et que nous voulons valoriser au profit de tous. Il ne s'agit donc en aucun cas de le céder sans un engagement ferme de construction de l'usine du nord, et je ne doute pas de la volonté de l'État d'oeuvrer dans ce sens.

Je déplorais, au début de mon propos, l'inexistence du dialogue politique, inexistence dont les incidences sont déjà perceptibles.

Aujourd'hui, la Nouvelle-Calédonie subit les conséquences désastreuses d'une rupture du dialogue social. Nous endurons depuis plusieurs mois des conflits sociaux qui se radicalisent et où priment les rapports de force entre les parties en présence, au point d'entraver l'activité économique de la Nouvelle-Calédonie par le blocage des routes, du port, des dépôts de carburants, des banques et d'autres points névralgiques.

La SLN, société qui exploite le nickel en Nouvelle-Calédonie, a notamment été, pendant plusieurs jours, très durement affectée par un conflit social qui a bouleversé toute l'activité économique et qui a occasionné de vives tensions au sein de la population calédonienne. Même si ce conflit est désormais réglé, la situation qui en résulte demeure préoccupante et n'est pas de nature à rassurer les Calédoniens sur leur avenir.

En outre, si le terrain des relations sociales est utilisé pour raviver les clivages politiques, il sera extrêmement difficile de renouer les fils d'un dialogue interrompu depuis 2004.

Mon intention, mes chers collègues, n'est pas de faire de la surenchère, mais tout simplement de vous exposer, sans détour, la situation actuelle de la Nouvelle-Calédonie. La réalité de l'outre-mer est en effet bien souvent éloignée de l'image que peuvent en avoir nos concitoyens.

C'est ainsi que certains de nos collègues tentent, de façon récurrente, de mettre un terme à ce qu'ils estiment être des « privilèges » éhontés en faveur de l'outre-mer.

Je regrette vivement que ces tentatives visant à remettre en cause les dispositifs en vigueur soient immanquablement lancées sans concertation avec les représentants de l'outre-mer et sans disposer d'un examen suffisamment exhaustif de l'impact de leur suppression sur les collectivités concernées.

Je déplore, par conséquent, que l'outre-mer soit constamment l'occasion de faire des « coups politiques ».

La position de l'intergroupe parlementaire de l'outre-mer, faut-il le rappeler, est bien de faciliter l'évaluation globale des mesures dont bénéficient nos collectivités, sous réserve que cette évaluation ne se limite pas à leur incidence sur le budget de la nation.

Mes chers collègues, je ne me lasserai pas de le dire, nos compatriotes ultramarins ne méritent pas cette image de fardeau pour les contribuables français, ni celle, totalement dénaturée, de populations qui vivent sans effort.

Il faut au contraire une forte détermination et un engagement sans relâche pour faire évoluer nos collectivités vers un mieux-être, vers un niveau de développement économique et social à la hauteur de ce que la France a le devoir de garantir à l'ensemble de ses forces vives et de ses enfants.

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