Avant d'entrer de plain-pied dans le débat, permettez-moi, monsieur le ministre, de vous exprimer ici publiquement tous mes remerciements pour les marques de sympathie que vous avez témoignées aux familles martiniquaises endeuillées lors du crash aérien du 16 août dernier. Nous avons apprécié l'humanité avec laquelle vous vous êtes associé à leur douleur, à notre douleur.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes aujourd'hui réunis pour examiner la mission « Outre-mer » dans le cadre du projet de loi de finances pour 2006. Je vais essayer de vous épargner les chiffres, mais force est de constater que ce budget régresse depuis près de trois années consécutives.
La plupart des observateurs s'accordent à dire que la mission « Outre-mer » affiche une baisse de 0, 9 %, sauf qu'il ne s'agit pas là d'une comparaison à périmètre constant. En effet, il faudrait également retrancher deux dotations nouvelles - l'une de 151 millions d'euros au titre de l'aide à la reconversion de l'économie polynésienne, l'autre de 57 millions d'euros au titre des prestations de sécurité sociale -, sans compter les 2, 7 millions d'euros liés à la solidarité légitime pour le plan d'urgence dans les banlieues et les 85 millions d'euros restant à trouver à la suite de la suppression, qui est demandée par tous, de l'article 73 du projet de loi de finances.
Nonobstant l'abondement de 95 millions d'euros du programme « Emploi outre-mer », on aboutit, à périmètre constant, non pas à une diminution de 0, 9 % des crédits de la mission, mais à une baisse d'au moins 7 %.
La mission « Outre-mer » est donc en repli, alors que l'importance des besoins et la réalité des retards ne devraient autoriser aucun relâchement dans les efforts.
Les autres priorités de cette mission sont l'emploi et le logement, ce qui nous convient parfaitement, puisque cela correspond aux principales préoccupations de nos populations.
L'emploi, première priorité de la mission, en est également la première surprise. En effet, les crédits de paiement du programme « Emploi outre-mer » diminuent de 5 % par rapport à ceux de 2005. De surcroît, la suppression de l'article 73 du projet de loi de finances a engendré un besoin de financement de 195 millions d'euros.
Le Gouvernement a donc choisi d'abonder le programme « Emploi outre-mer » de 95 millions d'euros et d'opérer deux redéploiements : 15 millions d'euros proviennent du programme « Intégration et valorisation de l'outre-mer » et seront affectés au programme « Emploi outre-mer », et 85 millions d'euros feront l'objet d'une nouvelle répartition au sein de ce programme. Je serais très curieux, monsieur le ministre, de savoir comment vous comptez effectuer un tel tour de magie !
En outre, alors que les crédits de la mission « Travail et emploi » directement affectés aux DOM n'augmentent pas, et sachant que la Martinique se caractérise par un taux de chômage élevé - autour de 25 % de la population active en 2005 -, ainsi que par un nombre important d'allocataires du revenu minimum d'insertion - 32 400, soit 24 % des ménages -, comment financerez-vous l'ensemble des contrats d'avenir pour nos jeunes ?
Par ailleurs, il est, me semble-t-il, extrêmement difficile de lutter efficacement contre la précarité et l'exclusion des chômeurs de longue durée, d'autant que la situation s'aggrave jour après jour. En effet, la crise de la banane, du fait de la fermeture de nombreuses exploitations agricoles, envoie des centaines d'ouvriers de ce secteur grossir les effectifs de l'Agence nationale pour l'emploi.
Monsieur le ministre, si vous souhaitez nous redonner un peu d'espoir et nous convaincre que la situation peut effectivement s'améliorer, des mesures et des moyens beaucoup plus pertinents et vigoureux s'imposent. En effet, même s'ils sont nécessaires, la défiscalisation, et les allégements de charges ne suffisent pas à constituer une politique de l'emploi.
La deuxième priorité - et malheureusement la deuxième surprise - de la mission « Outre-mer » est le programme « Conditions de vie outre-mer », qui comprend en particulier l'effort sur le logement, dont les crédits de paiement sont stabilisés à 173 millions d'euros, et ce depuis 2003. De surcroît, on peut noter la reconduction pure et simple des autorisations d'engagement depuis 2002, à hauteur de 287 millions d'euros.
Une telle stabilité ne permettra pas, à mon avis, de poursuivre l'effort de construction et de rénovation nécessaire et attendu.
Afin d'éviter les ruptures d'autorisations d'engagement et de crédits de paiement en cours d'année, la ligne budgétaire unique, la LBU, doit être sanctuarisée. M. le ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement s'y est récemment engagé avec votre concours. Nous attendons de voir ce qu'il en sera !
La solution serait d'ouvrir une autorisation d'engagement sur une durée de cinq ans et de prévoir un montant de crédits de paiements équivalent sur cette période. Cela permettrait de constituer une programmation pluriannuelle minimale de la LBU et illustrerait votre volonté de garantir une politique cohérente du logement dans les DOM.
Selon la logique de la LOLF, à des objectifs correspondent des moyens et des indicateurs d'efficacité, et non l'inverse. Or les moyens budgétisés et les indicateurs proposés pour l'évaluation de la performance de l'action « Logement » nous préoccupent.
En effet, les deux indicateurs de l'objectif « Mieux répondre au besoin de logement social » me conduisent à présenter trois remarques.
D'abord, nous ne disposons d'aucun chiffre pour la période qui s'étend de 2003 à 2005. Il nous est, dès lors, impossible de connaître la situation actuelle et, par conséquent, difficile et hasardeux de fixer des objectifs.
Ensuite, ces deux indicateurs sont uniquement liés à la construction de logements. Or ils ne sont pertinents qu'associés à des indicateurs d'évaluation des effets de cette construction sur la demande de logement.
Enfin, ces indicateurs déterminent de fait le montant des crédits de paiement à attribuer, en fonction de la programmation des autorisations d'engagement. Or ce sont les objectifs qui devraient déterminer les moyens nécessaires.
L'étude de l'action « Sanitaire et social » fait apparaître une diminution des crédits de 2, 6 millions d'euros, soit une baisse de 4 %, malgré les difficultés rencontrées par les personnes âgées. En effet, selon les projections de l'INSEE, la Martinique sera le deuxième département le plus vieux de France à l'horizon 2030.
Permettez-moi à cet égard de vous citer un rapport de la direction départementale de l'équipement publié au mois de septembre dernier : « La Martinique dispose de trois fois moins de places d'hébergements pour personnes âgées que la métropole. L'importance qu'elles vont prendre dans les prochaines années et les blocages sur les autres segments de l'offre doivent vous inciter à ne pas réduire le volume des aides à l'amélioration de l'habitat. »
À cela s'ajoute la grande inquiétude qui pèse sur l'avenir de l'hôpital public en Martinique, liée à l'application brutale et aveugle d'une réforme tarifaire - la tarification à l'activité, la TAA -, inadaptée à la situation de nos hôpitaux et ne prenant pas en compte les retards structurels accumulés.
Il est urgent de mettre à niveau les moyens financiers, certains équipements dans les établissements hospitaliers ne répondant plus aux normes minimales d'accueil des patients. Il est par ailleurs nécessaire de résoudre le problème de la répartition territoriale de l'offre de soins.
Nous comptons sur vous, monsieur le ministre, pour veiller au respect des engagements pris par le ministre de la santé et des solidarités et par le directeur de l'agence régionale de l'hospitalisation, l'ARH, pour une mise à niveau définitive de nos hôpitaux susceptible de garantir une offre de soins adaptée aux besoins de la population martiniquaise, faute de quoi nous irions tout droit vers un système de santé à deux vitesses.
Enfin, comme vous le savez, monsieur le ministre, les communes d'outre-mer sont dans une situation financière très tendue. Elles doivent notamment faire face à la titularisation massive des agents communaux, tout en répondant aux besoins élémentaires des populations, alimentant ainsi la commande publique. Au moment où je vous parle, une grève illimitée a d'ailleurs été déclenchée dans les mairies de la Martinique à propos de la titularisation des personnels.
Les communes d'outre-mer ont joué leur rôle de « buvard social », mais elles ne peuvent pas aller plus loin, ni assumer seules une telle revendication, au demeurant justifiée. Elles comptent sur le concours de l'État.
La réforme de la dotation globale de fonctionnement est une piste qui peut être explorée. En effet, la DGF versée aux communes ultramarines est calculée sur des critères quasi similaires à ceux de la métropole. Or ces collectivités cumulent les handicaps structurels liés à l'éloignement, à l'insularité, au climat tropical humide, à l'air salin corrosif, aux cyclones à répétition, à une sismicité accrue.
De tels facteurs, qui fragilisent les bâtis et accélèrent l'usure et la vétusté des équipements, plaident en faveur de la mise en place d'une part spécifique d'ultrapériphéricité de la DGF.
Je ne peux passer sous silence les préoccupations qui sont les nôtres dans d'autres secteurs, sur lesquels l'engagement de l'État est attendu.
Je ne reviendrai pas sur le problème de la banane, que mon collègue M. Lise a si bien développé. Permettez-moi simplement de vous dire que la réforme de l'OCM banane soulève de vives inquiétudes chez les professionnels.
À l'occasion de la réunion de la conférence de l'OMC à Hong Kong, à la mi-décembre, j'attire votre attention, monsieur le ministre, sur la forte vigilance et la fermeté qu'il vous faudra observer vis-à-vis du droit d'importation à 176 euros la tonne. Nous en sommes en effet parvenus à ce montant après nombre de reculs, mais les planteurs martiniquais ne pourraient pas, me semble-t-il, aller en deçà.
Je vous demande solennellement, monsieur le ministre, d'intervenir auprès de la Commission européenne pour engager immédiatement la réforme du régime d'aide aux productions communautaires.
En matière d'énergie, l'article 13 du projet de loi de finances, relatif aux biocarburants, excluait initialement les DOM du champ d'application de la taxe générale sur les activités polluantes, la TGAP. À l'Assemblée nationale, il a été décidé de n'inclure les DOM dans ce champ qu'à compter du 1er janvier 2010. Il est donc impératif de mettre à profit ce délai pour favoriser la production locale de biocarburants, notamment d'éthanol, fabriqué à partir de la bagasse et déjà en usage au Brésil.
Quelles initiatives envisagez-vous de prendre, monsieur le ministre, pour favoriser la mise en oeuvre d'une telle production, qui est intéressante pour la relance de la filière de la canne à sucre ?
Par ailleurs, monsieur le ministre, le manque de culture du risque de nos populations nous interpelle et nous souhaiterions que les services de l'État en charge du secteur de la sécurité informent davantage les populations de la conduite à tenir en cas de survenue d'un séisme et engagent des actions de prévention plus soutenues.
Enfin, nous ne devons pas oublier la situation des personnes handicapées. La loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées doit être non pas un voeu pieux, mais une réalité venant combler les retards structurels que connaissent nos citoyens en situation de handicap.
En conclusion, je compte sur vous, monsieur le ministre, pour convaincre vos collègues de la nécessité de traiter l'outre-mer avec équité, comme vous avez su le faire après notre montée au créneau pour que les engagements de l'État soient respectés.
Malheureusement, je ne vous cache pas mon inquiétude. Il semble, en effet, que le Gouvernement ait d'ores et déjà programmé un gel de crédits de 5 % sur l'ensemble des différentes missions, et ce dès janvier 2006. Si cela se révélait exact, cela n'annoncerait rien de bon pour l'outre-mer !