Intervention de Lucette Michaux-Chevry

Réunion du 7 décembre 2005 à 10h15
Loi de finances pour 2006 — Outre-mer

Photo de Lucette Michaux-ChevryLucette Michaux-Chevry :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il ne serait pas sérieux de ma part, dans un contexte budgétaire particulièrement difficile, de dresser un catalogue de revendications.

Je saluerai tout d'abord la méthode nouvelle que vous avez instaurée pour l'outre-mer, monsieur le ministre, ainsi que votre perfectionnisme. Voilà qui démontre que la valeur n'attend pas le nombre des années !

Votre méthode, fondée sur le dialogue, l'écoute et le partage, nous donne le sentiment que vous avez bien mesuré le mal dont nous souffrons.

À cet égard, votre attitude, à l'occasion des douloureux événements qui ont affecté la Martinique, a révélé votre grande sensibilité. Or l'outre-mer a besoin de cette sensibilité bien plus que d'argent !

Vous êtes parvenu à mettre en place une méthode et à définir des objectifs.

Votre priorité - et vous avez raison - est l'emploi. Vous avez ainsi clairement démontré, par une série de mesures volontaristes dans le secteur marchand, que, en outre-mer, la dignité s'acquiert par le travail.

Les résultats outre-mer en termes d'emploi sont sensibles. Le chômage a en effet régressé chez nous de 3, 2 %. C'est peu, certes, mais cela doit être noté.

Votre deuxième objectif concerne les conditions de vie de nos compatriotes. Voilà qui me paraît une meilleure perspective que les maisons de retraite dans lesquelles on parque nos aînés !

Ainsi que vous l'avez indiqué, les deux enjeux les plus importants en termes de logement sont liés au parc immobilier et au logement social. Or, il faut le savoir, ce sont les RMIstes qui bénéficient le plus des logements sociaux, et non les salariés disposant de faibles revenus.

Dans ce contexte, j'aimerais vous faire part de deux préoccupations. D'abord, les personnes âgées, dont les vieilles maisons ont besoin d'être réhabilitées, ont des difficultés à bénéficier du dispositif de l'État parce qu'elles n'ont pas les moyens d'apporter leur contribution. Ensuite, vous avez raison, monsieur le ministre, d'évoquer les retards structurels des collectivités d'outre-mer, qui sont dus, chacun le sait, à l'insularité et à l'isolement. Des mesures spécifiques s'imposent donc.

Votre action a d'abord consisté à casser l'isolement et à mettre en place un dispositif de continuité territoriale, certes très timide par rapport à celui dont la Corse a pu bénéficier... Toutefois, compte tenu des difficultés financières actuelles, il n'est pas question pour nous de parler ici de chiffres.

Ce matin, nous sommes passés de la Guyane à la Nouvelle-Calédonie, de la Réunion à Mayotte, et nous évoquerons tout à l'heure les territoires français situés dans le Pacifique.

C'est révélateur de la diversité des mesures qui doivent être mises en place en faveur de l'outre-mer en matière de continuité territoriale : le dispositif en faveur de la Martinique, qui est une île, ne peut être identique à celui de la Guadeloupe, qui est un archipel ! En effet, le marin pêcheur des îles des Saintes doit payer s'il veut se rendre à l'hôpital de Pointe-à-Pitre, le petit Saintois doit payer s'il veut venir faire ses études en Guadeloupe.

Des efforts ont été faits en faveur des collectivités d'outre-mer grâce à la défiscalisation, même si celle-ci est parfois contestée sous prétexte qu'il ne s'agit que d'une mesure budgétaire : on traite l'outre-mer de façon comptable, sans tenir compte de son rayonnement.

Prenons l'exemple du fret, dont le coût est extrêmement élevé. Aujourd'hui, les collectivités d'outre-mer ont des difficultés pour exporter leurs melons en métropole, malgré la participation de l'Europe. Or la Guadeloupe et la Martinique font des efforts considérables dans ce domaine !

Certes, pour ce qui est de la banane et de la canne à sucre, les négociations ont été plutôt bénéfiques, même si elles ont été difficiles. S'agissant de la canne à sucre, il nous fallait surveiller le coût du rhum, de l'alcool. Quant aux droits de douane sur la banane, ils variaient de 236 euros à 250 euros, aux termes d'études préalables effectuées par les Belges et par l'INRA. Finalement, ces droits ont été établis à 176 euros par tonne. Mais ce tarif, monsieur le ministre, ne pourra être maintenu que si les pays de l'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, les pays ACP, ne bénéficient pas de droits nuls ! Si la France n'arrivait pas à imposer cette idée, l'économie bananière des Antilles ne manquerait pas de plonger.

Bien que la banane des Antilles soit européenne, elle est moins défendue que celle des îles espagnoles. Nous devons donc être extrêmement vigilants et, au moment où il est question d'Europe sociale, la France doit poser le principe de la conditionnalité de l'aide. En effet, elle ne peut pas laisser des sociétés américaines exploiter des travailleurs, voire des enfants - qui ne vont donc pas à l'école - dans les plantations d'Amérique du Sud, concurrençant ainsi les producteurs européens qui, eux, paient décemment leurs salariés !

Aujourd'hui, monsieur le ministre, ce sont le Honduras et Panama qui attaquent les droits de douane de 176 euros accordés aux productions bananières. C'est le monde à l'envers ! C'est la preuve éclatante que les sociétés américaines sont très fortes : elles sont en effet parvenues à européaniser leurs productions et celles des pays ACP.

Avec nos collègues de la Martinique, nous avons eu l'intelligence de créer le Fonds commun de la banane. Et je peux vous dire que les îles lointaines de la Dominique et de la Jamaïque considèrent, à chaque fois que se pose le problème de la banane, que seule la France les défend face aux bananes de la zone dollar.

Quoi qu'il en soit, les retards de développement de l'outre-mer ne seront comblés, qu'on le veuille ou non, que grâce à des mesures de défiscalisation. Et celles-ci ne doivent pas être considérées comme des « niches » : ce terme, qui est vraiment inapproprié, est en effet mal perçu outre-mer.

Les défiscalisations résultent de la volonté du gouvernement de 1986 et de Bernard Pons de rattraper les retards de l'outre-mer. Je l'ai dit récemment avec un peu de force : cinquante ans auront été nécessaires pour que les collectivités d'outre-mer bénéficient des lois sociales ! Ce n'est pas acceptable, ce n'est pas tolérable.

Les retards ont été comblés grâce à des mesures comme le programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité des départements français d'outre-mer, le POSEIDOM, ou le programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité des îles Canaries, le POSEICAN, et j'en passe. Et, aujourd'hui, les collectivités d'outre-mer sont classées par l'Europe comme des zones prioritaires de développement, éligibles à l'objectif 1. Cela démontre bien qu'elles connaissent des retards de développement et qu'elles méritent un soutien particulier !

Par ailleurs, les mesures de défiscalisation ont permis à de petites entreprises d'améliorer leur outil de travail. Certaines d'entre elles ont ainsi pu obtenir du matériel pour couper la canne à sucre ou pour écosser les légumes que l'on trouve chez nous. Elles ont ainsi permis le développement de nos îles.

Certes, il faut avoir le courage de le dire, il y a des dérapages. Nous en connaissons tous, et en bénéficions même parfois. Mais ce dossier doit être mis à plat si nous voulons restaurer l'image des collectivités d'outre-mer et montrer que celles-ci souhaitent accéder au travail, combattre le RMI, l'assistanat et l'oisiveté, qui entraînent toutes les dérives que nous connaissons.

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