Intervention de Denis Detcheverry

Réunion du 7 décembre 2005 à 10h15
Loi de finances pour 2006 — Outre-mer

Photo de Denis DetcheverryDenis Detcheverry :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il ne vous aura pas échappé que l'un des faits marquants de ce projet de budget pour 2006 est la mise en application de la LOLF.

Cette nouvelle approche permettra une meilleure lisibilité budgétaire et une gestion optimalisée des finances de l'État. En tant qu'élu local, cela me laisse l'espoir que nous ne subirons plus, comme c'était souvent le cas, cet important décalage dans le temps entre les autorisations de programme et la disponibilité effective des crédits de paiement, voire certains oublis qui mettaient les collectivités, surtout les petites communes comme la mienne, dans de grandes difficultés financières.

Dans la conjoncture économique actuelle, le premier budget de l'outre-mer que vous nous présentez est le reflet du positivisme dont vous faites preuve depuis votre nomination. Bien sûr, l'aboutissement de nos souhaits et de nos projets nécessiterait plus, mais si regrets il devait y avoir, nous les partagerions.

C'est donc sans état d'âme que je voterai votre budget, monsieur le ministre.

Je souhaite utiliser le temps qui m'est imparti pour vous parler d'abord de l'outre-mer, puis de Saint-Pierre-et-Miquelon.

En tant que jeune parlementaire, l'analyse que j'ai pu faire depuis un an ne laisse pas de m'inquiéter quant à l'avenir de l'outre-mer français. Bien souvent, dans l'administration centrale, l'outre-mer est perçu comme « coûtant cher et ne servant à rien ». Je schématise un peu, mais c'est bel et bien ce qui ressort de certains comportements ou de certaines phrases.

Cette image dégradante et réductrice est humiliante pour l'ultramarin et pour l'élu de la République que je suis.

Toutefois, je peux comprendre que des personnels administratifs ou des élus qui ne connaissent pas l'outre-mer, ni dans son présent ni dans son passé, tiennent ce raisonnement. Il est vrai que l'outre-mer est complexe, au point qu'il ne nous est pas toujours aisé, à nous élus ultramarins, de nous rapprocher tant nos situations et nos difficultés nous semblent aux antipodes les unes des autres.

Pourtant, les points communs sont évidents. Quels que soient les fuseaux horaires ou les kilomètres qui nous séparent de notre mère patrie, notre éloignement administratif est identique. N'avons-nous pas tous été, pendant des décennies, voire des siècles, les têtes de pont de la présence française dans le monde ? Oui, l'outre-mer a fortement participé à l'essor de la France !

Malheureusement, il semble que l'évolution des transports et de la communication nous relègue aujourd'hui au placard des assistés. Et, évidemment, cette image et ce destin ne me conviennent pas, pas plus qu'ils ne vous conviennent, j'imagine, monsieur le ministre.

Si nous voulons faire évoluer les choses, cela ne sera possible que dans l'union. Nous devons nous-mêmes repenser l'outre-mer : oublions nos prétendues différences - de température, d'environnement, de couleur - et, ensemble, faisons parler l'outre-mer, présentons-le d'une autre manière.

Pour la plupart des collectivités ultramarines, l'évolution économique passe impérativement par une politique régionale. Bien entendu, je veux parler d'une politique de coopération et non d'assimilation. Or, pour réussir cette coopération, cette intégration géoéconomique, nous avons non seulement besoin d'une présence forte, mais aussi d'une véritable implication du Gouvernement dans ce domaine. Le rayonnement de l'outre-mer n'est-il pas également celui de la France dans le monde ?

Un protocole d'accord a été signé en 1994 à Saint-Pierre-et-Miquelon en matière de coopération régionale, à la suite des épisodes dramatiques que nous avons connus au cours de notre histoire. Il est inutile de rappeler ces événements aujourd'hui - cela a été fait à de très nombreuses reprises -, même si de récentes déclarations à l'Assemblée nationale, lors de l'examen des missions ministérielles relatives à l'action extérieure de l'État, laissent à penser que la situation économique de l'archipel est fort mal connue dans certains ministères.

Chaque année, depuis dix ans, se tient à Saint-Pierre-et-Miquelon une commission mixte de coopération régionale, qui est coprésidée par le représentant de l'État français dans l'archipel - le préfet - et par le représentant du gouvernement canadien. Malheureusement, après une dizaine de rencontres annuelles, il est regrettable de constater l'inertie qui prévaut dans les domaines économiques et commerciaux, qui nous concernent plus particulièrement.

Selon un responsable de la partie canadienne, ces rencontres se résument à ceci : « De beaux discours, une coupe de champagne, ... et à l'année prochaine ! »

J'en déduis que, sous prétexte de ne pas déplaire, de ne pas porter atteinte aux bonnes relations franco-canadiennes, nous en sommes réduits au dialogue conventionnel, institutionnel, sans évoquer le sujet principal, à savoir le développement économique, notamment celui de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Monsieur le ministre, est-il raisonnable de penser que le développement économique de ces petites îles françaises puisse porter préjudice à l'économie d'un grand pays comme le Canada ? La défense légitime des intérêts de cet archipel du nord-ouest de l'Atlantique peut-elle nuire aux relations franco-canadiennes, qui se portent si bien depuis de nombreuses années ? Je ne le pense pas.

En 1993, alors qu'une délégation - dont je faisais partie - était venue à Paris pour défendre les intérêts de Saint-Pierre-et-Miquelon, un ministre de l'époque nous avait dit : « Il n'est pas question de déclarer la guerre au Canada pour quelques morues... » Métaphore intéressante quand on parle de l'avenir de toute une population ! Mais peut-être le contexte particulier de l'époque pouvait-il expliquer ces propos quelque peu excessifs.

En réalité, plus que les ressources halieutiques, c'est le sous-sol marin qui était l'objet de la convoitise de nos voisins. À l'époque, nous aurions pu, nous aurions dû mieux défendre nos droits étant donné les enjeux. Aujourd'hui, il m'apparaît qu'une bonne coopération régionale ne peut être qu'un atout supplémentaire pour faire valoir nos droits, y compris ceux qui concernent le plateau continental et les hydrocarbures.

Lors de déplacements récents au Canada, j'ai rencontré certains représentants des milieux économiques et politiques ouverts à un dialogue constructif, se disant même dans l'attente de réels projets de coopération économique avec notre archipel. Or ces personnes n'avaient nullement l'air inquiet devant notre volonté de développement économique dans la région.

Le seul problème est que, face à ces partenaires potentiels, nous manquons gravement de pragmatisme et de volonté. C'est ainsi que le préfet ne dispose pas de l'ombre d'un budget pour mettre en oeuvre les résolutions prises lors de nos rencontres. Notre crédibilité, ainsi que celle de la France, s'en trouvent mises à mal.

Monsieur le ministre, il est aujourd'hui impératif et urgent de mettre en place les moyens nécessaires, financiers et humains, si l'on veut promouvoir une véritable politique économique régionale pour Saint-Pierre-et-Miquelon.

Notre droit d'exister dans cette partie du monde a été acquis par nos ancêtres, qui se sont battus au nom de la France et qui nous l'ont légué. Ensemble, élus locaux, parlementaires et pouvoirs publics d'outre-mer, avec l'aide de l'État, mettons donc tout en oeuvre pour affirmer dignement et légitimement ce droit d'exister et pour le transmettre, à notre tour, à nos enfants. Je suis intimement convaincu que personne ne contestera une telle volonté !

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