Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, avec l'examen des crédits de la mission budgétaire « Aide publique au développement », nous sommes au coeur de l'actualité internationale récente.
En effet, tant le sommet Euro-Med qui s'est tenu à Barcelone à la fin du mois de novembre que le vingt-troisième sommet France-Afrique qui vient d'avoir lieu à Bamako nous ont montré l'importance cruciale de la question du développement des pays du Sud à l'heure de la mondialisation.
Au-delà de leurs insuffisances criantes et de l'absence de décisions fortes et concrètes pour apporter des solutions aux problèmes posés, le mérite de ces sommets a été de mettre en lumière le décalage considérable entre les besoins exprimés et les moyens mis en oeuvre par les pays développés pour les satisfaire.
Lors de la rencontre citoyenne, qui a précédé celle de Bamako et qui a regroupé deux cents participants venus de douze pays représentant une centaine d'organisations de la société civile, a été dressé le bilan de vingt-deux sommets bien maigres.
Selon l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, chaque année près de 6 millions d'enfants meurent de faim dans le monde. Des millions d'autres font encore la guerre, alors que d'autres accomplissent un travail harassant, comme l'a montré récemment un reportage insoutenable consacré à la production de briques par des enfants pakistanais âgés de six ans.
Par ailleurs, 320 millions des 830 millions d'hommes et de femmes que compte le continent africain survivent avec moins de 1 dollar par jour. En 2005, notons que 2, 4 millions d'Africains sont morts du sida, 1 million du paludisme. De plus, 7 millions de jeunes sont sans travail. Voilà pourquoi ils cherchent à partir, monsieur Nogrix ! On mesure l'ampleur des problèmes à résoudre.
Des efforts importants sont faits par notre pays, je ne les nie pas, mais ils sont tellement loin du compte !
Certes, en volume de crédits, ce que vous nous proposez, madame la ministre, correspond à l'objectif fixé par M. le Président de la République de porter notre aide publique au développement à 0, 5 % du revenu national brut en 2007 pour atteindre 0, 7 % en 2012. Votre budget pour 2006 est construit sur un objectif de 0, 47 %, soit 8, 2 milliards d'euros.
À ce rythme, on peut douter que les objectifs du Millénaire adoptés par la communauté internationale soient réellement atteints. Nous savons tous qu'en agissant ainsi il ne sera pas possible de réduire de moitié, d'ici à 2015, le nombre de ceux qui vivent avec moins de 1 euro par jour, ni d'assurer la scolarisation de tous les enfants, et encore moins de réduire de deux tiers la mortalité infantile, pour ne prendre que quelques exemples.
Mais il ne s'agit pas simplement du rythme de l'augmentation de l'aide ou du volume des crédits. Il faut examiner de plus près la répartition des sommes consacrées aux différentes formes d'aides afin qu'elles soient durables.
Tout d'abord, dans la hausse de l'aide publique au développement sont encore comptabilisés les annulations et les allégements de dette. L'aide publique et l'annulation, ou la réduction, des dettes sont toutes deux indispensables au développement des pays du Sud. Mais ces deux instruments distincts doivent s'additionner, et non se fondre.
Les annulations et allégements de dette représentent pourtant une part non négligeable ; vous les évaluez vous-même, madame la ministre, au tiers de la progression de l'APD entre 2002 et 2006. Quelles garanties pouvons-nous avoir que le rythme de hausse sera maintenu lorsque les contrats de désendettement-développement viendront à expiration en 2008 ?
De plus, je relève que l'augmentation des crédits porte essentiellement sur nos engagements multilatéraux, alors que nos dépenses bilatérales stagnent. Nous aurions préféré que ces dernières augmentent car c'est surtout à travers ces dépenses bilatérales, et plus encore à l'avenir avec les documents cadres de partenariat, que l'action de la France est la plus efficace et est perçue en tant que telle.
Il y aurait pourtant beaucoup à dire sur l'action et le mode de fonctionnement de l'Agence française de développement qui pilote l'ensemble des projets mais qui a une approche trop technocratique dans le domaine du développement économique et social. Il est absolument nécessaire que ses compétences soient élargies aux domaines qualitatifs que sont l'éducation et la santé, et que les effectifs de l'assistance technique, actuellement réduits à la portion congrue, mais qui sont la cheville ouvrière de la mise en oeuvre des projets, soient considérablement augmentés - j'insiste sur ce point.
Il y va de la qualité de l'aide que nous dispensons.
Et pourtant, vous privilégiez notre niveau de contribution et notre présence dans les différents organismes d'aide multilatérale qui dépendent de l'ONU, de l'Union européenne ou d'institutions financières internationales.
Peut-on seulement se satisfaire d'être le premier contributeur au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, ou encore au Fonds africain de développement ou au Fonds européen de développement ? Nous devons penser en termes d'efficacité et de qualité de notre aide plutôt qu'en seuls termes de quantité. N'y a-t-il pas là aussi le risque que l'action de la France soit diluée au sein de ces organismes, qu'elle soit réduite au rang de bailleur de fonds et qu'elle n'ait plus qu'une maîtrise limitée sur les programmes mis en oeuvre ?
L'aide multilatérale se fait au détriment de l'aide directe aux pays qui est la plus efficace et la plus concrète. Il me semble aussi que ce déséquilibre n'est pas conforme à ce qui fait l'originalité du modèle français d'aide au développement qui repose sur la multiplicité des intervenants, à savoir l'État en premier lieu, mais aussi les collectivités locales et les ONG, dont je salue le rôle irremplaçable.
À cet égard, le dernier comité interministériel pour la coopération internationale et le développement avait reconnu le rôle éminent joué par les ONG dans la mise en oeuvre d'une coopération correspondant à la réalité du monde qui se doit d'associer étroitement la société civile et de favoriser la coopération décentralisée pour que l'aide au développement soit non seulement l'affaire de l'État mais aussi celle des citoyens.
La reconnaissance des pouvoirs publics est pourtant loin de toujours se traduire en termes de moyens, puisque notre pays occupe le dernier rang de l'Union européenne et de l'ensemble des pays donateurs pour la part de son aide publique au développement mise en oeuvre par les ONG.
Afin de tenter de combler ce fossé entre les discours et les actes et de reprendre un engagement du Président de la République, le Gouvernement s'est engagé à doubler en cinq ans la part de l'APD mise en oeuvre par le canal des ONG.
Toutefois, madame la ministre, il est difficile de le vérifier avec la nouvelle présentation imposée par la LOLF : en effet, alors que, dans le « bleu » de la mission « Aide publique au développement », de nombreuses dépenses de programmes sont détaillées, aucun montant n'est mentionné pour les crédits attribués aux ONG. Pourrez-vous m'apporter des éclaircissements sur ce point ?
Enfin, madame la ministre, la politique du Gouvernement gagnerait fortement en lisibilité et en sécurité si elle était sous-tendue par une loi de programmation contraignante. Celle-ci serait d'ailleurs conforme aux engagements pris par le Président de la République lors de la campagne présidentielle de 2002, qui avait fait de l'APD l'une des quatre priorités budgétaires, aux côtés de la sécurité, de la justice et de la défense.
Un véritable débat pourrait ainsi avoir lieu chaque année pour vérifier que nos engagements, notamment les objectifs de 0, 5 % en 2007 et de 0, 7 % en 2012, seront bien tenus et nous aurions la possibilité d'ajuster notre politique en perfectionnant nos instruments et en rendant plus lisible et plus efficace notre dispositif.
J'ai d'ailleurs quelques craintes sur la possibilité réelle de financer et de tenir ces engagements quand je vois, par exemple, le peu de succès qu'a rencontré, sur le plan international, la proposition du Président de la République d'une contribution de solidarité sur les billets d'avions.
De même, êtes-vous vraiment soutenue par votre majorité sur cette question ? Si j'en juge par les réticences qu'elle a émises en réunion de commission à l'Assemblée nationale lors de la discussion du collectif budgétaire, la réponse est non !
J'ajoute que les ONG elles-mêmes demandent cette loi de programmation, car elles imposent souvent à leurs partenaires une planification pluriannuelle de leurs opérations.
Madame la ministre, si l'aide publique au développement, aussi inférieure soit-elle au regard des immenses besoins, est indispensable pour ne pas laisser un grand nombre de pays et de peuples en marge du reste de l'humanité, elle est cependant insuffisante.
Si elle ne s'accompagne pas de profondes réformes de structures de l'économie mondiale, elle risque fort d'être un tonneau des Danaïdes, et donc d'être peu utile et peu efficace.
Il faut que la France agisse plus systématiquement au plan international pour garantir à ces pays des prix de matières premières et de produits agricoles équitables et rémunérateurs leur permettant de développer réellement leurs économies.
La France doit ainsi jeter les bases d'une nouvelle coopération libérée de tout esprit de domination, de paternalisme, pour construire une dynamique fondée sur le respect mutuel et l'avantage réciproque.
Malheureusement, nous n'en prenons pas vraiment le chemin, si j'en juge par l'état d'esprit que révèle l'adoption de cet article de loi vantant les bienfaits de la colonisation, que nous n'avons pas voté et dont nous demandons l'annulation.
Je pense, en particulier, au rôle que nous avons à jouer lors des prochaines négociations de l'OMC, au cours desquelles nous devrons être fermes et ne pas céder sur la question des tarifs douaniers.
Sans protection douanière importante, il ne peut y avoir de prix rémunérateurs pour les paysans, ni d'aménagement harmonieux des territoires, ni de mise en place de nouvelles filières de production. Sans tarifs douaniers importants, l'affaiblissement des agricultures de nombreux pays peut entraîner des catastrophes : effondrements et flambées des prix, désertifications massives des zones rurales des pays riches, famines et immigration accentuée du Sud vers le Nord.
Cette question des prix rémunérateurs est une condition sine qua non du développement. Elle est tout à fait d'actualité, comme nous avons pu le voir récemment à propos des prix du coton ou de la banane.
C'est sur tous ces niveaux que nous devons jouer en complément de l'aide publique au développement.
Malheureusement, madame la ministre, dans tous ces domaines et à tous ces niveaux, l'action du Gouvernement n'est pas adaptée, les crédits ne correspondent pas aux exigences.
C'est la raison pour laquelle le groupe communiste républicain et citoyen ne votera pas votre projet de budget.