Monsieur le président, madame, monsieur le ministre, mesdames les secrétaires d'Etat, mes chers collègues, après cinq années d'excédents, la branche famille n'est désormais plus épargnée par les difficultés financières.
L'année 2004 devrait ainsi enregistrer un déficit de près de 183 millions d'euros, les recettes ayant augmenté moins que prévu et les dépenses ayant crû plus rapidement. Ce léger dérapage s'explique globalement par une conjoncture économique difficile, donc favorable à l'augmentation des prestations sous condition de ressources ; il résulte aussi d'un calibrage trop imprécis de la nouvelle prestation d'accueil du jeune enfant, la PAJE, établi l'an dernier.
La branche devrait de nouveau connaître un déficit en 2005, mais limité cette fois à 31 millions d'euros. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale tend en effet à rétablir l'équilibre des comptes en tablant sur une augmentation de 3, 2 % pour les recettes, grâce au retour de la croissance, et de 2, 9 % seulement pour les dépenses.
Si ces prévisions se réalisent et si l'embellie économique se maintient, le retour à une situation excédentaire des comptes de la branche famille est envisageable à compter de 2006.
La progression des recettes devrait résulter d'une augmentation de 3, 5 % de la contribution sociale généralisée, car la croissance a pour conséquence d'accroître le rendement du point de CSG : celui-ci passerait de 8, 9 milliards d'euros en 2003 à 9, 6 milliards d'euros en 2005, soit une augmentation de 7, 4 % sur deux ans.
Les cotisations sociales, qui représentent près de 60 % des recettes de la branche, devraient conserver leur taux d'augmentation habituel, soit 3 %.
Troisième source de recettes, les remboursements de l'Etat à la Caisse nationale des allocations familiales, la CNAF, pour les prestations qu'elle sert pour son compte, devraient atteindre 5, 9 milliards d'euros en 2005. Cette dernière ressource est toutefois peu fiable, dans la mesure où près du tiers de cette somme est versé par l'Etat en année n +1, au détriment de la trésorerie de la CNAF, ce que notre commission dénonce d'ailleurs chaque année.
Or cette situation ne va pas s'améliorer puisque, à compter de 2005, l'Etat remboursera à la CNAF, selon un schéma identique, les prestations légales et l'action sociale familiale collective des fonctionnaires. C'est déjà ainsi qu'il procède pour la PAJE et les aides au logement versées aux agents de l'Etat.
Cette mesure nouvelle concerne 430 000 nouveaux allocataires : seule l'action sociale individuelle devrait rester du ressort de l'Etat, les plafonds de ressources requis actuellement pour les fonctionnaires étant supérieurs à ceux des CAF.
En transférant cette charge à la CNAF, l'Etat devrait pouvoir économiser l'équivalent de six cents emplois. Le coût de cette opération est estimé, pour 2005, à 80 millions d'euros pour la CNAF, pris en charge par l'Etat grâce à une augmentation de son taux de cotisation de 5, 2 % à 5, 3 %.
La commission des affaires sociales n'est pas hostile à cette mesure, mais elle souhaite vivement qu'elle constitue une opération neutre pour la branche famille. Il conviendra donc de veiller, madame la ministre, à ce que l'Etat rembourse rapidement son dû à la CNAF, y compris en ce qui concerne les frais de gestion.
Les dépenses de la branche consistent, à 70 %, en des prestations légales, pour un total de 35 milliards d'euros en 2005.
Ces prestations légales augmentent faiblement, ce qui s'explique par le fait que les prestations d'entretien continuent de baisser en raison de la transformation des structures familiales, notamment de la diminution de la taille moyenne des familles résultant des séparations. La CNAF sert donc de plus en plus de prestations à des familles d'un à deux enfants, alors que c'est à partir de trois enfants que leur montant augmente sensiblement.
Enfin, si les entrées d'enfants dans le dispositif ont été numériquement importantes ces dernières années, elles ont été compensées par les sorties, tout aussi nombreuses, des générations nées au début des années quatre-vingt.
L'analyse de l'évolution des prestations d'entretien est toutefois délicate cette année en raison de la mise en place de la PAJE : curieusement, cette prestation est non pas comptabilisée dans la rubrique « prestations d'entretien », mais constitue une catégorie propre. En outre, son instauration a entraîné la diminution mécanique des deux autres prestations d'entretien qu'elle a remplacées : l'allocation pour jeune enfant, l'APJE, et l'allocation d'adoption.
En définitive, les dépenses de la branche famille consacrées aux prestations légales sont en recul par rapport à celles qui sont consacrées à l'action sociale et aux aides au logement versées aux familles les plus modestes.
Ce constat est renforcé par le poids grandissant des prestations légales versées sous condition de ressources, qui représentent désormais plus de la moitié du volume des prestations en 2004. Une conclusion semble s'imposer : la politique familiale se détourne d'une action en faveur de l'ensemble des familles.
La commission des affaires sociales comprend la légitimité d'une redistribution en faveur des familles les plus modestes, mais elle souhaite rappeler la vocation universelle de la politique familiale, symbolisée par les allocations familiales qui sont versées à toutes les familles sans condition de ressources.
Pour développer ce caractère universel, il est aujourd'hui nécessaire, madame la ministre, d'engager une réflexion sur les missions de la branche famille et de revaloriser plus largement la base mensuelle des allocations familiales, la BMAF, pour permettre une augmentation générale de l'ensemble des prestations. Celles-ci n'ont pas été revalorisées au-delà du taux d'inflation depuis 1997, même lorsque des périodes de croissance favorable auraient permis de l'envisager. En 2005, de nouveau, la hausse de la BMAF est fixée à 2, 2 %, ce qui correspond à l'inflation et pas davantage.
Dans ce contexte financier moins favorable, la branche famille doit désormais arbitrer entre ses choix. C'est d'autant plus préoccupant que sa marge de manoeuvre est singulièrement réduite par les charges indues qu'elle supporte.
La plus coûteuse de ces dépenses indues concerne la prise en charge des majorations de pension de retraite pour enfants depuis la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001. Celles-ci sont versées par le fonds de solidarité vieillesse, en tant qu'avantage vieillesse, comme un juste retour accordé aux parents qui ont contribué, en élevant au moins trois enfants, à l'équilibre des régimes de retraite par répartition. La CNAF lui restitue ensuite une fraction de cette majoration, soit 60 % depuis la loi de financement de la sécurité sociale pour 2003.
Le présent projet de loi de financement de la sécurité sociale a maintenu ce taux à 60 %, ce qui correspond à un versement de 1, 97 milliard d'euros, en hausse de 1, 9 % par rapport à 2004 en raison de l'augmentation du nombre de départs à la retraite.
La commission approuve, bien entendu, le fait que ce taux de prise en charge ait été maintenu au même niveau en 2005, et non pas augmenté, mais elle déplore une fois encore cette utilisation abusive des moyens de la branche, au détriment des mesures qui pourraient être prises en faveur des familles.
Dans ce contexte, la CNAF a porté sa priorité sur l'accueil de l'enfant et sur l'aide aux familles défavorisées, ce que confirment les dispositions du présent texte.
En 2004, la mesure phare a été l'institution de la PAJE, afin d'aider financièrement les familles à la naissance ou à l'adoption d'un enfant, puis de les assister pour en assurer la garde. Cette prestation est versée désormais à 90 % des familles, soit 200 000 bénéficiaires de plus que dans le précédent système.
La deuxième étape en faveur de l'accueil de l'enfant consistera, en 2005, à réformer le système d'adoption.
En vingt ans, le nombre d'adoptions internationales a quadruplé en France : il atteignait, en 2003, le chiffre record de 3 995 enfants. Malgré cette progression, ce sont au mieux 5 000 enfants qui sont adoptés chaque année. Or 23 000 familles sont à ce jour en attente d'adoption et 8 000 nouveaux agréments sont délivrés chaque année.
Ce constat a conduit à l'élaboration d'une réforme, articulée autour des objectifs suivants : améliorer les procédures pour mieux aider les candidats à l'adoption ; rendre plus lisible le dispositif d'adoption internationale afin de faciliter les démarches des familles - une agence française de l'adoption sera créée et 3 millions d'euros sont inscrits à ce titre dans le projet de loi de finances pour 2005 ; mieux associer le réseau consulaire aux procédures et favoriser le développement des actions de coopération en matière de protection de l'enfance ; enfin, améliorer la prise en charge, le suivi et la santé des enfants adoptés.
En outre, le présent PLFSS propose de doubler la prime à l'adoption et de la porter à 1 600 euros, pour un coût total de 2 millions d'euros, afin de tenir compte du coût des démarches entreprises par les familles adoptantes.
La troisième piste choisie pour favoriser l'accueil de l'enfant consiste à développer l'offre de garde, d'abord en réformant le statut des assistants maternels pour rendre ce métier plus attrayant grâce au projet de loi qui est en cours d'examen.
S'agissant de l'offre de garde collective, les dernières années ont été marquées par l'application de deux dispositifs.
D'une part, trois fonds exceptionnels pour la création de places de crèches ont été successivement institués depuis 2000. Le troisième système d'aide à l'investissement pour la petite enfance, doté de 160 millions d'euros, a été mis en place au mois d'avril 2004. Les résultats sont très positifs : au 31 juillet 2004, 475 millions d'euros avaient globalement été engagés, sur près de 3 200 projets, permettant le financement de plus de 70 000 places. En 2005, 761 projets seront mis en oeuvre et financés à hauteur de 78 millions d'euros.
D'autre part, l'aide aux crèches privées a également été développée. Ces structures peuvent recevoir des subventions des CAF et sont éligibles au crédit d'impôt « famille » institué par l'article 98 de la loi de finances de 2004.
Outre l'accueil de l'enfant, la branche famille a aussi choisi de développer l'aide aux familles défavorisées au travers de l'action sociale des CAF : 8 % des dépenses de la branche. Au total, le fonds national d'action sociale devrait dépasser, en 2005, 3, 1 milliards d'euros, soit une augmentation de 3, 2 %.
Deux domaines de l'action sociale ont été particulièrement encouragés en 2004 et seront renforcés en 2005 : l'information des familles, avec l'installation des « points info familles », et la médiation familiale.
A cet égard, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2005 prévoit une réforme du mode de financement de l'Union nationale des associations familiales, l'UNAF, en charge d'une partie de l'action sociale. Cette réforme s'appuie sur les travaux menés par le ministère de la famille et de l'enfance, en lien avec l'UNAF, et sur les observations de la Cour des comptes.
Le fonds spécial de l'UNAF, soit 24, 3 millions d'euros en 2005, se décomposera en deux enveloppes. La première - 80 % de la dotation - permettra de financer les quatre missions traditionnelles de l'UNAF, à savoir la représentation des familles et l'appui au développement de la vie associative, l'émission d'avis aux pouvoirs publics, les actions en justice et la gestion des services d'intérêt général.
Le solde permettra de financer des actions nouvelles liées à la politique familiale, dont le contenu sera précisé par une convention conclue entre l'UNAF et le ministère de la famille.
La commission des affaires sociales a considéré parfaitement justifié l'esprit de clarification et de transparence qui a présidé à cette réforme.
Après les prestations légales et l'action sociale, les aides au logement constituent le troisième domaine d'intervention de la branche famille et concernent plus de 20 % de ses dépenses. La branche devrait participer à leur financement à hauteur de 6, 6 milliards d'euros en 2005, soit autant qu'en 2004.
Cette stabilité du niveau de dépenses ne résulte pas seulement des effets positifs de l'amélioration de la conjoncture économique. En réalité, les aides au logement ont fait l'objet de mesures d'économie. Je pense, notamment, aux aides de faible montant qui ne seront désormais plus versées lorsqu'elles seront inférieures non plus à 15 euros mais à 24 euros ; cette mesure va exclure environ 75 000 familles du bénéfice de ces aides.
A cet égard, nous avons estimé qu'une réflexion pourrait être menée pour prévoir un versement annuel de l'aide au logement lorsque la mensualité est inférieure à 24 euros. Nous souhaitons, madame la ministre, que cette mesure puisse être rapidement mise à l'étude, et j'observe que des amendements ont d'ores et déjà été déposés en ce sens.
Après l'accueil et la garde des jeunes enfants et l'aide aux familles défavorisées, la branche famille aborde d'autres grands thèmes : la jeunesse, la démographie et les familles fragiles, qui constituent autant de défis pour notre société. Elle doit aussi préparer sa propre évolution en modernisant ses instruments de gestion dans la nouvelle convention d'objectifs et de gestion qui sera négociée avec l'Etat en 2005 pour les quatre années à venir.
La conférence de la famille de juin 2004 a été consacrée à l'adolescence. Elle a prévu différentes mesures orientées vers trois objectifs que je juge fondamentaux : valoriser l'engagement personnel, prévenir les comportements à risques et développer l'autonomie de l'adolescent. Il se trouve, par chance, que ces mesures n'emportent pas de réelles conséquences financières sur les comptes de la branche en 2005.
Vous avez choisi, madame la ministre, de travailler sur les thèmes de la démographie et des familles défavorisées en 2005. A ce titre, nous souhaitons apporter notre soutien à la préparation de la prochaine conférence de la famille par une participation active aux travaux préliminaires.
Pour mener à bien ces grands projets de la politique familiale, les ressources financières nécessaires devront être dégagées. Vous comprendrez, mes chers collègues, que la commission des affaires sociales soit particulièrement demandeuse d'un rapide retour à l'équilibre de la branche, et surtout d'une clarification des charges de la CNAF.
Sous réserve de cette observation, la commission a adopté les dispositions relatives à la famille du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2005.