Il faut faire évoluer les comportements, notamment sur deux points : le taux d'emploi des séniors et les préretraites, que certains qualifient de « drogue dure » de l'économie française.
La cessation précoce d'activité, conçue comme exceptionnelle au début des années 1980, s'est institutionnalisée et généralisée.
Le « stock » des préretraites, au sens large, dépasse ainsi aujourd'hui 480 000 bénéficiaires, soit l'équivalent d'une classe d'âge née pendant la Seconde Guerre mondiale !
Cette situation résulte, on le sait, d'un consensus national implicite entre les employeurs, les salariés et les syndicats. Or le résultat de cette intention partagée est incompatible avec l'intérêt général du pays.
Selon une étude réalisée sur l'ensemble des pays de l'OCDE, son coût d'opportunité pour notre économie pourrait dépasser 10 % de la richesse nationale potentielle.
Avec seulement 40 % de personnes actives parmi les personnes âgées de 55 à 64 ans, notre pays se classe presque au dernier rang des pays européens avant la Belgique et le Luxembourg.
Il faut donc renforcer la politique « anti-préretraites ». La loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites a déjà marqué une inflexion majeure dans ce domaine : les dispositifs existants ont été recentrés sur la pénibilité et les préretraites « maison » financièrement pénalisées. Mais l'impact de ces mesures se trouve, dans l'immédiat, contrarié par les effets du dispositif « carrières longues ». Surtout, le taux de chômage, aujourd'hui stabilisé autour de 10 % de la population active, explique la persistance mezza voce d'une politique de retrait d'activité.
Pourtant, des expériences réussies menées dans d'autres pays industrialisés - la Finlande notamment - montrent qu'il est possible d'accroître le taux d'activité des séniors.
Le dernier rapport du Conseil d'orientation des retraites évoque l'amorce d'une remontée en France depuis 1996. Toutefois, il tempère aussitôt cette évolution positive en l'expliquant pour moitié par des facteurs démographiques. Les témoignages des directeurs des ressources humaines des grandes entreprises françaises tendent aussi à relativiser ce timide jugement optimiste. Lors d'un récent colloque organisé à ce sujet, j'ai pu mesurer l'inquiétude des spécialistes du droit du travail face à la lenteur des changements de comportement.
Au terme de mon propos, je souhaite vous faire part, mes chers collègues, d'une double conviction fondée sur mon expérience des trois dernières années, au cours desquelles j'ai eu l'honneur de rapporter pour la commission des affaires sociales l'ensemble des textes de loi consacrés aux retraites.
Ma première conviction, c'est que nous n'aurons en réalité jamais fini de réformer les retraites. Après une décennie d'immobilisme, il nous faut organiser le pilotage de l'assurance vieillesse par des ajustements réguliers, raisonnables et de long terme.
Ma deuxième conviction, c'est que la logique de la réforme de 2003 n'est qu'accessoirement comptable et financière. Son ambition est d'éviter l'apparition de conflits de génération ou l'opposition entre les ressortissants du régime général et de la fonction publique, sans même évoquer ceux des régimes spéciaux.
Je crois au vrai choix de la solidarité et de l'équité et au refus des corporatismes : ce sont les termes nobles d'un débat politique fondamental que le Parlement en général, notre assemblée en particulier, s'honorera de conduire.