Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour l'année 2005 est bien décevant, notamment en ce qui concerne les familles : pas la moindre ambition pour la politique familiale ; aucune évolution positive ; aucune mesure phare, excepté le doublement de la prime d'adoption ; pas de mesures spécifiques pour les familles en difficulté, en situation de précarité.
Bien au contraire, les aides au logement, destinées à prévenir la pauvreté et l'exclusion, et dont l'importance est prépondérante pour les familles en situation difficile, se trouvent modifiées, risquant de ce fait de fragiliser encore plus ces familles.
La question primordiale de l'adolescence est laissée de côté, alors que la France compte aujourd'hui 5 400 000 jeunes âgés de onze à dix-sept ans. A cet égard, nous nous souvenons tous que les Conférences de la famille de 2002 et 2004 avaient affiché, dans ce domaine, des objectifs ambitieux.
Que sont-ils devenus ?
Pour la première fois depuis 1998, l'année 2004 devrait être celle du déficit de la branche famille, résultat de la dégradation sans précédent des comptes et du laxisme du Gouvernement en matière de politique économique.
Nous veillerons à ce que le budget de l'action sociale ne pâtisse pas de ce déficit ; nous veillerons à ce que, sous couvert de mesures dites « techniques », de nombreuses familles ne soient pas exclues de l'accès aux prestations.
Car c'est bien ce déficit, pourtant annoncé dès 2003, qui explique la pauvreté des mesures en direction des familles que vous nous avez proposées depuis. C'est bien ce déficit cumulé qui a conduit le Gouvernement à faire des économies au détriment de la politique familiale.
En effet, aujourd'hui, nous pouvons observer que ce projet contient nombre de mesures d'économie qui pénalisent fortement les familles modestes.
Au demeurant, cette politique restrictive n'est pas nouvelle. Dès le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2004, nous observions les méfaits de la PAJE, la prestation d'accueil du jeune enfant, que nous dénoncions ici même il y a pratiquement un an jour pour jour.
Cette PAJE, qui était présentée par le Gouvernement comme un grand progrès, a en réalité durci les conditions requises pour bénéficier de l'allocation du libre choix d'activité.
Dorénavant, pour pouvoir en bénéficier, les mères de trois enfants et plus doivent avoir travaillé deux ans dans les cinq ans qui précèdent chacune des naissances, alors qu'il leur suffisait auparavant d'avoir travaillé deux ans dans les dix ans qui précédaient la troisième naissance.
Où est le progrès ? Nous voyons plutôt une régression !
Un bilan du dispositif PAJE devait être dressé en septembre 2004, ce qui n'a pas été fait. Nous attendons toujours cette étude ; nous y porterons une particulière attention.
De plus, en 2004, la réforme de la prestation d'accueil du jeune enfant a failli remettre en cause gravement l'API, l'allocation de parent isolé. En effet, l'instauration, depuis le `1er janvier 2004, de la PAJE lésait les mères isolées les plus pauvres touchant l'API. L'allocation allouée aux mères avec un enfant né après le 1er janvier 2004 aurait, en effet, pu être diminuée de 1 300 euros par rapport à celle dont bénéficiaient les mères avec un enfant né avant cette date. Ce sont ainsi 400 000 jeunes mères qui auraient été lourdement pénalisées et 50 millions d'euros économisés !
On peut se demander si, sous couvert de réformer l'accueil du jeune enfant, le Gouvernement n'a pas voulu, là encore, faire des économies au détriment des mères isolées.
On ne voit encore que restrictions et économies en matière d'aides au logement.
Ce sont 75 000 familles qui seront exclues des aides au logement dès lors que les aides de faible montant ne seront plus versées, le minimum passant de 15 euros à 24 euros.
C'est ainsi qu'une famille de deux enfants vivant avec un salaire mensuel net de 1 900 euros ne bénéficiera désormais plus de cette aide.
La raison en serait les coûts de gestion ! Permettez-nous de nous interroger !
En effet, n'aurait-il pas été possible de diminuer ces coûts de gestion en effectuant un seul versement annuel ? M. Lardeux, alors rapporteur de la commission des affaires sociales, avait en son temps fait cette suggestion.
Non, il s'agit bien d'économies, effectuées, cette fois, au détriment des familles des classes moyennes.
Il en va de même pour la revalorisation des plafonds de ressources.
C'est ainsi que, aux termes de deux décrets signés au coeur de l'été, le 15 juillet dernier, les frais de garde des enfants ne seront plus déductibles des ressources pour bénéficier des prestations familiales.
Jusqu'à présent, les familles qui faisaient garder leurs enfants de moins de sept ans pouvaient déduire de leurs revenus 762 euros. Depuis juillet, c'est terminé !
Ainsi, 100 000 familles sont directement touchées par cette mesure, qui permet au Gouvernement de réaliser 40 millions d'euros d'économies !
Ces revalorisations toucheront aussi les 6 000 familles des classes moyennes qui se situaient à la limite du droit à l'allocation de rentrée scolaire ou à l'allocation pour jeune enfant et qui vont perdre, dans le premier cas, 257 euros par enfant et, dans le second cas, 161 euros par mois.
Economies encore : les droits des chômeurs ne seront réexaminés que deux mois après la perte de leur emploi. Cette mesure concernera 80 000 familles et permettra au Gouvernement de « gagner » 20 millions d'euros !
Quant aux veuves et aux veufs, nous savons déjà, depuis le décret du mois d'août relatif aux pensions de réversion, qu'ils risquent de se retrouver dans des situations catastrophiques. Nous attendons du Gouvernement qu'il revienne sur ces dispositions qui leur portent gravement préjudice.
Toutes ces mesures d'économie contrastent fortement avec les cadeaux fiscaux destinés à privilégier les familles les plus aisées, celles qui emploient, par exemple, une personne à leur domicile, cadeaux fiscaux qui vont concerner moins de 40 000 familles très aisées. En effet, pour bénéficier pleinement de cette réduction d'impôt, il faudra disposer d'un niveau de revenus permettant d'engager 15 000 euros de dépenses sur l'année, soit 1 250 euros par mois !
A titre d'exemple, cette mesure aura pour effet de rendre non imposable un couple avec deux enfants disposant d'un revenu imposable mensuel de presque 4 600 euros, soit 55 000 euros par an. Ces chiffres sont éloquents !
Nous regrettons vivement que la politique menée précédemment par le gouvernement de gauche en faveur des structures collectives d'accueil du jeune enfant ne soit pas poursuivie.
Le manque de mesures dont fait preuve ce projet de loi de financement de la sécurité sociale est l'illustration du choix du Gouvernement, qui consiste à privilégier les modes de garde individuels au détriment des modes de garde collectifs.
Nous aurons l'occasion dans quelques jours, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2005, de revenir à nouveau sur la progression très faible des prestations d'aide à la garde des enfants, qui n'est que de 0, 1%, progression qu'il faut comparer à celle de 2, 9% atteinte en 2001 et à celle de 5, 6% atteinte en 2002.
Je le répète, alors que les prestations logement et les prestations familiales jouent un rôle majeur dans la prévention de la pauvreté et de l'exclusion, le Gouvernement a délibérément choisi, à travers toutes les mesures d'économie dont je viens de parler, de fragiliser les familles modestes.
Ces décisions viennent contredire les intentions affichées par le Gouvernement, il y a quelques jours à peine, autour de la médiatisation du projet de loi pour la cohésion sociale !
Le sort des familles fragilisées est renvoyé à la prochaine Conférence de la famille. Pourquoi attendre encore, alors que le Conseil de l'emploi des revenus et des coûts, le CERC, dans un rapport du 21 janvier dernier, a souligné qu'un à deux millions d'enfants peuvent être considérés comme pauvres aujourd'hui en France et que le taux de pauvreté des enfants augmente avec l'âge, les transferts sociaux étant plus efficaces pour les jeunes enfants que pour les adolescents !
Je n'omettrai pas d'évoquer l'inadaptation de la politique familiale actuelle destinée à aider les familles à financer les études des adolescents, ni la dégradation de la situation financière des étudiants, dont 100 000 vivent dans la précarité.
A aucun moment, le Gouvernement n'a voulu se saisir de ces questions. Madame la ministre, permettez-moi de vous dire notre désaccord sur ce choix.
Le projet de loi sur la cohésion sociale, que le Sénat vient d'examiner, aurait pu être le support permettant de prendre les mesures destinées à améliorer la situation de ces enfants et de ces jeunes. Pourquoi attendre le printemps 2005 alors qu'il y a urgence ?
En 2005, la CNAF devra faire face à une importante augmentation du nombre de ses allocataires puisqu'elle devra prendre en charge la gestion des prestations familiales des fonctionnaires.
Cette mesure concerne à terme 430 000 nouveaux allocataires et est évaluée par la CNAF elle-même à 80 millions d'euros pour 2005.
Nous veillerons à ce que ce transfert n'implique pas une nouvelle dégradation des comptes de la branche famille. En effet, nous ne savons pas encore comment l'Etat compensera les cotisations « employeurs ».
J'en arrive aux quelques mesures proposées par le présent projet de loi de financement de la sécurité sociale.
La première concerne l'allocation d'adoption, qui est doublée pour atteindre 1 624 euros.
Cette mesure, certes intéressante, reste néanmoins symbolique pour les familles concernées, notamment pour celles qui envisagent d'adopter un enfant étranger - elles représentaient 70% des familles adoptives en 2003 - puisque vous avez vous-même évalué, madame la ministre, le coût de cette adoption à 12 000 euros.