Intervention de Raymonde Le Texier

Réunion du 16 novembre 2004 à 21h45
Financement de la sécurité sociale pour 2005 — Demande de renvoi à la commission

Photo de Raymonde Le TexierRaymonde Le Texier :

Pourtant, nul ne conteste la nécessité de réformer notre système de sécurité sociale. Mais alors que nous posons la question du maintien du principe de solidarité, du sens de la réforme, du mode de financement, vous n'abordez les problèmes qu'en termes d'économies de services, sous un angle purement comptable. A l'examen objectif, vous avez préféré la posture idéologique. Toutefois, à vouloir maîtriser les dépenses sans toucher aux ressources, vous faites oeuvre de liquidateur plus que de gestionnaire, et en instruisant à charge contre les assurés sociaux, vous faites surtout l'impasse sur l'étude de sources de financement durables et équitables.

C'est ce constat qui a motivé le dépôt de cette demande de renvoi à la commission. Ainsi, la collecte des recettes auprès des entreprises est notoirement insuffisante. Les exonérations de cotisations et de charges représentent aujourd'hui près de 20 milliards d'euros. Or, puisque l'on demande aux citoyens de revoir leur contribution à la hausse, pourquoi les entreprises ne participeraient-elles pas à l'effort collectif ? N'est-il pas temps à présent d'accroître les cotisations sociales prélevées sur les bénéfices et d'en affecter directement le produit à l'assurance maladie ?

Vous vous gardez également d'évaluer l'incidence de l'aggravation du chômage sur le déséquilibre des comptes. Une telle attitude est étonnante lorsque l'on sait que 100 000 emplois créés représentent un milliard et demi d'euros de recettes supplémentaires, soit l'équivalent de ce que rapporterait un point d'augmentation de la masse salariale. D'ailleurs, l'amélioration des comptes de la sécurité sociale entre 1997 et 2001 est à porter au crédit de la politique volontariste en matière d'emploi menée par le gouvernement Jospin.

Quant à la théorie selon laquelle la baisse des charges des entreprises viserait à réduire le coût du travail pour mieux relancer l'emploi, elle ne se vérifie guère dans les faits. Malgré la multiplication des allégements fiscaux consentis, le nombre des chômeurs ne cesse d'augmenter. Est-il juste que les assurés sociaux paient pour les échecs de votre politique et supportent les conséquences de votre obstination dans l'erreur ?

S'agissant de l'augmentation de la productivité, elle a surtout permis l'accroissement considérable des profits financiers, au détriment des salaires et des cotisations sociales. Ces derniers représentaient 80 % du PIB il y a vingt ans ; aujourd'hui, leur part est inférieure à 70 %. Cette différence représente 150 milliards d'euros.

Enfin, comment comprendre la culpabilisation des patients, devant l'indulgence dont vous faites preuve envers certaines professions de santé et l'industrie pharmaceutique ? D'un côté, on augmente la CSG, la CRDS et le forfait hospitalier, on réclame une franchise de 1 euro, on dérembourse les médicaments et on restreint l'accès aux soins ; de l'autre, on renonce à toute tentative de maîtrise médicalisée des dépenses, on revalorise actes et tarifs sans contrepartie et on ne s'interroge jamais sur le scandale que constitue la notion de secteur conventionné à honoraires libres. Là encore, aucune piste n'a été explorée.

Quant à l'industrie pharmaceutique, dont la puissance du lobby explique manifestement l'opacité de fonctionnement, elle réussit une fois encore à échapper au débat sur le prix du médicament, le coût de la recherche et la qualité de l'innovation.

Les politiques de prévention, sources d'économies à terme, sont réduites à la portion congrue. La mise en place d'une politique volontariste de santé publique à l'école ou au travail, axe susceptible de permettre une évolution durable des comportements, est pour sa part oubliée.

Le pire, c'est que si le menu est maigre et indigeste, ses effets en vue de la diminution de l'addition sont négligeables, certaines mesures annoncées se révélant même fort onéreuses dans un premier temps.

C'est ainsi que l'idée de la franchise de 1 euro s'avère délicate, voire impossible, à mettre en oeuvre, et que le projet de dossier partagé, pour intéressant qu'il soit, n'en est pas moins coûteux à mettre en place.

Il en va de même pour votre politique hospitalière : vos annonces concernant les économies projetées sont non seulement fantaisistes, mais choquantes. Monsieur le ministre, aucun Français n'ignore que la situation des hôpitaux est pour le moins tendue, voire à la limite de la rupture dans certains départements, le Val-d'Oise, par exemple, dont je suis l'élue. Peut-être l'ignorez-vous : malgré les efforts constants des administrateurs et du personnel, le déficit de l'hôpital d'Argenteuil atteint 17 millions d'euros. Mais après tout, qu'est-ce que 17 millions d'euros, quand on sait que le déficit cumulé de l'ensemble des hôpitaux s'élève cette année à 650 millions d'euros ?

L'écart entre le montant des crédits accordés et les besoins pour assurer la simple reconduction des moyens s'accroît de plus en plus. Oui, monsieur le ministre, l'hôpital connaît aujourd'hui un sous-financement qui atteint ses limites. Or vous, vous voulez faire mieux avec moins ! Ce n'est pas crédible. D'ailleurs, la Fédération hospitalière de France a été très claire sur ce point. Alors que vous annoncez 850 millions d'euros d'économies sur trois ans, dont 150 millions d'euros en 2005, cela en jouant uniquement sur la politique d'achat, elle dénonce une extrapolation fondée sur une étude qui concerne dix hôpitaux représentant moins de 2 % des achats. D'accord pour réaliser des économies à partir d'une meilleure politique d'achat, la Fédération hospitalière de France réclame néanmoins que « les objectifs soient sérieux ».

Le taux de progression des dépenses de santé que vous avez défini n'est d'ailleurs pas plus pertinent que vos objectifs d'économies au détriment de l'hôpital public. Vous l'avez fixé à 3, 2 %, alors qu'il s'établit en tendance, ces dernières années, à environ 5, 5 %. La Cour des comptes n'a pas manqué de relever son caractère fantasmatique : « l'ampleur de l'accélération de certaines dépenses d'assurance maladie est d'autant plus préoccupante que les efforts de maîtrise et de contrôle sont loin d'être à la hauteur des enjeux ».

Bref, avec des projections en matière de dépenses aussi sous-évaluées, ce plan sans perspective politique ne répond même pas au problème du déficit. Celui-ci est évalué à 10 milliards d'euros pour les années 2005 et 2006, et à 15 milliards d'euros pour 2007. Dans ces conditions, qui va payer ? A cette question, par l'inanité de votre plan, vous répondez : nos enfants et nos petits-enfants. Voici ce qu'en dit l'économiste de la santé Jean de Kervasdoué : « Ce qui est nouveau, c'est que l'Etat se défausse d'avance pour les déficits futurs. Il croit tellement peu à son plan qu'il le fait financer par les générations futures. »

Ainsi, monsieur le ministre, votre projet de loi de financement de la sécurité sociale n'est pas seulement irréaliste, il est aussi désinvolte, tronqué et injuste. Oserai-je le dire : si nous sommes aujourd'hui au bord du gouffre, avec de telles réformes, nous allons faire demain un grand pas en avant...

Pourtant, vous aviez les moyens de réaliser une réforme à la fois ambitieuse et juste, à la hauteur des enjeux. En effet, le rapport du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie établit un diagnostic clair et partagé. Il est dommage que votre réponse ne l'ait pas pris en compte.

Nos propositions, quant à elles, s'appuient à la fois sur ce diagnostic et sur les motifs de l'ordonnance du 4 octobre 1945, texte fondateur de notre sécurité sociale. Elles visent à réaffirmer la solidarité entre les personnes, les générations et les territoires, en instaurant une vraie politique de santé publique, en relançant le travail sur la prévention, en rééquilibrant la couverture du territoire national par les établissements de santé, en mettant en oeuvre la maîtrise médicalisée des dépenses, en stabilisant les sources de financement, en élargissant la contribution des entreprises, et surtout en mettant en place une vraie politique de lutte contre le chômage...

Ces pistes de travail, nous venons de vous les présenter. Parce que la sécurité sociale est un pilier de notre contrat social, laisser filer les déficits pour mieux justifier une privatisation pour cause de faillite constitue une menace pour la stabilité de notre société. C'est pourquoi, plus qu'une affaire de procédure, renvoyer ce projet de loi à la commission est une question de responsabilité, un acte qui conditionne l'avenir.

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