Notons que les partenaires des États-Unis, par suivisme, et les institutions internationales, par inféodation, se sont trouvés incapables d’enrayer cette dérive qui ne date pas d’hier.
Il faudra du temps pour que les ménages américains se remettent à épargner, pour que les États-Unis rétablissent leurs comptes extérieurs et délaissent en définitive le rêve impossible d’un empire universel qu’ils n’ont plus les moyens de soutenir en acceptant d’être la grande nation qu’ils sont, dans un monde devenu irréversiblement multipolaire.
Cette crise n’est pas simplement psychologique, n’en déplaise à M. Minc. Elle clôt un cycle de trente ans qui avait commencé avec l’élection de Mme Thatcher et de M. Reagan et peut-être avant avec le flottement des monnaies autour du dollar. Elle clôt le cycle de la finance globalisée, des marchés ouverts « à coups de barre à mine », la fin de toutes les protections avec l’OMC se substituant au GATT, le cycle des privatisations, la mise en concurrence des territoires et des mains-d’œuvre, avec son cortège des délocalisations, pour satisfaire aux exigences insatiables de la théorie de « l’acquisition de valeur pour l’actionnaire ». Nous commençons à en payer le prix aujourd’hui.
Rappelez-vous le marché roi censé assurer l’intérêt général, la concurrence libre et non faussée inscrite dans l’Acte unique de 1987, reprise dans le traité de Maastricht et dans le protocole n° 6 du traité de Lisbonne. Rappelez-vous la vigilance si sourcilleuse de la Commission européenne vis-à-vis de toute intervention qui aurait pu fausser le libre jeu du marché !
C’était hier, mais cela paraît soudain dater de plus de cent ans ! M. Francis Fukuyama décrétait en 1992 la fin de l’histoire, mais elle continue…
Monsieur le ministre, un débat surréaliste a surgi il y a quelques jours, lors des journées parlementaires de l’UMP, à propos des critères de Maastricht, que M. Guaino semblait vouloir relativiser. Vous-même et les thuriféraires de l’orthodoxie vous en êtes donné à cœur joie, comme s’il n’était pas évident que les dotations allouées aux banques, à travers un établissement public bénéficiant de la garantie de l’État, les plans de soutien multipliés n’allaient pas, en dernier ressort, obérer le budget de l’État.
D’ailleurs, le lendemain, le 3 octobre, M. Jouyet l’a reconnu dans une interview donnée au quotidien Les Échos, en disant que l’Union européenne s’était affranchie de deux règles majeures : le principe de la concurrence, d’une part, et l’interdiction des aides d’État, d’autre part.
Le 4 octobre, Mme Merkel, qui avait critiqué l’Irlande pour avoir garanti les dépôts dans les banques irlandaises impose une simple coordination de mesures nationales sous le régime de l’urgence, c’est-à-dire en dehors des règles posées par la Commission et par les traités européens.
Le 5 octobre, elle est la première à annoncer, sans prévenir ses partenaires, une garantie illimitée pour tous les déposants allemands, ce qu’avait fait l’Irlande.
La réalité de l’Union européenne éclate aux yeux mêmes de ceux qui ne veulent pas voir – j’espère qu’ils ne sont pas nombreux ici –, c’est le « chacun pour soi ». Je ne m’en réjouis pas, croyez-le, bien qu’ayant toujours prédit que le fait national ne disparaîtrait pas.