Intervention de Marie-Hélène Des Esgaulx

Réunion du 27 octobre 2010 à 14h30
Représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration et de surveillance — Suite de la discussion de deux propositions de loi et adoption du texte de la commission modifié

Photo de Marie-Hélène Des EsgaulxMarie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale :

Monsieur le président, madame le secrétaire d'État, mes chers collègues, après avoir proposé le renvoi à la commission, le 29 avril 2010, de la proposition de loi de Mme Bricq et de ses collègues du groupe socialiste, déposée au Sénat le 16 février 2010 et relative notamment aux règles de cumul et d’incompatibilité des mandats sociaux dans les sociétés anonymes, la commission des lois du Sénat a examiné le texte de la proposition de loi de M. Jean-François Copé et de Mme Marie-Jo Zimmermann relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance et à l’égalité professionnelle, adoptée en première lecture le 20 janvier 2010 par l’Assemblée nationale.

La commission des lois a incontestablement enrichi ce texte et l’a clarifié sur des points techniques, ce qui permettra de faciliter son application pour les entreprises. Sur mon rapport, la commission des lois a statué sur le choix difficile du périmètre des sociétés concernées et s’est prononcée en faveur de sanctions proportionnées, ainsi que d’une mise en œuvre progressive de la nouvelle obligation. Enfin, la commission a abordé la problématique du cumul des mandats.

L’article 1er de la proposition de loi instaure une obligation de représentation équilibrée des femmes et des hommes, à hauteur d’un minimum de 40 % de membres du conseil pour chaque sexe, au sein d’un nouvel article L. 225-18-1 inséré dans le code de commerce, cette obligation concernant toutes les sociétés dont les titres sont cotés sur un marché réglementé. En d’autres termes, sont concernées 701 sociétés cotées au 15 septembre dernier sur Euronext. Cette mesure ne s’appliquera que dans les conseils de plus de huit membres, étant entendu que le plafond légal, hors situations particulières, est de dix-huit membres. Lorsque le conseil est composé de huit membres au plus, le minimum légal étant fixé à trois administrateurs, l’écart entre les effectifs des administrateurs de chaque sexe ne doit pas être supérieur à deux.

La commission des lois a considéré que l’obligation de représentation équilibrée devait répondre à une double logique, celle de la cotation, mais aussi celle de la prise en compte d’un critère économique reposant sur la taille de l’entreprise.

C’est ainsi que, sur ma proposition, la commission des lois a retenu non seulement les sociétés cotées sur un marché réglementé, qui, recourant à l’appel public à l’épargne, se doivent d’être vertueuses, mais également les sociétés employant plus de 500 salariés et présentant un chiffre d’affaires ou un total de bilan supérieur à 50 millions d’euros, et ce depuis trois exercices consécutifs.

La proposition de loi énonce ensuite une sanction de nullité de toute nomination d’administrateurs ne respectant pas le principe de représentation équilibrée des femmes et des hommes, sauf lorsque cette nomination a pour effet d’accroître la proportion d’administrateurs appartenant au sexe sous-représenté dans le conseil.

Il convient de préciser que par « toute nomination », il faut entendre toute nomination d’un administrateur, mais également tout renouvellement d’un administrateur dont le mandat est parvenu à expiration. J’estime que la nullité des nominations constitue en elle-même une sanction très importante.

En effet, en théorie, une société dont le conseil d’administration ne serait pas composé régulièrement pourrait voir progressivement le mandat de tous ses administrateurs frappé de nullité au fil des nominations et des renouvellements, de sorte que cette société, au bout de quelques années, n’aurait légalement plus de conseil et ne pourrait plus désigner son président.

En outre, la proposition de loi précise que la nullité de la nomination n’entraînera pas celle des délibérations du conseil. Cette précision n’est pas juridiquement utile, en vertu du principe selon lequel toute irrégularité dans la composition du conseil ne saurait affecter la validité des délibérations de ce dernier, aux termes du premier alinéa de l’article L. 210-9 du code de commerce.

Cependant, pour éviter tout risque d’interprétation biaisée, il est préférable de prévoir une mention expresse, à l’instar de celle figurant à l’article L. 225-29 du même code, qui écarte tout risque de nullité portant sur les délibérations du conseil irrégulièrement composé.

Sur un amendement de son rapporteur, la commission des lois a complété l’article 1er en ce qui concerne le non-versement de jetons de présence lorsqu’il en existe dans la société concernée. C’est un mécanisme d’incitation à ne pas nommer des administrateurs en violation du principe de représentation équilibrée. Il s’agit d’une suspension du versement des jetons de présence, c’est-à-dire d’une sanction financière contre les administrateurs eux-mêmes, car il revient au conseil d’administration de proposer les nominations ou les renouvellements d’administrateur. Par conséquent, une composition irrégulière du conseil résulte d’abord d’une carence des administrateurs en fonctions. Ainsi, la suspension temporaire du versement des jetons de présence affectera bien les personnes responsables du choix des administrateurs à faire nommer ou renouveler par l’assemblée générale. Toutes les sociétés n’attribuent pas, il est vrai, de jetons de présence, mais les principes de bonne gouvernance d’entreprise prônent leur versement, même dans les petites sociétés. Il est proposé que la suspension prenne fin, avec versement de l’arriéré, dès que la composition du conseil devient régulière.

L’article 2 de la proposition de loi tend à instaurer dans les sociétés anonymes de forme nouvelle, à directoire et conseil de surveillance, une même obligation de représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein du conseil de surveillance. Il comprend à cet effet des dispositions identiques à celles qui seront introduites dans le code de commerce pour les sociétés anonymes classiques à conseil d’administration.

L’article 2 bis vise à instaurer des dispositions analogues pour les sociétés en commandite par actions.

L’article 3 prévoit la date d’entrée en vigueur de l’obligation de représentation équilibrée des femmes et des hommes et les dispositions applicables au cours de la période transitoire. Du fait de leur caractère transitoire, ces dispositions ne sont pas codifiées dans le code de commerce.

Dans sa rédaction initiale, l’article 3 prévoyait une entrée en vigueur six ans après la promulgation de la loi. La commission des lois a adopté un amendement de son rapporteur visant à prévoir l’application de ces dispositions ainsi que de la règle de suspension du versement des jetons de présence « à compter du 1er janvier de la sixième année suivant l’année de publication de la présente loi ». L’entrée en vigueur coïncidera ainsi avec une date ayant une signification et un rapport avec le calendrier de la vie des sociétés, c’est-à-dire celui des exercices comptables et des assemblées générales statuant sur ces exercices.

Pour les sociétés cotées, était en outre prévue à l’article 3 l’obligation d’atteindre une proportion minimale de 20 % de membres de chaque sexe au sein du conseil trois ans après la promulgation de la loi. Par coordination, la commission a adopté un amendement visant à fixer cette échéance intermédiaire au 1er janvier de la troisième année suivant celle de la publication de la loi.

L’article 3 traite enfin des sanctions au cours de la période transitoire, en posant le principe de la nullité des nominations ne respectant pas les règles de représentation équilibrée des femmes et des hommes. Cette nullité des nominations irrégulières devait initialement entraîner celle des délibérations auxquelles auraient pris part les membres du conseil concernés.

Autant la sanction de nullité des nominations a paru justifiée à la commission, autant la sanction de nullité des délibérations lui a semblé disproportionnée et de nature à remettre en cause la sécurité juridique des délibérations des conseils et, par conséquent, des rapports des sociétés avec les tiers. Une telle nullité serait une source d’extrême insécurité dans la vie des affaires, déjà intrinsèquement marquée par l’incertitude. De plus, dans le code de commerce, la nullité des actes est réservée aux cas les plus graves. Votre rapporteur s’est interrogée sur la constitutionnalité d’une telle sanction et a estimé pour le moins paradoxal de prévoir des sanctions plus lourdes au cours de la période transitoire qu’après l’entrée en vigueur des dispositions définitives de la proposition de loi. La commission a donc adopté un amendement visant à supprimer toute nullité des délibérations.

L’article 4 tend à instaurer une même représentation équilibrée des femmes et des hommes dans les conseils d’administration ou de surveillance des entreprises publiques.

La commission des lois a estimé que l’application indistincte du principe de représentation équilibrée des femmes et des hommes à l’ensemble des conseils des entreprises publiques pose une difficulté dans la mesure où tous les membres ne sont pas nommés par les mêmes autorités. Elle a jugé que la rédaction retenue était lourde et ne s’insérait pas suffisamment bien dans le texte de la loi du 26 juillet 1983.

Aussi la commission a-t-elle adopté un amendement de clarification rédactionnelle, sur proposition de son rapporteur : l’application de l’obligation est fixée au deuxième renouvellement des conseils suivant la promulgation de la loi, étant entendu que les conseils d’administration et de surveillance des entreprises publiques sont renouvelés intégralement tous les cinq ans ; une échéance intermédiaire est prévue trois ans après la promulgation de la loi : la proportion de membres du conseil de chaque sexe devra alors atteindre au moins 20 %.

La commission des lois a également tenu à écarter la sanction de nullité des délibérations au cours de la période transitoire. Elle n’a pas non plus institué de sanction de suspension des jetons de présence, car le mandat de représentant de l’État est gratuit en vertu de la loi de 1983.

L’article 5 a pour objet d’instaurer l’obligation de représentation équilibrée des femmes et des hommes dans les conseils d’administration des établissements publics industriels et commerciaux de l’État, autres que ceux qui sont régis par la loi du 26 juillet 1983, ainsi que des établissements publics administratifs de l’État. L’extension à ces derniers du principe de mixité des conseils répond sans doute à un objectif louable d’exemplarité de l’État. Toutefois, elle ne paraît pas opérante compte tenu de la très grande hétérogénéité des établissements publics ciblés. À titre d’exemple, le conseil d’administration d’une université comporte notamment des membres élus par les étudiants, par les enseignants et par les personnels, dans des conditions fixées par la loi. C’est cette loi particulière qu’il faudrait modifier, ce qui suppose, a minima, de consulter les organisations représentatives intéressées. Dans le même ordre d’idées, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, qui est un EPA, relève de dispositions législatives figurant dans le code de la santé publique. Il faudrait ainsi modifier l’article L. 1313-4 de ce code, qui fixe les règles de composition du conseil d’administration de cette instance. J’aurais pu citer bien d’autres exemples, mais il n’y a pas un EPA qui ressemble à un autre. La commission n’a donc pas été convaincue de la nécessité, de la pertinence et de la portée juridique réelle des dispositions de l’article 5. En conséquence, elle l’a supprimé.

L’article 6 de la proposition de loi, relatif à l’égalité professionnelle, prévoit que le conseil d’administration ou le conseil de surveillance d’une société anonyme délibère chaque année sur la politique de la société en matière d’égalité professionnelle et salariale. Cette délibération peut s’appuyer sur le rapport sur la situation comparée des conditions générales d’emploi et de formation des femmes et des hommes, dont l’établissement est obligatoire dans les entreprises d’au moins 300 salariés.

Soucieuse de la lisibilité et de la stabilité des dispositions du code de commerce relatives aux sociétés anonymes, la commission des lois a adopté un amendement visant à inscrire cette obligation annuelle de délibération dans deux nouveaux articles autonomes du code de commerce.

L’article 6 disposait initialement que le rapport annuel sur la situation comparée des conditions générales d’emploi et de formation des femmes et des hommes, qui est obligatoire dans les entreprises d’au moins 300 salariés, serait transmis à l’assemblée générale ordinaire, étant joint au rapport présenté par le conseil d’administration ou le directoire.

Cette disposition ne nous a pas semblé pertinente. En effet, la question de l’égalité salariale et professionnelle dans l’entreprise ne concerne les actionnaires que de façon indirecte. Le rapport sur la situation comparée des conditions générales d’emploi et de formation des femmes et des hommes intéresse d’abord les institutions représentatives du personnel. C’est pourquoi la commission des lois a adopté un amendement de suppression de cette disposition jugée inopportune.

Enfin, l’article 7 disposait à l’origine que le rapport précité serait transmis à la direction départementale à l’emploi et à la formation professionnelle. Cette mention n’est plus pertinente du fait de la réorganisation territoriale de l’État. En outre, l’article 31 du projet de loi portant réforme des retraites, que nous avons adopté hier, traite de la question de l’information dans les entreprises sur la situation comparée des hommes et des femmes, et prévoit une sanction très dissuasive, s’élevant à 1 % de la masse salariale. Pour toutes ces raisons, la commission des lois a supprimé l’article 7.

Bien que la problématique du cumul des mandats ne soit pas abordée dans la proposition de loi Copé-Zimmermann, la commission des lois s’est penchée, comme elle s’y était engagée, sur cette question qui marque la grande différence entre les deux textes d’initiative parlementaire aujourd’hui soumis à notre examen. La commission a considéré qu’il n’était pas opportun de légiférer trop rapidement sur le cumul des mandats sociaux, dès lors que cette question n’est pas directement et exclusivement liée à celle de la place des femmes dans les conseils d’administration et de surveillance.

Je veux insister sur le fait que la limitation du cumul des mandats ne règlerait pas avec certitude le problème de la sous-représentation des femmes, puisque rien n’empêcherait les conseils d’administration de rester composés exclusivement d’hommes. En revanche, si le dispositif du texte que nous examinons était adopté, les nominations de femmes interviendraient naturellement et progressivement, au rythme de l’arrivée à échéance des mandats, sans qu’il soit nécessaire de créer des postes supplémentaires. La vertu du dispositif vaut aussi pour les renouvellements de mandat, et pas seulement pour les postes créés. Si notre texte ne visait que ces derniers, il serait effectivement nécessaire de se pencher sur la question du non-cumul des mandats sociaux, mais nous sommes allés beaucoup plus loin.

En conclusion, mes chers collègues, ce texte est très juridique. Nous n’en sommes plus au stade des considérations générales sur l’intérêt d’intégrer des femmes au sein des conseils d’administration, sur les vertus de la diversité. Ce texte va indiscutablement faire des femmes une véritable force émergente dans les conseils d’administration.

Mon rapport fait état des études qui mettent en exergue l’intérêt économique d’une plus grande mixité et de la promotion des femmes, qui ont un style de management plus adapté aux défis de l’avenir et une attitude différente face au risque. Je n’y reviens pas.

Je voudrais simplement souligner que notre ministre de l’économie, de l'industrie et de l'emploi, Mme Christine Lagarde, est emblématique de ce rôle que les femmes peuvent enfin jouer. À l’Agence des participations de l’État, l’APE, qui détient et gère les participations que l’État possède dans des entreprises, elle a fait constituer une liste de femmes répondant aux critères les plus exigeants pour devenir administrateur.

Votre rapporteur tient enfin à saluer l’engagement public du Premier ministre en faveur de l’aboutissement d’une initiative authentiquement parlementaire. Lors des états généraux de la femme, organisés le 7 mai 2010, il a ainsi déclaré : « Concernant la place des femmes aux postes de responsabilité économique, là encore il y a beaucoup de progrès à faire, notamment au sein des conseils d’administration des grandes entreprises. L’adoption de la proposition de loi, votée en première lecture par l’Assemblée nationale, est une priorité. »

Le MEDEF s’est également exprimé sur le sujet, allant presque plus loin que notre texte, puisque Mme Parisot a indiqué qu’elle ne serait pas choquée si des recommandations similaires étaient formulées pour les comités directeurs et les comités d’entreprise.

Je signale au passage que si notre texte ne vise pas les comités d’audit ou les comités de nomination, c’est uniquement parce que la création de ces instances n’est pas une obligation légale, mais relève des statuts et du règlement intérieur de chaque société.

Mme Parisot a de surcroît déploré que les EPA ne soient pas encouragés à instaurer la mixité. Pour être membre depuis cet été de l’Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes, je puis témoigner que cette instance travaille sur la question. En outre, je sais que Mme Morano, secrétaire d’État chargée de la famille et de la solidarité, y est très attentive.

Je souhaite insister sur le fait que le texte issu des travaux de la commission des lois est un bon compromis entre les deux propositions de loi sur la question du périmètre du dispositif et sur celle des sanctions.

Nous avons beaucoup tenu compte de la proposition de loi de Mme Bricq. Sur la question du périmètre, je pense que ce compromis donne très largement satisfaction à notre collègue.

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