Intervention de Joëlle Garriaud-Maylam

Réunion du 27 octobre 2010 à 14h30
Représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration et de surveillance — Suite de la discussion de deux propositions de loi et adoption du texte de la commission modifié

Photo de Joëlle Garriaud-MaylamJoëlle Garriaud-Maylam, rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, il semble que l’on ait rarement autant soutenu les femmes dans leur désir d’accéder aux postes stratégiques et décisionnaires des entreprises.

Vendredi 15 octobre, après une réunion du Women’s forum, vingt grands patrons de groupes internationaux ont appelé au « renforcement de la place des femmes dans la société et l’économie » et signé un accord pour faire progresser leurs entreprises respectives dans cette voie.

La veille, un grand cabinet de conseil en stratégie publiait une étude intitulée Women’s matter 2010, apportant des éléments précis à l’appui de la thèse selon laquelle les performances des entreprises sont nettement meilleures quand celles-ci sont plus ouvertes à la mixité.

Le 16 septembre dernier, le Centre d’études transatlantiques et le think-tank de l’université Johns-Hopkins organisaient avec la Securities and exchange commission une grande conférence internationale à Washington consacrée aux inégalités de genre dans les conseils d’administration, au cours de laquelle j’ai eu l’honneur d’intervenir.

Le 28 septembre dernier, une conférence était organisée par le MEDEF Île-de-France sur ce thème. J’ai, là encore, pu évoquer nos travaux. Je rappellerai en outre, madame la secrétaire d’État, que nous nous sommes rendues en Suède pour étudier, notamment, la manière dont les dirigeants d’entreprise organisaient cette parité.

Entre juin et septembre derniers, près de cinquante femmes de plus ont accédé à des postes d’administrateur au sein des conseils d’entreprises du CAC 40, après que l’AFEP-MEDEF eut émis des recommandations en ce sens dans son code de bonne gouvernance.

La semaine dernière, un grand quotidien national a consacré un dossier à ce sujet, où était notamment soulevée l’hypothèse que, paradoxalement, la récente crise économique avait peut-être profité aux femmes. Aux États-Unis, certains s’étaient d’ailleurs demandé si le fait que Lehman Brothers n’ait pas compté beaucoup de « sisters » dans ses rangs n’avait pas eu une incidence sur la survenue de la crise…

Pourtant, ce soudain – et heureux – regain d’intérêt pour la féminisation des instances de direction est, hélas, encore inversement proportionnel à la place réelle qu’ont les femmes dans l’économie.

Il ne me semble pas inutile de rappeler quelques chiffres tirés du rapport de Mme Brigitte Grésy, qui fait référence en la matière. Selon ce document, en 2009, les femmes représentaient en France 41, 2 % des cadres administratifs et commerciaux des entreprises, 18, 2 % des ingénieurs et cadres techniques, et seulement 10 % des membres des conseils exécutifs.

La délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, qui m’a désignée rapporteur des deux propositions de loi que nous examinons aujourd’hui, s’intéresse depuis longtemps à cette question. Elle y a consacré deux déplacements, l’un en Norvège en mai 2009, l’autre en Espagne en octobre de la même année, afin de pouvoir s’inspirer de ces expériences étrangères particulièrement remarquables.

Afin d’éclairer nos travaux, et dans la mesure où la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a été saisie assez tardivement pour avis et sachant que de très nombreuses auditions avaient déjà été réalisées par notre excellente collègue Marie-Hélène Des Esgaulx, nous avons organisé au Sénat, le 13 septembre dernier, une table ronde réunissant des experts, des femmes chefs d’entreprise et des membres de conseils d’administration, ainsi que des représentants des institutions et réseaux qui s’intéressent à cette question.

Un consensus a émergé de ces débats : les femmes sont aujourd’hui bloquées dans leur accession aux postes de responsabilité dans l’entreprise. Même après la récente amélioration observée dans les entreprises du CAC 40, la France reste parmi les mauvais élèves de l’Europe en matière de représentation des femmes dans les instances de direction des entreprises commerciales : notre pays se situe loin derrière la Norvège, dont 44, 2 % des administrateurs de sociétés sont des femmes, et la Suède, où les conseils d’administration comptent 26, 9 % de femmes.

La situation dans les établissements et sociétés détenus par l’État n’est pas meilleure. L’examen de la composition des conseils d’administration des établissements publics de l’État révèle également de mauvaises surprises. Le renouvellement, exclusivement masculin, du conseil d’administration de l’établissement public du plateau de Saclay, le 24 septembre dernier, est une flagrante illustration du retard des établissements publics en matière de parité.

La délégation estime qu’en cette matière comme en d’autres, l’État doit être exemplaire. Nous avons donc décidé de durcir les obligations imposées aux autorités publiques compétentes en matière de nomination des administrateurs dans les conseils des établissements et sociétés publics : c’est l’objet de la troisième recommandation de notre délégation, qui est particulièrement vigilante sur ce point.

Comme vous le savez, les deux propositions de loi que nous examinons aujourd’hui traitent de manière comparable les sociétés privées et les établissements publics. Elles prévoient que les conseils d’administration des entreprises, des établissements publics à caractère administratif et des établissements publics industriels et commerciaux devront compter 40 % de femmes. Cet objectif, ambitieux mais réaliste, devra être atteint en 2016, avec un palier de 20 % d’ici à trois ans. Cela implique de recruter entre 600 et 1000 femmes en six ans au sein des conseils.

L’accession de près de cinquante femmes aux instances directionnelles des entreprises cotées entre avril et septembre derniers a apporté la preuve de l’existence d’un vivier de femmes dont l’expérience et les compétences leur permettent d’être candidates aux postes d’administrateur.

Les sept recommandations que la délégation a adoptées le 7 octobre dernier confortent l’objectif ambitieux fixé aux entreprises par les propositions de loi.

Premièrement, en ce qui concerne le périmètre d’application de la loi, la délégation considère que toutes les sociétés commerciales d’une certaine taille devraient être en mesure de respecter l’objectif de 40 % de femmes dans les conseils d’administration et de surveillance des entreprises.

Le dispositif actuel vise les sociétés cotées et celles comptant un certain nombre de salariés et atteignant un certain niveau de chiffre d’affaires. Il nous a semblé que la référence au chiffre d’affaires n’était pas opportune. Celui-ci étant fluctuant par définition, elle introduit un aléa inutile. La délégation a, par conséquent, choisi de viser toutes les sociétés cotées sans exception, ainsi que les entreprises employant plus de 500 salariés, sans considération de seuil de chiffre d’affaires, et d’introduire dans le champ d’application le secteur mutualiste.

Deuxièmement, la délégation considère que, en matière de représentation équilibrée des femmes et des hommes dans les instances de direction, l’État doit être exemplaire. Un calendrier plus strict pourrait être prévu pour l’accession des femmes administrateurs aux conseils d’administration des établissements publics administratifs, entreprises publiques et sociétés nationales, qui devront atteindre l’objectif de 40 % de femmes en trois ans, et non en six ans.

Je ne sous-estime pas les difficultés pratiques que pourra soulever cette mesure. En effet, l’hétérogénéité des statuts des établissements publics ciblés, dont certains ont un statut législatif ou réglementaire et d’autres une organisation particulière sans conseil d’administration, rend l’application de la mesure délicate. Par ailleurs, le périmètre de cette dernière serait incertain.

Pour remédier à cette situation, l’Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes a, dans une note récente, proposé une liste des établissements publics administratifs de l’État susceptibles d’être mis en conformité avec la loi. La délégation suggère d’annexer cette liste au texte, ce qui permettrait de faciliter la mise en œuvre de cette recommandation.

Par ailleurs, l’État pourrait nommer alternativement, à compter de la promulgation de la loi, un homme et une femme dans les conseils d’administration et de surveillance des entreprises relevant du périmètre de l’Agence des participations de l’État, 15 % seulement de leurs membres étant à l’heure actuelle des femmes. Cette proposition fait l’objet de la troisième recommandation de notre délégation.

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