Alors que vous avez toujours dénoncé les niches fiscales, vous vous apprêtez encore une fois à les étendre. Les gouvernements changent et les mauvaises habitudes perdurent. Mais on comprend bien pourquoi !
La facture, que nous ne pourrons qu'établir au fur à mesure des lois de finances à venir, sera lourde. Elle se répercutera sur la majorité des Français et profitera à un petit nombre, qui n'en avait vraiment pas besoin, sans forcément relever notre économie.
Mes collègues socialistes et moi-même interviendrons dans le débat article par article, aussi voudrais-je limiter mon propos dans la discussion générale à trois réflexions concernant vos choix, à savoir la rupture, l'économie et les moyens pour la stimuler.
La rupture, c'est le positionnement qu'a choisi le Président de la République, avec habileté et ambiguïté.
Habileté, parce qu'il faut bien convenir que cela a plutôt réussi au candidat qu'il était naguère, et qu'il continue à être si j'ai bien compris. Ambiguïté, car on ne sait pas avec qui ou avec quoi s'opère cette rupture. S'agit-il de rupture avec l'ancienne majorité, à laquelle vous étiez pourtant parties prenantes et dont vous êtes comptables des résultats, ou bien s'agit-il plus profondément de rupture avec ce qui fait, depuis le compromis du Conseil national de la résistance, le fond commun qui lie les Français entre eux ? Les deux sans doute, si l'on en juge par le contenu du projet de loi. En effet, si le président du groupe UMP à l'Assemblée nationale le qualifie de « fondateur », il faut le regarder comme les prémices funestes du quinquennat.
Pour l'heure, force est de constater que l'on trouve dans ce texte tout ce que la majorité précédente n'a pas osé accomplir, mais qu'elle avait néanmoins commencé à faire : s'attaquer au temps de travail légal, accroître les privilèges de ceux qui en ont déjà beaucoup, contourner le tabou de l'ISF, encourager les plus hauts patrimoines à travers la baisse des droits de succession et le bouclier fiscal, favoriser ce qu'on appelle pudiquement « l'optimisation fiscale » pour ceux qui sont déjà les mieux conseillés en la matière. Tout cela sur fond d'explosion des inégalités des revenus patrimoniaux et des écarts salariaux !
La combinaison des deux nous fait dévier, ayons-en au moins conscience, vers une croissance des inégalités à l'anglo-saxonne. Ainsi, dans l'allocation des revenus primaires, les inégalités se créent à la racine, et vous allez encore les aggraver ! Même la redistribution par transferts fiscaux et sociaux n'y remédierait pas.
Il s'agit d'un débat essentiel. Il n'intéresse peut-être pas la majorité, mais c'est le débat de la France, et il nous intéresse. Il s'agit pour nous, selon une formule très juste de Jean-Paul Fitoussi dans un article du Monde d'avant-hier, de parvenir à « l'égalité réelle dans l'espace des biens publics ». Nous aurons ce débat au moment de notre reconstruction face à votre offensive.