Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le texte que j’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui est la réalisation de l’engagement pris par Nicolas Sarkozy pendant la campagne pour l’élection présidentielle d’assurer une véritable protection du secret des sources des journalistes.
Comme le remarque très justement M. François-Noël Buffet dans son rapport, notre droit n’a jamais consacré aucun principe garantissant le secret des sources. C’est pourtant une garantie démocratique fondamentale, le gage d’une information éclairée, pluraliste et indépendante.
Je n’ignore pas que cette question a déjà fait l’objet de nombre de réflexions et de nombreux débats. Je pense en particulier aux travaux de vos anciens collègues Paul Girod en 1989, Charles Jolibois en 1995 et, plus récemment, Louis de Broissia en 2007. Le Gouvernement s’en est largement inspiré.
L’actualité, plus ou moins récente, démontre qu’une intervention du législateur est aujourd’hui nécessaire en cette matière.
Le rapporteur, en sa qualité de membre du groupe sénatorial d’études Nouvelles technologies, médias et société, avait toutes les qualités requises pour examiner ce texte. Il l’a fait – je tiens à le souligner pour lui rendre hommage – avec la compétence du fin juriste qu’il est en sa qualité d’avocat et de parfait connaisseur du monde des médias et de ses enjeux.
Le rapporteur et la commission des lois ont été soucieux de respecter l’équilibre que traduit ce projet de loi. François-Noël Buffet a, en particulier, parfaitement démontré la complexité de la relation entre la justice et la presse, chacune en quête de vérité et gardienne de son propre secret : celui de l’enquête et l’instruction dans le premier cas et celui de ses sources dans le second.
Ces deux logiques, aussi légitimes l’une que l’autre, doivent pouvoir coexister dans un cadre juridique qu’il nous appartient aujourd’hui de définir.
Notre droit actuel est insuffisant et limité. La loi ne garantit en effet nullement le secret des sources. La justice peut notamment, sans aucune restriction, rechercher comment un journaliste a été informé, par qui et dans quelles conditions.
Un magistrat, un enquêteur ou un tribunal peuvent exiger d’un journaliste qu’il leur livre sa source. Le journaliste s’expose même à une amende de 3 750 euros s’il refuse de remettre un document qui permettrait de remonter à sa source.
La seule disposition protectrice, nous la devons à Michel Vauzelle quand il était garde des sceaux. Elle résulte d’une loi du 4 janvier 1993. Elle autorise le journaliste, entendu comme témoin par un juge d’instruction, à refuser de livrer une information. Cette loi a constitué une amélioration significative. Toutefois, compte tenu de sa portée limitée, elle ne suffit plus.
C’est pourquoi le projet de loi affirme un principe clair : il consacre la protection du secret des sources comme un principe général de notre droit, valable en tous domaines. Par ailleurs, il décline les garanties qui en découlent. Il assure ainsi un plus juste équilibre en encadrant l’intervention de l’autorité judiciaire.
Le droit au secret des sources figurera désormais dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. C’est l’article 1er du projet de loi.
Pour pleinement mesurer la portée de ce principe, il faut rappeler les trois questions essentielles qui sont au cœur du débat.
Première question : quelles informations doivent être couvertes par le secret des sources ?
Pour définir l’information protégée, le projet de loi reprenait purement et simplement la formulation employée par la Cour européenne des droits de l’homme depuis l’arrêt Goodwin de 1996. La Cour de Strasbourg considère en effet que le secret des sources des journalistes doit être protégé « afin de permettre l’information du public sur des questions d’intérêt général ».
Cette formulation a suscité des interrogations, voire des critiques.
La commission des lois du Sénat, sur proposition de son rapporteur, a donc modifié le texte. Dans son amendement n° 1, elle retient une rédaction plus neutre et moins sujette à interprétation. Seraient ainsi protégées toutes les informations recueillies par les journalistes dans « l’exercice de leur mission d’information du public ».
Cette formulation correspond parfaitement à l’esprit du projet de loi. Elle devrait lever toute réserve de la part des journalistes. Le Gouvernement sera donc favorable à cet amendement.
Deuxième question essentielle : comment définir le journaliste ? Là encore, le Gouvernement a retenu une définition issue de la recommandation du Conseil de l’Europe du 8 mars 2000 sur le droit des journalistes de ne pas révéler leurs sources d’information.
Cette définition a en effet paru plus satisfaisante et plus protectrice que celle qui est retenue par notre code du travail. Un critère qui reposerait sur les ressources tirées d’une activité de presse aurait été aléatoire et ne répondait pas à l’objectif poursuivi.
La définition large retenue dans le projet de loi répond donc aux préoccupations exprimées par les professionnels de la presse.
Le secret des sources s’applique aux informations obtenues par tout professionnel qui recueille et diffuse de l’information au public, quel que soit le média pour lequel il travaille – presse écrite, orale ou par internet, agences de presse – et qui exerce régulièrement cette activité en étant rémunéré pour cela.
Sont donc concernés tous les journalistes, mais aussi les directeurs de rédaction et les correspondants de presse réguliers.
La troisième et dernière question, tranchée dans l’article de principe introduit dans la loi de 1881, découle de la question précédente : la protection du secret des sources couvre-t-elle exclusivement le journaliste ? Le Gouvernement a toujours clairement affirmé que ce texte protège le secret des sources, quelle que soit la personne qui le détient.
L’Assemblée nationale entendait donner une garantie supplémentaire sur ce point. Elle a donc précisé les conditions dans lesquelles il peut être porté atteinte au secret des sources « directement ou indirectement ». Cette précision visait à englober tous les collaborateurs du journaliste ainsi que ses proches, qui peuvent également détenir le secret de ses sources.
Là encore, l’amendement n° 1 adopté par la commission des lois apporte plus de précision. Il définit l’atteinte indirecte au secret des sources pour viser expressément « toute personne qui, en raison de ses relations habituelles avec un journaliste, peut détenir des renseignements permettant d’identifier ces sources ».
La réponse apportée à ces trois questions permet de mesurer pleinement l’avancée sans précédent que constitue ce texte. Il donne – et c’est la première fois – une véritable assise juridique au secret des sources. Il consacre un nouveau principe général dans notre droit.
Ce principe est par ailleurs complété par des garanties destinées à préserver le secret des sources contre toute atteinte injustifiée.
De manière générale, le projet de loi limite les atteintes pouvant être portées au secret des sources. Ces atteintes doivent intervenir à titre exceptionnel et si un impératif prépondérant d’intérêt public le justifie. Cette règle vaudra en tous domaines.
La commission des lois propose d’ajouter une autre condition : que ces atteintes soient limitées aux mesures strictement nécessaires et qu’elles restent proportionnées au but que l’on cherche légitimement à atteindre. Le Gouvernement sera également favorable à cette précision complémentaire.
Dans le cadre d’une affaire pénale, le texte ajoute des conditions particulières – et c’est normal – permettant à la justice de remonter à la source d’information du journaliste. Il faut que la nature et la particulière gravité du crime ou du délit le justifient et que cela soit absolument nécessaire à l’enquête. La commission des lois propose une rédaction plus précise de ces conditions.
En revanche, il convient de se garder de vouloir établir une liste exhaustive de faits graves. Il faut impérativement laisser aux juges le soin d’apprécier au cas par cas s’il est justifié de savoir comment un journaliste a été informé et d’identifier sa source. Sans cette faculté d’appréciation, on empêcherait la justice d’agir dans des affaires a priori de moyenne gravité, mais dont les enjeux peuvent être importants.
Une atteinte au secret des sources serait évidemment disproportionnée dans le cadre d’une enquête portant sur de simples vols, sur de petites fraudes ou des escroqueries, sur des cercles de jeux clandestins ou sur des infractions au code de la route. La gravité des faits n’est évidemment pas suffisante.
De même, a priori, aucun impératif prépondérant d’intérêt public ne justifie que soit levé le secret des sources dans le cadre d’une affaire de contrefaçon. Toutefois, l’appréciation serait différente si la contrefaçon portait sur des produits de santé ou sur de simples vêtements, mais qu’un reportage révélait que c’est un moyen de financement de mouvances radicales, d’un réseau de criminalité organisée, voire de terroristes.
La loi belge de 2005 est parfois citée en exemple. Elle ne permet de lever le secret des sources que pour prévenir la commission d’infractions constituant une menace grave pour l’intégrité physique.
Je prendrai un exemple pour démontrer la rigueur excessive d’un texte aussi restrictif. Un meurtre odieux émeut la France, une enquête est ouverte, mais on ne dispose d’aucun indice pour identifier l’auteur. Un journaliste dispose d’une lettre anonyme qui pourrait permettre de remonter au meurtrier. Ces éléments peuvent être déterminants pour l’enquête.
Que doit-on faire dans ce cas ? Faut-il s’interdire de demander au journaliste comment lui est parvenue la lettre ? Doit-on s’interdire de lui demander de remettre le courrier ? S’il refuse, faut-il tout de même saisir ce document ou, au contraire, s’en abstenir afin de protéger la source du journaliste, au risque de laisser libre quelqu’un qui pourrait commettre un nouveau meurtre ?
La Belgique est allée très au-delà de ce qu’impose la Cour européenne des droits de l’homme après sa condamnation en 2003. Elle répond clairement que le secret des sources dans ce cas est absolu : parce que le crime est commis, il n’est plus nécessaire de lever le secret.
Je pose la question à la Haute Assemblée : dans cette hypothèse, accepterait-on en France de se priver d’identifier un meurtrier au nom de la protection du secret des sources ? Doit-on renoncer à éviter peut-être d’autres victimes ?
Nous consacrons enfin le secret des sources, mais ce n’est pas notre tradition de sacrifier à un principe, aussi important soit-il, tout autre intérêt légitime. Une société démocratique a besoin d’une justice efficace, qui garantit la sécurité de tous et qui protège.
Un équilibre est nécessaire entre la protection des sources et ce que la Cour européenne des droits de l’homme appelle « un impératif prépondérant d’intérêt public », de la même façon que l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme prévoit des limites à la liberté d’information.
Le projet de loi encadre l’intervention de l’autorité judiciaire. Seules les affaires les plus graves justifient une atteinte au secret des sources.
La justice, pour remplir sa mission, doit pouvoir obtenir certaines informations ou pouvoir y accéder.
Dans les affaires les plus graves, le projet de loi permet sous certaines conditions à la justice pénale de lever le secret des sources.
Tous les actes d’enquête et d’instruction seront soumis aux conditions restrictives qui permettent, à titre exceptionnel, d’identifier la source d’un journaliste. Si ces conditions ne sont pas satisfaites, les enquêteurs et les magistrats devront chercher à résoudre l’affaire sans passer en aucune façon par le journaliste. À défaut, leurs actes seront disproportionnés et annulés.
Le principe général posé dans la loi sur la liberté de la presse est décliné dans le code de procédure pénale. Le secret des sources est ainsi préservé lors des divers actes d’enquête et d’instruction qui peuvent être réalisés.
Le projet de loi encadre les perquisitions, les retranscriptions d’écoutes téléphoniques et toutes les réquisitions, y compris celles qui sont adressées aux opérateurs téléphoniques ou aux fournisseurs d’accès à internet.
Actuellement, le code de procédure pénale prévoit que les perquisitions dans les entreprises de presse ou de communication audiovisuelle sont effectuées par un magistrat. Le projet de loi va plus loin et étend cette garantie aux agences de presse, aux véhicules professionnels et au domicile des journalistes. Le texte tient ainsi compte des spécificités du travail journalistique.
Le magistrat effectuant la perquisition devra respecter les mêmes règles protectrices – voire plus protectrices – que celles qui s’appliquent aux perquisitions au cabinet ou au domicile d’un avocat. Il devra également s’assurer que ni la perquisition ni ce qu’il saisit ne portent une atteinte disproportionnée au secret des sources.
Le journaliste – ce n’est pas le cas pour les avocats – pourra s’opposer, durant la perquisition, à la saisie d’un document qui permettrait d’identifier l’une de ses sources. Il appartiendra alors au juge des libertés et de la détention de se prononcer sur la nécessité de saisir ce document et de le verser au dossier pénal.
De même, le projet de loi exclut, en principe, toute atteinte au secret des sources résultant d’écoutes téléphoniques ou de réquisitions, par exemple pour obtenir le relevé des communications du journaliste. Seules des infractions particulièrement graves permettront, à titre exceptionnel, une atteinte au secret des sources.
Il convient enfin de préciser que le projet de loi va bien au-delà des exigences de la Cour européenne des droits de l’homme. Ainsi, il empêche de contraindre un journaliste à livrer sa source. Cela vaut même dans les hypothèses les plus graves. Dans ces cas, la loi permettra aux enquêteurs de passer outre le refus du journaliste de coopérer en utilisant leurs moyens d’investigations. Le journaliste ne pourra être ni poursuivi ni sanctionné pour avoir refusé son aide, contrairement au droit en vigueur. Le projet de loi consacre ainsi un droit au silence absolu du journaliste, comme cela avait été demandé durant la campagne pour l’élection présidentielle et comme Nicolas Sarkozy en avait pris l’engagement.
Un journaliste entendu comme témoin pourra invoquer le secret des sources à tous les stades de la procédure pénale : lors de l’enquête initiale, qu’il s’agisse de l’enquête préliminaire ou de l’enquête de flagrance, lors de l’information judiciaire devant le juge d’instruction ou lors de l’audience devant le tribunal correctionnel ou la cour d’assises. Je rappelle que, aujourd'hui, le journaliste ne peut invoquer le secret des sources que lorsqu’il est entendu en qualité de témoin par le juge d’instruction.
Le journaliste n’encourra plus d’amende s’il se tait. Il en sera de même s’il refuse de fournir un document pour protéger ses sources. Les journalistes ne seront donc jamais contraints à livrer eux-mêmes leurs sources.
Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi tel qu’il résulte de son examen en première lecture par l’Assemblée nationale constitue une avancée sans équivalent. Il assure aux journalistes l’information nécessaire à l’exercice d’une libre information. Les journalistes sont mis en mesure de remplir pleinement le rôle de gardien de la démocratie que la Cour européenne des droits de l’homme leur confère.
C’est un projet de loi équilibré, qui concilie ce principe nouveau avec les nécessités d’action de l’autorité judiciaire.
Je connais votre attachement à la liberté de la presse. Je sais aussi que vous aurez à cœur de ne pas entraver plus que nécessaire l’action judiciaire. En soutenant ce projet de loi, je l’espère unanimement, vous contribuerez à un grand progrès démocratique, conforme à notre tradition républicaine.