Intervention de Antoine Lefèvre

Réunion du 5 novembre 2008 à 15h00
Protection du secret des sources des journalistes — Discussion d'un projet de loi

Photo de Antoine LefèvreAntoine Lefèvre :

Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, dans toute société démocratique, les journalistes jouent un rôle capital dans l’information des citoyens.

La possibilité pour eux de garder le secret quant à l’origine de leurs informations est nécessaire afin de ne pas tarir leurs sources et de garantir la liberté d’information des citoyens.

La protection du secret des sources apparaît dès lors comme le corollaire direct du droit à l’information.

Or, notre droit actuel reste insuffisant. Il n’assure qu’une protection partielle du secret des sources, ne reconnaissant pas aux journalistes le droit au secret professionnel.

Certes, la loi du 4 janvier 1993 a constitué une avancée sur ce point, en leur reconnaissant le droit de taire leurs sources lorsqu’ils sont entendus comme témoins. Mais il s’agit d’un droit de non-divulgation, qui laisse au journaliste la liberté de révéler ou de ne pas révéler.

De plus, ce droit au silence est aujourd’hui limité à la phase d’instruction : il ne s’applique pas à la phase de jugement.

La loi de 1993 a, en outre, introduit dans le code de procédure pénale un article 56-2 relatif aux perquisitions dans les entreprises de presse.

Cet article prévoit que de telles perquisitions ne peuvent être réalisées que par un magistrat chargé de veiller à ce que les investigations « ne portent pas atteinte au libre exercice de la profession de journaliste ».

Ces garanties apparaissent insuffisantes.

Enfin, notre législation en la matière n’est pas conforme à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et à l’interprétation très extensive qu’en a faite la Cour de Strasbourg au fil des ans, notamment par l’arrêt Goodwin contre Royaume-Uni de mars 1996.

Par sa jurisprudence, la Cour a établi que la protection du secret des sources des journalistes constitue « l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse » et qu’elle doit être garantie, car, si ce principe n’était pas respecté, la presse pourrait être « moins à même de jouer son rôle indispensable de “chien de garde” de la démocratie ».

La Cour ajoute que les journalistes doivent pouvoir ne pas révéler leurs sources à l’autorité judiciaire, sauf si l’atteinte au secret est justifiée par « un impératif prépondérant d’intérêt public ».

Il était donc urgent et nécessaire de remédier aux insuffisances de notre droit au regard de la jurisprudence européenne en conférant une véritable assise juridique au secret des sources.

Tel est l’objet du projet de loi qui nous est soumis.

Je tiens, au nom de l’ensemble de mes collègues du groupe UMP, à saluer l’engagement du Président de la République, qui avait promis, durant la campagne pour l’élection présidentielle, de réformer le droit en vigueur pour renforcer la liberté d’information §et, ainsi, consolider la démocratie.

C’est donc avec satisfaction que nous examinons aujourd’hui ce projet de loi attendu qui montre l’importance accordée par le Gouvernement à la liberté d’information et à l’indépendance des journalistes.

Ce texte comporte des avancées considérables. Il ne s’agit ni d’une petite réforme ni d’une simple adaptation de nos règles de droit.

Au contraire, il s’agit d’un texte majeur qui pose un nouveau principe au service de la liberté d’informer et de notre démocratie. Pour la première fois en effet, le principe de protection du secret des sources est véritablement garanti.

Le principe général posé dans la loi de 1881 s’appliquera dans tous les domaines, notamment devant les juridictions répressives, et cela même en l’absence de dispositions particulières.

Tous les actes d’enquête et d’instruction seront soumis aux conditions restrictives, qui permettent, à titre exceptionnel seulement, d’identifier la source d’un journaliste.

Les journalistes se voient par ailleurs reconnaître un droit au silence absolu, un droit de taire leurs sources en toutes circonstances.

Entendus comme témoins, ils pourront invoquer le secret des sources à tous les stades de la procédure pénale.

Le projet de loi les protège également davantage en cas de perquisition.

Il encadre, en outre, de façon plus rigoureuse l’intervention de l’autorité judiciaire, car, comme vous le souligniez à juste titre, madame le garde des sceaux, « le secret des sources doit pouvoir être levé dans certaines conditions très encadrées. Il ne peut être absolu. ».

Il doit, en effet, exister un juste équilibre entre la protection des sources et ce que la Cour européenne des droits de l’homme appelle « un impératif prépondérant d’intérêt public ».

Ainsi, il ne pourra être porté atteinte au secret des sources qu’à titre exceptionnel et lorsqu’un intérêt impérieux l’imposera.

Cette atteinte devra être strictement nécessaire et proportionnée. Ainsi, il sera possible à un juge d’exiger qu’un journaliste révèle l’identité de ses sources dans une affaire de terrorisme ou de crime organisé.

Ce projet de loi nous paraît donc parfaitement équilibré. Il est protecteur pour les journalistes tout en permettant, néanmoins, une intervention encadrée du juge.

Le rapporteur, M. François-Noël Buffet, proposera à notre assemblée des amendements qui tendent à renforcer davantage les garanties apportées par ce projet de loi et que nous soutiendrons.

Sans en modifier l’équilibre, ces amendements opèrent une clarification utile du texte afin d’écarter tout malentendu et tout risque d’interprétation restrictive de la protection du secret des sources.

Avant de conclure, je souhaiterais abonder dans le sens de M. le rapporteur : il nous semble nécessaire que puisse être menée une vraie réflexion sur l’organisation de la profession de journaliste, notamment en matière de déontologie.

En effet, dans la mesure où ce projet de loi vise à reconnaître de nouveaux droits et à faire bénéficier les journalistes de procédures dérogatoires au droit commun habituellement réservées à des professions réglementées, il n’est pas illégitime d’envisager des contreparties garantissant que les journalistes n’abuseront pas de ces nouveaux droits.

Pour l’ensemble de ces raisons et sous réserve de ces observations, le groupe UMP votera en faveur de ce projet de loi tel qu’enrichi par les pertinentes propositions de M. le rapporteur.

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