Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, attendue depuis fort longtemps – il s’agit, on l’a dit, de l’une des plus anciennes revendications des journalistes –, la protection des sources des journalistes sera, si le Parlement en décide ainsi, consacrée par le présent projet de loi.
Les relations entre la presse et la justice sont complexes. L’équilibre entre la liberté de la presse, le droit des victimes et le secret de l’instruction est souvent difficile à trouver.
Toutefois, sans méconnaître le principe de l’égalité de tous devant la loi, il est incontestable que notre législation est aujourd’hui silencieuse sur la protection du secret des sources des journalistes.
Cette situation est d’autant plus regrettable que certaines affaires, comme celle qui, récemment, a opposé le magazine Auto Plus et l’entreprise Renault, ont montré que les atteintes à la liberté de la presse pouvaient atteindre des proportions très regrettables.
L’affaire que je viens de citer est l’illustration parfaite des sérieuses lacunes qu’accuse notre droit et montre que celui-ci est peu protecteur du secret des sources.
Or cette protection est nécessaire, non seulement parce que c’est une garantie fondamentale de la liberté de la presse, mais aussi parce que la France a été à plusieurs reprises condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme sur le fondement de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme.
La jurisprudence de la Cour de Strasbourg est particulièrement libérale et protectrice des journalistes et il est instructif de s’arrêter sur l’état d’esprit qui a présidé à son élaboration.
Ainsi, dans le célèbre arrêt Goodwin contre Royaume-Uni du 27 mars 1996, arrêt de référence en la matière, la Cour européenne affirme le droit des journalistes à protéger leurs sources.
Cependant, elle ne se limite pas à consacrer cette protection : elle saisit cette occasion pour également affirmer le rôle déterminant des journalistes dans nos sociétés démocratiques contemporaines.
Partant de diverses considérations, la Cour de Strasbourg décline également sa doctrine sur la protection des sources : « La protection des sources journalistiques est l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse. L’absence d’une telle protection pourrait dissuader les sources journalistiques d’aider la presse à informer le public sur des questions d’intérêt général. »
Au fil de sa jurisprudence, la Cour a reconnu que trois motifs pouvaient porter atteinte à ce principe : l’existence d’un impératif prépondérant d’intérêt public ; la nécessité de l’atteinte, c’est-à-dire l’importance de la recherche pour réprimer ou prévenir l’infraction ; la proportionnalité de l’atteinte, et notamment l’existence d’autres mesures qui permettent d’arriver aux mêmes résultats.
Dans un arrêt récent de novembre 2007, Tillack contre Belgique, elle va jusqu’à considérer que le « droit des journalistes de taire leurs sources ne saurait être considéré comme un simple privilège qui leur serait accordé ou refusé en fonction de la licéité ou de l’illicéité des sources, mais comme un véritable attribut du droit à l’information, à traiter avec la plus grande circonspection ».
Il est à noter également que, quelques années après l’arrêt Goodwin, le comité des ministres du Conseil de l’Europe a adopté une recommandation invitant les États à prendre les mesures nécessaires à la protection des sources des journalistes.
Force est de constater que la France, contrairement à d’autres pays européens comme la Belgique, est aujourd’hui très en retard.
Les seules mesures actuellement en vigueur permettant de protéger à minima les journalistes datent de la loi du 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale, qui autorise le journaliste à ne pas divulguer ses sources lorsqu’il est entendu comme témoin devant un juge d’instruction, et de la loi du 9 mars 2004, dite « Perben II », laquelle protège le journaliste en cas de réquisition judiciaire.
Notre pays a donc une législation extrêmement parcellaire et se trouve de plus en plus en opposition avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui l’a d’ailleurs condamné à plusieurs reprises, principalement en 1999 et en 2007.
Dans ces affaires, la Cour de Strasbourg a d’ailleurs eu à se prononcer sur un deuxième sujet majeur et typiquement français : la condamnation pour délit de recel de violation du secret de l’instruction ou du secret professionnel. En effet, les juges français ont eu de plus en plus tendance ces dernières années à condamner les journalistes sur le fondement de ces deux infractions et donc à autoriser dans le cadre de l’enquête des perquisitions. Dans l’affaire Fressoz et Roire notamment, il s’agissait du secret fiscal, après la publication de la déclaration de revenus de M. Calvet.