Intervention de Josiane Mathon-Poinat

Réunion du 5 novembre 2008 à 15h00
Protection du secret des sources des journalistes — Discussion d'un projet de loi

Photo de Josiane Mathon-PoinatJosiane Mathon-Poinat :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui le projet de loi relatif à la protection du secret des sources des journalistes, cinq jours seulement après son inscription à l’ordre du jour par le Gouvernement.

En préambule, je ne peux donc que déplorer les conditions d’examen de ce texte, avant d’en aborder le fond. Le Gouvernement a décidément bien du mal à traduire dans la pratique le discours qu’il nous a inlassablement répété durant l’examen de la révision constitutionnelle sur la revalorisation du rôle du Parlement, censé être davantage associé à la fixation de l’ordre du jour, et sur le temps nécessaire pour légiférer en toute quiétude. Je le regrette, mais je n’en suis guère étonnée.

Le sujet du jour est le principe de la protection du secret des sources des journalistes, qui attendait une reconnaissance législative.

La loi de 1881 a constitué, sous la IIIe République, une avancée considérable pour la liberté d’expression et la liberté de la presse, mais elle ne reconnaît pas le principe de la protection des sources.

La Charte des devoirs professionnels des journalistes français adoptée en 1918 dispose : « Un journaliste, digne de ce nom, [...] garde le secret professionnel ; [...] ne confond pas son rôle avec celui du policier. »

Plus tard, le principe fut repris dans la Déclaration des droits et devoirs des journalistes de 1971 : « Les devoirs essentiels du journaliste, dans la recherche, la rédaction et le commentaire des événements sont : [...]

« Garder le secret professionnel et ne pas divulguer la source des informations obtenues confidentiellement ; ».

Dans le cas plus précis de la France, seule la loi Vauzelle du 4 janvier 1993 modifie l’article 109 du code de procédure pénale : « Tout journaliste, entendu comme témoin sur des informations recueillies dans l’exercice de son activité, est libre de ne pas en révéler l’origine. »

Mais, depuis cette date, la législation française n’a pas spécifiquement consacré le principe de la protection du secret des sources, bien que celui-ci soit reconnu au niveau international et européen. Cependant, la Cour européenne des droits de l’homme l’a proclamé comme étant un élément essentiel de la liberté d’expression dans plusieurs de ses arrêts, allant même jusqu’à le considérer, dans son arrêt Roemen et Schmit contre Luxembourg de février 2003, comme étant « l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse. »

Le secret des sources fait partie intégrante de la liberté d’information et de la liberté d’expression C’est sur ce fondement que la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme le 7 juin 2007, estimant que la condamnation de deux journalistes qui avaient refusé de révéler leurs sources constituait une violation de la liberté d’expression.

Les journalistes français se trouvent donc confrontés à une problématique sinon insoluble, du moins insatisfaisante : soit ils révèlent leurs sources, soit ils doivent faire face à des condamnations judiciaires. Dans les deux cas, la liberté d’information est mise en danger : les sources, se sachant identifiables, finiront par se raréfier, voire par disparaître, et les journalistes, menacés de sanctions judiciaires, hésiteront avant de publier une information. Enfin, le public risque de connaître, progressivement, une presse uniforme, lisse et qui s’autocensure.

La situation est d’autant plus critique aujourd’hui que les grands groupes de presse n’appartiennent qu’à quelques personnes, telles que Lagardère, Bouygues, Bolloré ou Dassault, toutes proches, voire intimes, du pouvoir exécutif en place.

Reconnaître la protection du secret des sources constitue une exigence démocratique, afin de garantir une presse libre et indépendante, protégée des pressions.

C’était l’objectif attendu de la profession, soumise de plus en plus fréquemment à des procédures judiciaires destinées à remonter leurs sources : multiplication des mises en examen ou encore des perquisitions visant les rédactions et leurs membres.

Je citerai simplement les perquisitions au Canard Enchaîné, la mise en examen de Denis Robert dans l’affaire Clearstream, les perquisitions au Point et à L’Équipe dans l’affaire Cofidis, et la garde à vue récente du journaliste Guillaume Dasquié, pigiste au Monde, pour la divulgation de documents provenant de la Direction générale de la sécurité extérieure, la DGSE.

Le présent projet de loi est-il de nature à dissiper les craintes des journalistes et à assurer le droit à l’information ? Le texte initial ne contient pas les traductions de ces exigences. En effet, il se situe en retrait par rapport à la jurisprudence européenne et au droit européen. Le 8 mars 2000, le comité des ministres du Conseil de l’Europe a adopté une recommandation sur le droit des journalistes de ne pas révéler leurs sources d’information, réaffirmant « que le droit à la liberté d’expression et d’information constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique ».

Le texte se situe également en retrait par rapport à d’autres législations d’États membres, telle la Belgique, dont la fameuse loi d’avril 2005 accorde une protection très étendue du secret des sources non seulement des journalistes, mais aussi de leurs collaborateurs.

Or si l’on regarde attentivement et dans le détail le projet de loi, force est d’admettre qu’il n’est pas à la hauteur des enjeux et qu’il n’est pas aussi protecteur que le Gouvernement voudrait nous le faire croire. Les deux premiers articles concentrent l’essentiel des critiques.

L’article 1er crée un nouvel article 2 pour la loi du 29 juillet 1881. Il était très contestable dans sa présentation initiale pour trois raisons principales.

Tout d’abord, il prévoyait que le secret des sources des journalistes était protégé « afin de permettre l’information du public sur des questions d’intérêt général. » Cette formulation, reprise de la recommandation de juillet 2000, laisse toutefois perplexe. Est-ce à dire que, dans les autres cas, le secret des sources ne serait pas protégé ? On peut légitimement le craindre.

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