Intervention de Josiane Mathon-Poinat

Réunion du 5 novembre 2008 à 15h00
Protection du secret des sources des journalistes — Discussion d'un projet de loi

Photo de Josiane Mathon-PoinatJosiane Mathon-Poinat :

Quels seraient ces cas et comment seraient-ils définis ? Ce texte risque donc d’introduire un clivage entre différentes formes de presse.

Ensuite, le principe énoncé était aussitôt tempéré par une exception. Trois conditions étaient ainsi définies pour encadrer les pouvoirs du juge : « Il ne peut être porté atteinte à ce secret que lorsqu’un intérêt impérieux l’impose […] si la nature et la particulière gravité du crime ou du délit […] ainsi que les nécessités des investigations le justifient. »

Enfin, la définition donnée de la personne protégée ne prenait pas en compte l’ensemble des professionnels, à commencer par les collaborateurs, c’est-à-dire les personnes gravitant autour des journalistes, pas plus que n’était définie la notion de source.

Le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale n’a pas levé toutes les ambiguïtés de l’article 1er : il ne revient pas, notamment, sur la question de l’« intérêt général » devant caractériser l’information du public.

Dans les trois conditions définies pour encadrer les pouvoirs du juge, la notion d’« intérêt impérieux » a été remplacée par celle d’« impératif prépondérant d’intérêt public », qui est une reprise des termes de la Cour européenne des droits de l’homme, et l’atteinte au secret reste possible « si la nature et la particulière gravité du crime ou du délit sur lesquels elle porte ainsi que les nécessités des investigations rendent cette atteinte strictement nécessaire. »

Si la notion d’« intérêt impérieux » a heureusement été abandonnée, parce qu’elle était trop floue, les imprécisions du texte initial n’ont pas été levées : comment apprécier « l’impératif prépondérant d’intérêt public » ou encore la « particulière gravité du crime » ? Ces notions sont subjectives ; elles risquent de dépendre de l’humeur de l’opinion publique à un moment donné.

La question des collaborateurs des journalistes a été réglée par le rapporteur de l’Assemblée nationale un peu trop rapidement, me semble-t-il, en prévoyant que l’atteinte portée au secret des sources peut être directe ou indirecte. Mais cette précision est incomplète ; elle ne permet pas une protection suffisante de la chaîne de diffusion de l’information. Par ailleurs, la définition de ce qu’est une source fait toujours défaut.

Je prendrai l’exemple de la loi belge de 2005 : la protection accordée par l’article 2 aux collaborateurs est explicite ; ils sont protégés au même titre que les journalistes, dont la définition est également plus satisfaisante que celle qui figure dans le présent projet de loi.

La loi belge définit également les informations et documents susceptibles d’identifier une source, ce que prévoyait la recommandation du Comité des ministres du 8 juillet 2000.

Le projet de loi reste muet sur la question des sources et des informations susceptibles de les identifier.

L’article 2, quant à lui, modifie le code de procédure pénale afin d’encadrer les perquisitions dans une entreprise de presse ou au domicile du journaliste. Mais le texte initial présentait quelques lacunes, comblées par les députés : les perquisitions dans les entreprises de communication au public en ligne ou encore dans les véhicules professionnels des journalistes, oubliées à l’origine, sont désormais elles aussi encadrées.

Les éléments saisis seront mis sous scellés et le juge des libertés et de la détention décidera s’ils doivent ou non être pris en compte dans la procédure, après débat avec le journaliste concerné, celui-ci pouvant en effet s’opposer à la saisie s’il l’estime irrégulière.

L’objectif visé est de calquer les garanties relatives aux perquisitions dans les locaux des journalistes sur celles dont bénéficient les avocats, mais à une différence près, et pas des moindres : en cas de perquisition dans un cabinet d’avocats, le bâtonnier est présent, ce qui constitue une garantie supplémentaire qui n’existe pas pour les journalistes.

Enfin, les articles 3 bis et 3 ter ont été insérés par l’Assemblée nationale, sur l’initiative du rapporteur : le premier porte sur les réquisitions et le second sur les écoutes téléphoniques.

Il faut saluer le fait que les députés aient abordé la question des réquisitions, mais notre optimisme s’arrête à la lecture de l’article 3 bis. En effet, celui-ci prévoit que toute réquisition judiciaire qui porterait illégalement atteinte au secret des sources serait nulle. Le problème des réquisitions, notamment en ce qui concerne celles qui sont destinées à obtenir la liste des appels émis ou reçus par un journaliste auprès de son opérateur téléphonique, est soulevé de façon récurrente par les journalistes.

Si les perquisitions bénéficient d’un encadrement malgré tout assez strict, les réquisitions constituent, quant à elles, un réel danger pour les sources des journalistes. En effet, la police peut tout à fait envoyer une réquisition aux opérateurs téléphoniques et ainsi obtenir la liste des appels reçus ou émis par le journaliste, sans même que celui-ci en soit informé. Or rien ne sert de poser le principe de la protection du secret des sources si la police ou le juge peuvent obtenir la liste des numéros émis ou reçus par un journaliste.

L’article 3 bis ne règle que partiellement la question, puisque la nullité est une sanction qui intervient a posteriori. Le policier ou le juge pourront toujours avoir connaissance des sources. De plus, cet article atténue la portée de la protection, puisque, pour que la nullité soit reconnue, il faut que l’atteinte ait été « disproportionnée, au regard de la gravité et de la nature de l’infraction ».

Quant à l’article 3 ter, mes remarques seront du même ordre : il tend à sanctionner de nullité la transcription des écoutes judiciaires lorsque celles-ci portent atteinte de façon disproportionnée au secret des sources.

En conclusion, j’aurais souhaité que ce projet de loi offre une réelle protection du secret des sources des journalistes. Mais l’imprécision des formulations retenues par l’article 1er, tant dans le principe de protection que dans les dérogations prévues, traduit une sorte de méfiance à l’égard de la profession journalistique.

J’ai l’impression que le Gouvernement a cherché davantage à se donner les moyens de pouvoir contourner le secret des sources qu’à le protéger véritablement.

Nous attendons le débat sur les amendements – les nôtres, bien sûr, mais aussi ceux de M. le rapporteur et de nos collègues – pour voir si le Gouvernement a le courage de consacrer réellement le principe de la protection du secret des sources des journalistes. Si tel n’était pas le cas, nous ne pourrions voter en faveur de ce texte.

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