Par ailleurs, il nous faut replacer ce projet de loi dans le contexte des grands arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme. Ainsi, l’arrêt Goodwin contre le Royaume-Uni consacre le principe de la protection des sources des journalistes. Dans l’arrêt Ernst et autres contre la Belgique, la Cour européenne des droits de l’homme juge que des « perquisitions ayant pour objet de découvrir la source d’information des journalistes – même si elles restent sans résultat – constituent un acte encore plus grave qu’une sommation de divulgation de l’identité de la source ». L’arrêt Roemen et Schmit contre le Luxembourg consacre le secret des sources comme l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse. Enfin, dans l’arrêt Dupuis et Pontaut contre la France du 7 juin 2007, la Cour européenne des droits de l’homme invite à la plus grande prudence « concernant l’incrimination de recel de violation du secret de l’instruction ».
Il a beaucoup été dit que la législation belge, notamment la loi du 27 avril 2005, atteignait un degré de protection des sources des journalistes digne d’être cité en exemple. Il en est de même pour ce qui est de la définition du journaliste et de ses collaborateurs, des fortes restrictions aux condamnations de journalistes pour recel et, surtout, de la définition de l’exception, sur laquelle je reviendrai dans un instant.
Madame la ministre, mes chers collègues, nous avons travaillé sur ce texte ; nous avons dialogué avec les organisations représentatives des journalistes, avec les syndicats, les associations. Nous en sommes arrivés à la conclusion suivante : pour que nous puissions voter ce texte, il faut qu’il soit amélioré et clarifié sur plusieurs points ; j’en citerai sept, qui sont repris dans les amendements que nous avons déposés.
Premièrement, il convient de revenir sur la référence à « l’intérêt général ». À cet égard, je tiens à saluer l’initiative de François-Noël Buffet, rapporteur : son amendement visant à supprimer cette mention est le bienvenu. C'est la raison pour laquelle nous souhaitons son adoption.
Nous préférerions toutefois, par souci de clarté et pour éviter toute ambiguïté, la formulation que nous proposons dans l’un de nos amendements, qui est simple et que tout le monde comprend : « Le droit au secret des sources d’information est protégé par la loi. » Je ne vois pas quelles objections vous pourriez soulever ! Mais si des dénégations ou des doutes nous étaient opposés, je souhaiterais savoir sur quel fondement. Nous aurons l’occasion d’en discuter lors de l’examen de cet amendement.
Deuxièmement, nous estimons que la réécriture de l'article 2 de la loi de 1881, issue des travaux de l'Assemblée nationale, ne peut absolument pas être acceptée en l’état. En effet, il est précisé : « Il ne peut être porté atteinte […] au secret des sources » ; l’expression n’est pas très heureuse pour fonder un droit. Puis on indique aussitôt après les conditions dans lesquelles il peut être porté atteinte à ce secret des sources. On aurait pu adopter une autre formulation.
Dans un premier temps, le Gouvernement avait fait référence à un « intérêt impérieux » Qu’est-ce qu’un intérêt impérieux ? Tout ne peut-il devenir, au regard de certaines circonstances, un intérêt impérieux ? L'Assemblée nationale a préféré l’expression « impératif prépondérant ». Là encore, de quoi s’agit-il ? De quelque chose plus important qu’autre chose. Finalement, cela ne veut pas dire grand-chose : c’est très général ! Si quelqu’un ici pense que cette formulation est suffisamment précise, je serais très heureux d’entendre son argumentation. Dans le cas contraire, je ne vois pas pourquoi elle serait maintenue.
J’en viens aux réserves émises par Michel Charasse. L’un de nos amendements vise à prévoir une limite au secret des sources, en tenant très précisément compte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et de la législation de plusieurs pays, en particulier celle de la Belgique : « sauf si la révélation des sources est de nature à prévenir la commission d’un crime ou d’un délit constituant une menace grave pour l’intégrité des personnes ». Dans ces cas-là, et dans ces cas-là seulement, il pourra être porté atteinte au secret des sources.