Or on constate que la jurisprudence de la Cour de Strasbourg est de plus en plus réticente à réprimer les « abus », tandis que, parallèlement, la presse actuelle ressemble de moins en moins à celle de 1789, puisque l’objectif de diffuser la pensée se trouve peu à peu remplacé par celui, purement commercial, qui porte la marque de ces grands groupes de presse d’aujourd'hui évoqués tout à l'heure par M. Sueur.
Entre nous, mes chers collègues, il ne faut pas fournir un très gros effort intellectuel pour donner une large diffusion aux extraits les plus croustillants d’un document volé dans le cabinet d’un juge d’instruction, quand on n’en a pas tout simplement hérité directement par une bienveillance coupable ! Et je ne parle même pas de l’interprétation de plus en plus restrictive de la loi de 1881 par nos tribunaux nationaux, manipulés par la presse, qui rend la répression des « abus » quasiment impossible.
J’en viens au texte, à propos duquel je voudrais soulever deux ou trois points.
Tout d'abord, mes chers collègues, nous posons un principe, celui de la protection des sources, dont l’exception sera l’atteinte à cette protection. À l’évidence, l’interprétation juridique de cette disposition sera forcément restrictive dès lors qu’il s'agit d’un principe et de ses exceptions.
D’où la très large marge d’appréciation qui sera laissée au juge, sous le contrôle naturellement de la Cour de cassation, mais à partir d’une définition très générale, qui sera toujours interprétée strictement, et parfois d'ailleurs dans une ambiance difficile de polémique et de pression médiatique.
Mes chers collègues, dans ce débat, nos travaux préparatoires ont une importance particulière, car on doit savoir précisément à l’issue de cette discussion ce que recouvre exactement la notion d’ « impératif prépondérant d’intérêt public » ; je rejoins largement sur ce point M Sueur et ses amis, qui ont posé les bonnes questions. Puisque la majorité refuse d’amender ce texte pour le rendre plus précis, nous devons au moins faire en sorte que les travaux préparatoires affirment clairement ce qu’a voulu faire et dire le législateur, étant entendu qu’une énumération des exceptions à la protection du secret des sources serait dangereuse, car elle risquerait d’être trop générale et incomplète.
Mes chers collègues, je pose simplement des questions, auxquelles j’espère obtenir des réponses à un moment ou à un autre du débat.
Les intérêts fondamentaux de la nation, au sens du code pénal, sont-ils un « impératif prépondérant d’intérêt public » ? Qu’en est-il de la sécurité intérieure et extérieure, de l’ordre public et de la défense nationale, des grands trafics internationaux, comme la drogue, les armes, le blanchiment d’argent et, d’une façon plus générale, de tout ce qui est lié au respect et à l’application des traités auxquels la France est partie ?
Peut-on considérer comme un « impératif prépondérant d’intérêt public » le fait, pour un particulier, de demander la levée du secret des sources afin d’éviter d’ « écoper » de trente ans de réclusion en cour d’assises ? Cette restriction est-elle indispensable pour assurer la liberté des citoyens dans le cas, qu’aurait pu évoquer notre collègue Jean-Pierre Sueur, où quelqu'un affirmerait : « si ce journaliste parle, on aura la vérité et on verra que je suis innocent ! »
Je citerai également, pour mémoire, le cas des menaces pesant sur la vie d’une ou de plusieurs personnes, qu’envisageait Jean-Pierre Sueur tout à l'heure.
Je viens de faire une énumération, et elle n’est pas complète, mais j’ai cité ces domaines pour que l’on ne se retrouve pas demain dans une situation où le droit de la presse pèserait plus lourd que les intérêts de la nation. Après tout, selon la jurisprudence ancienne, il est plus dangereux de commettre un délit financier, jamais prescrit, qu’un crime de sang prescrit en dix ans.