Intervention de Michèle San Vicente-Baudrin

Réunion du 9 novembre 2006 à 15h00
Participation et actionnariat salarié — Article 22

Photo de Michèle San Vicente-BaudrinMichèle San Vicente-Baudrin :

L'article 22 du présent projet de loi a pour objet de permettre jusqu'au 31 décembre 2010 le prêt de main-d'oeuvre réciproque entre entreprises et organismes d'enseignement supérieur et de recherche à l'intérieur des pôles de compétitivité.

Un contrat est passé entre les employeurs, qui précise les caractéristiques de l'emploi « d'affectation », notamment les horaires, le lieu d'exécution, l'accès à la formation, le terme de la mise à disposition, les conditions d'exercice des droits à congé et les modalités de rupture anticipée par le salarié ou l'une ou l'autre des parties à la convention.

Devant cette innovation juridique, on peut se demander si un salarié en CDI dans une entreprise ou un fonctionnaire devient soumis dans ce cas à un double lien de subordination. À moins que vous n'envisagiez de généraliser les dispositions relatives à l'intérim. Cela mérite bien une réponse, monsieur le ministre !

La question du lieu d'exécution est importante : selon que le contrat de travail du salarié contient ou non une clause de mobilité, selon que les lieux de travail sont ou non dans le même secteur géographique, on se trouve en présence d'un simple changement des conditions de travail relevant du pouvoir de direction de l'employeur ou d'une modification du contrat de travail. La jurisprudence de la Cour de cassation est abondante et variée sur ce point.

Les représentants du personnel continueront à bénéficier des protections légales, mais seront empêchés d'exercer leur mandat dans leur entreprise, où ils ne seront plus présents. N'étant pas élus dans l'entreprise d'accueil, ils n'y exerceront non plus aucun mandat. La Cour de cassation a précisé, dans un arrêt rendu le 30 avril 1997, que les garanties légales dont bénéficient les salariés protégés s'opposent non seulement à toute modification de leur contrat de travail, mais aussi à tout changement de leurs conditions de travail, ce qui peut poser un problème dans le cas d'un changement du lieu de travail.

Il n'est prévu ni information, ni a fortiori consultation des instances de représentation du personnel, qu'il s'agisse du secteur privé ou du secteur public, ni formalité de dépôt auprès de l'administration du travail.

La proposition doit être faite au salarié par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge. Le salarié dispose d'un délai de quinze jours pour faire connaître sa décision. En l'absence de réponse au terme de ce délai, il est réputé avoir refusé la proposition. Un salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une discrimination pour avoir refusé la proposition ou fait cesser la mise à disposition.

Le texte indique que cette procédure doit être respectée à chaque renouvellement de mise à disposition, ce qui implique éventuellement une longue durée de celle-ci, sans qu'aucune limite finale soit mentionnée par le texte.

Cette disposition, étonnante dans un texte social, peut explicitement être utilisée pour contourner les seuils d'effectifs, ainsi que l'indique le dernier alinéa du paragraphe IV de l'article. Le texte dispose seulement que, pendant la durée de la mise à disposition, le salarié a droit au maintien de sa rémunération, avec une condition d'équivalence par rapport à l'entreprise d'accueil.

Enfin, il n'est pas précisé que cette rémunération puisse être augmentée par l'entreprise d'accueil, notamment en fonction de l'ancienneté dans ladite entreprise, si la « mission » se prolonge, sans doute parce que cela modifierait les conditions de retour dans l'entreprise, où le salarié doit retrouver son emploi ou un emploi similaire, avec une rémunération équivalente et ses droits à ancienneté.

Il est évident que si l'on se contente d'avoir sur cette affaire une vision tournée vers la recherche et ses applications industrielles, vers les travaux de laboratoire, on peut trouver cette disposition intéressante. Le problème est que votre projet de loi ne précise nulle part que l'on va simplement faire travailler ensemble des chercheurs de haut niveau.

S'il n'est pour l'instant applicable que dans les pôles de compétitivité - et ils sont déjà nombreux -, votre texte concerne potentiellement l'ensemble des personnels travaillant sur ces pôles. Ainsi, rien n'empêcherait que le prêt de main-d'oeuvre soit utilisé comme un volant de sécurité pour faire face à des accroissements d'activité sans passer par les formalités propres aux CDD, sans recourir à des entreprises d'intérim ou, encore moins, sans créer un groupement d'employeurs.

Le code du travail contient déjà des dispositions relatives aux échanges de main-d'oeuvre, et c'est parce que vous les connaissez que votre texte précise qu'elles ne s'appliqueront pas. Elles qualifient en effet les délits passibles de sanctions pénales et ce ne sont nullement des mesures anodines.

Les articles L. 125-1 à L. 125-4 du code du travail prohibent le marchandage. Or l'article 22 du présent projet prévoit expressément, dans son deuxième alinéa : « Les dispositions des articles L. 125-1 et L. 125-4 du code du travail ne sont pas applicables au prêt de main-d'oeuvre [...] dès lors qu'il n'a pas pour effet de causer un préjudice au salarié intéressé. »

Il y a là, à notre sens, une légalisation du marchandage dans la mesure où, même si le prêt de main-d'oeuvre n'est pas à but explicitement lucratif, comme dans l'intérim, l'entreprise prêteuse attend nécessairement un « retour » de son prêt, sous une forme de bénéfice partagé du travail du salarié. C'est d'ailleurs l'exemple de l'application industrielle du travail d'un chercheur.

Mais le préjudice peut aussi concerner le fait que le salarié, sous CDI dans son entreprise, ne sera pas compté dans les effectifs de l'entreprise d'accueil. De même, on ignore quelle convention collective lui sera applicable.

Cet article permet ainsi tous les arrangements et ne résout en rien les difficultés actuelles de la recherche. Pour toutes ces raisons, nous demandons sa suppression.

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