Intervention de Jean-Pierre Raffarin

Réunion du 28 février 2005 à 15h00
Vote sur le projet de loi constitutionnelle relatif à la charte de l'environnement

Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre :

Monsieur le président du Congrès, monsieur le président du Sénat, mesdames et messieurs les députés, mesdames et messieurs les sénateurs, j'ai à nouveau l'honneur de proposer à votre approbation une évolution essentielle de notre Constitution, pour cette fois y adosser la Charte de l'environnement.

Inscrire dans notre Constitution le droit à un environnement préservé, c'est engager la France pour elle-même, mais aussi pour les autres nations. Le Président de la République a eu à Johannesburg des mots forts, des mots justes : oui, « la maison brûle ». Oui, la planète se réchauffe dangereusement. Oui, l'érosion de la biodiversité s'accélère. Les exemples sont, hélas ! nombreux : les menaces écologiques s'accumulent. Les Français ne comprendraient pas que nous différions l'adoption de la Charte de l'environnement, étape fondamentale de notre engagement pour le développement durable.

Se préparer à l'adoption de la Constitution européenne, comme vous venez de le faire, était indispensable pour notre engagement européen ; approuver la Charte de l'environnement est tout aussi indispensable pour le rôle pionnier de la France dans le monde. Le Congrès fait preuve de clairvoyance : il examine aujourd'hui deux sujets fondamentaux pour notre devenir.

L'adoption de la Charte est une étape décisive pour l'histoire des droits dans notre pays. Grâce à la volonté indéfectible du Président de la République, la Charte élève le développement durable au plus haut niveau de notre édifice juridique, aux côtés de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et du préambule de la Constitution de 1946. Ce texte fondateur n'a rien de partisan. La France devient ainsi le premier pays à consacrer au droit à l'environnement une déclaration constitutionnelle complète. La mission de la France a toujours été de montrer le chemin des principes fondamentaux du progrès humain.

Car le développement durable n'est pas la crainte du progrès, c'est au contraire l'assurance que le développement de nos sociétés sera pérenne, grâce à la prise de conscience du besoin absolu de concilier développement économique, progrès social et protection de l'environnement. Il ne s'agit pas d'une philosophie nouvelle abstraite, mais d'une maxime d'action et d'une volonté d'anticipation. En développant les éco-industries, en favorisant la croissance des énergies non émettrices de gaz à effet de serre, en axant notre effort de recherche vers les transports propres, nous réorientons notre activité économique vers les activités de demain tout en protégeant notre environnement.

La Charte qui vous est proposée aujourd'hui est le fruit d'une longue maturation. Dirigée par le grand paléontologue Yves Coppens, dépourvue de toute influence partisane, la réflexion, coordonnée avec la société civile, a été exemplaire. Les améliorations apportées par vos deux assemblées ont permis d'enrichir et de préciser son contenu, et je veux ici saluer le travail accompli par vos commissions et leurs rapporteurs.

Le premier article de la Charte est emblématique de cette nouvelle conception de l'environnement. En reconnaissant le droit de chacun à vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, nous consacrons l'avènement d'une écologie humaniste, qui n'oppose en rien l'homme à la nature. Protéger l'environnement, c'est protéger l'homme et son enfant. C'est une exigence absolue de nos concitoyens. Il fallait y répondre. C'est l'objet du plan national « santé-environnement » adopté en juin 2004.

Grâce au débat parlementaire, l'article 5 concernant le principe de précaution a été précisé, ce qui incitera probablement le législateur à compléter notre droit positif.

Trop de propos erronés ont été à l'origine tenus sur le sens et la portée de ce principe. Il est défini dorénavant très clairement, ce qui garantira son application et évitera tout risque de mauvaise interprétation.

Le principe de précaution n'est pas une menace, c'est un « principe d'action exceptionnel, pour risques exceptionnels », comme l'écrit Hubert Reeves. Je prendrai pour seul exemple la question du réchauffement climatique. Les scientifiques du monde entier nous annoncent aujourd'hui un réchauffement compris entre un degré et demi et six degrés d'ici à la fin du siècle. Devons-nous attendre qu'ils précisent leurs chiffres pour agir ? Bien évidemment, non !

C'est pourquoi, avec le « plan climat », nous appliquons strictement le protocole de Kyoto. C'est pourquoi nous nous engageons dès maintenant à aller au-delà et à militer pour « Kyoto plus ». Le crédit d'impôts, dès aujourd'hui, pour favoriser les économies d'énergie et l'utilisation d'énergies renouvelables, demain la pile à combustible et la séquestration du carbone ou le photovoltaïque grâce à un effort de recherche sans précédent sont des engagements qui ne peuvent être renvoyés à plus tard. Même si nous ne connaissons pas encore tout de l'intensité du réchauffement, de ses conséquences précises, nous devons agir « sans attendre le stade des certitudes scientifiques ».

Notre génération possède déjà le néfaste pouvoir de condamner les suivantes.

La Charte que je vous invite à adopter aujourd'hui marque donc un engagement définitif pour que la logique de préservation de notre environnement soit présente dans l'ensemble de nos politiques.

Il n'est plus temps de s'interroger sur la question de savoir si nos politiques de recherche, de développement économique, de formation, doivent ou non intégrer la protection de l'environnement. La réponse est claire : c'est oui. Le développement durable doit devenir un levier puissant pour notre développement scientifique, technique et industriel, et donc pour l'emploi.

C'est une exigence que nous devons aux Françaises et aux Français, qui n'acceptent plus que l'on oublie la préservation de l'environnement lorsque l'on améliore les transports, l'habitat ou les activités économiques de demain. Lorsque l'on décide, comme je viens de le faire, de tripler la production de biocarburants, on offre un nouveau débouché aux producteurs agricoles, mais aussi on intègre l'acte de production agricole dans la stratégie de lutte contre l'effet de serre.

Notre engagement pour le développement durable se fait en pleine cohérence avec nos engagements européens et internationaux.

La cohérence est d'abord européenne, puisque le projet de Constitution européenne prévoit pour la première fois l'intégration des exigences de protection de l'environnement et de développement durable. La politique européenne de l'environnement sera fondée sur les principes de précaution, de prévention et de correction. Si vous en décidez ainsi, la France les intégrera dès maintenant dans sa Constitution.

Elle fait mieux : elle précise et donne une portée concrète à ces principes, afin d'influer dorénavant sur l'ensemble de la législation. Elle y ajoute le principe de réparation des dégradations causées au milieu lui-même, ainsi que le devoir de former et d'informer l'ensemble des Français. Des citoyens éclairés sur les enjeux fondamentaux pour le devenir de la planète, c'est la garantie d'un débat démocratique, rationnel et responsable, à la hauteur de ces enjeux. Nous suivons ici le conseil d'Edgar Morin : « Si on éduque pour le futur, on éduque en même temps le futur, on aide le futur à prendre un chemin qui ne soit pas catastrophique ».

La Charte est également conforme à notre engagement international puisque nous ne gagnerons le combat pour la préservation de la biodiversité et la lutte contre le réchauffement climatique qu'en mobilisant l'ensemble des pays développés et en aidant les pays moins avancés à se développer de manière plus respectueuse de l'environnement que nous ne l'avons fait nous-mêmes au cours de notre histoire.

Dans cette perspective, nous ajouterons un « fonds carbone » qui, venant compléter notre aide au développement, nous permettra d'agir sur des sites particulièrement émetteurs de gaz carbonique.

En animant le processus international de préservation des forêts du bassin du Congo, en relançant une initiative pour la préservation des récifs coralliens, nous participons à la protection des milieux exceptionnels pour leur biodiversité.

Intégrer la Charte de l'environnement dans notre socle constitutionnel, c'est la marque la plus crédible de l'engagement de la France pour une gouvernance mondiale de l'environnement, pour cette organisation des Nations unies pour l'environnement à la naissance de laquelle nous travaillons. La dynamique internationale est heureusement largement engagée : Rio et Kyoto en sont les preuves tangibles. L'article 10 de la Charte marque la détermination de la France à aller dans cette direction.

Monsieur le président du Congrès, monsieur le président du Sénat, mesdames et messieurs les députés, mesdames et messieurs les sénateurs, ce que je vous propose aujourd'hui, en adossant la Charte de l'environnement à notre Constitution, ce n'est donc pas une réaction de peur devant l'avenir, c'est un acte de responsabilité.

Nous ne pourrons pas dire à nos enfants : « Je ne savais pas ». Deux personnalités, aux compétences écologiques respectées, écrivaient tout récemment : « Voter pour la Charte, c'est ouvrir des possibles. La rejeter, c'est dramatiquement restreindre l'avenir ». Vivons notre responsabilité comme un devoir d'avenir.

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