J'en viens maintenant au texte lui-même.
L'introduction du droit à l'environnement dans notre Constitution représente un progrès indéniable que nous approuvons. Elle consacrera le droit à l'environnement comme un droit fondamental au même titre que les droits de l'homme et les droits sociaux.
Certains ont pu s'en étonner ou même s'en offusquer. Mais c'est la même urgence et la même nécessité qui, il y a un peu plus de deux siècles, conduisaient à la reconnaissance des droits de l'homme, qui, il y a soixante ans, consacraient les droits sociaux et qui, aujourd'hui, nous amènent à considérer le droit à l'environnement comme un droit fondamental.
Les menaces qui pèsent sur l'environnement et sur la planète exigent une prise de conscience et une réponse à la hauteur de leur gravité. Elles doivent nous conduire à rompre avec une logique productiviste qui a trop longtemps marqué les esprits.
La constitutionnalisation du droit à l'environnement participera de cette prise de conscience mais elle donnera surtout un fondement et une cohérence juridique à un droit qui, pour l'essentiel, s'est développé par la jurisprudence.
Vous avez, pour cela, monsieur le Premier ministre, choisi une méthode inédite et singulière : celle de l'adossement d'un texte, d'une charte, à la Constitution. Cette méthode donnera une grande latitude au juge constitutionnel. C'est lui qui, en définitive, validera les principes contenus dans la Charte et les interprétera suivant une compétence scientifique qui, à mon sens, reste à démontrer.
Il eut mieux valu, comme le proposait la commission Coppens dans une de ses recommandations, un texte constitutionnel court, complété par une loi organique qui aurait donné toute sa place au législateur, d'autant que les contradictions et les incohérences qui se sont exprimées parfois fortement au sein de la commission Coppens n'ont pas été surmontées dans le texte qui nous est soumis.
La Charte de l'environnement apparaît parfois restrictive, voire en retrait par rapport au droit actuel, et parfois aventureuse.
Restrictive : pourquoi le principe pollueur-payeur ne figure-t-il pas nommément et explicitement dans la Charte ? Est-ce pour ne pas effrayer ceux qui auraient à l'appliquer ? Au moment où les Français découvrent les profits réalisés par Total, alors que cette société a participé a minima à la réparation des dommages qu'elle a causés, l'absence du principe pollueur-payeur dans la Charte est un très mauvais signal.
Aventureuse : comment expliquer l'introduction du principe de précaution comme seul principe d'application directe ? Tous les principes qui figurent dans la Charte sont renvoyés à la loi quant à leur application, à l'exception du principe de précaution qui pourra être invoqué directement devant les tribunaux. Ce seront donc les juges, notamment le juge administratif, qui auront la lourde responsabilité de définir les conditions de son application.
C'est donc la jurisprudence qui devra répondre aux questions que nous avons posées durant le débat, et que nous continuons de poser, sur l'application d'un tel principe, notamment quant à son champ d'application. Contrairement à ce qui est avancé par le ministre, le drame de l'amiante n'aurait pas été évité, puisque le principe de précaution ne s'applique pas à la santé.
Nul doute que cette jurisprudence se fera dans une grande confusion. Nul doute non plus que le législateur sera tôt ou tard de nouveau saisi pour clarifier et préciser les conditions d'application de ce principe. Il aurait été plus sage de le faire dès aujourd'hui, comme nous le préconisions.
Mais, à aucun moment, le Gouvernement n'a accepté la discussion parlementaire. Ce texte était à prendre ou à laisser. Expédié en une seule lecture, nous l'examinons aujourd'hui, presque en catimini, comme si le Gouvernement avait eu peur des parlementaires et, d'abord, de sa propre majorité.