Monsieur le président du Congrès, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, la Charte de l'environnement, aujourd'hui devant le Congrès, a suscité à la fois beaucoup d'espoirs et un grand nombre de réserves qui n'ont pas toutes été levées au cours de la discussion, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat.
Nous sommes aujourd'hui, monsieur le Premier ministre, dans une situation un peu paradoxale. Nous avons le sentiment sur tous les bancs du Congrès qu'il est nécessaire, et ô combien, d'intervenir sur un sujet qui nous concerne tous et qui concerne l'avenir de nos enfants - l'avenir de la planète, c'est la protection de notre environnement - mais, dans le même temps, nous avons également le sentiment que la réponse qui est apportée aujourd'hui n'est probablement pas la meilleure, ou du moins la seule. Au sein de tous les groupes, vous ne l'ignorez pas, monsieur le Premier ministre, le débat a été extrêmement animé.
Il a notamment porté sur le fameux principe de précaution, prévu à l'article 5, qui deviendra d'application directe. Les risques qu'il fait peser sur la recherche et l'innovation ou qu'il comporte quant à la judiciarisation et au développement de l'insécurité juridique ont été maintes fois évoqués non seulement par les parlementaires, au cours d'un débat en quelque sorte convenu, mais également par les constitutionnalistes et les experts ainsi que par tous ceux qui ont contribué à la recherche et à l'avancée technologique.
Les améliorations apportées par voie d'amendements - nous y avons tous participé - n'ont pas apaisé toutes les craintes. D'ailleurs, les votes sur le texte dans chacune de nos deux assemblées ont bien illustré cette forme de gêne, voire cette inquiétude que nous avons éprouvée les uns et les autres. Les votes émis au Congrès en seront probablement, monsieur le Premier ministre, une nouvelle illustration.
Nous ressentons également la crainte de nous trouver placés dans une situation difficile vis-à-vis de nos partenaires européens, ce qui est, là encore, assez paradoxal, l'inscription du Traité constitutionnel et de la Charte de l'environnement nous invitant à rapprocher les deux textes.
Ainsi, le chapitre II du Traité constitutionnel concerne l'environnement. Ce que nous pouvons craindre, c'est que les dispositions de la Charte, notamment son article 5, ne posent un problème de cohérence avec les mesures qui sont et seront en vigueur dans l'ensemble des pays européens, alors que, au travers de la Constitution européenne, nous recherchons la cohérence, la convergence.
Monsieur le Premier ministre, l'UDF - et elle n'est pas la seule - souhaite voir s'instaurer cette cohérence, cette convergence. Une telle cohérence est nécessaire en matière d'environnement, comme en d'autres domaines, notamment la sécurité alimentaire.
La cohérence des mesures que nous prenons sur le plan environnemental est une des clefs de l'appropriation par les citoyens eux-mêmes de l'avenir que nous construisons actuellement. Or, je crains que les distorsions de concurrence ou de situation au sein de l'Europe elle-même ne conduisent à des réactions qui ne seront pas celles que nous souhaitons pour la construction de notre avenir commun. Comme vous l'avez rappelé vous-même, monsieur le Premier ministre, l'avenir c'est l'Europe.
Il convient que nous traitions au sein de l'Union européenne les préoccupations environnementales d'une manière partagée, pour ensuite les porter au sein de l'Organisation mondiale du commerce, où l'Europe n'a chance d'être entendue que si elle se présente unie pour peser face aux grands ensembles nationaux. Il s'agit d'un enjeu majeur.
Ma dernière réflexion concerne la volonté de mettre la Charte de l'environnement sur le même plan juridique que la Déclaration des droits de l'homme de 1789 et le préambule de la Constitution de 1946. Un signe très fort a ainsi été donné. Ces deux textes ont en effet placé l'homme au coeur de nos réflexions et de l'action, et son épanouissement au coeur du pacte républicain. Ce modèle continue d'être une référence dans le monde entier, y compris pour des peuples qui, aujourd'hui, n'ont pas accès à nos richesses ou à la démocratie.
Il faut que le développement durable, que nous souhaitons non seulement pour la France, mais également pour le monde et dont nous voulons faire une nouvelle éthique politique et une référence constante inscrite dans la norme supérieure, s'inspire des mêmes principes fondamentaux qui visent à placer l'homme au coeur de la réflexion. L'approche environnementale ne peut ni ne doit ignorer les besoins vitaux des populations qui souffrent de famines et d'exode. Précaution ne doit pas rimer, pour tous ces peuples, avec abandon.
Il faut également entendre tous les ruraux qui, dans nos campagnes, sont désespérés parce qu'ils se sentent délaissés. Il s'agit d'un sentiment profond qui ne doit pas être traité à la légère. Ils craignent de voir leurs terroirs transformés en conservatoires et de se voir eux-mêmes réduits au rôle d'animateurs. Le monde rural a besoin d'activité pour conserver ses hommes et ses femmes.
L'équilibre entre l'activité économique, la recherche et le respect de l'environnement, chacun le sait, est toujours délicat et difficile à trouver. Le risque zéro, il convient de le rappeler à nos compatriotes, n'existe pas : tout progrès passe et passera par une prise de risque qu'il nous faut maîtriser, mais qui ne doit pas conduire à nier l'apport considérable pour demain des biotechnologies et de la science.
La Charte marque incontestablement une volonté d'affronter les risques et de parer aux drames auxquels ils peuvent conduire. Mais la protection de l'environnement ne se paiera pas seulement de mots. C'est une exigence qui relève de notre responsabilité et qui doit nous engager à l'action. Il ne faudrait pas croire qu'en raison de l'adoption de ce texte nous en serions quittes avec la protection de notre environnement. Nous devrons être encore plus audacieux en matière de carburants d'origine agricole, de développement du ferroutage ou d'investissement en vue de réduire les émissions de gaz à effet de serre - là aussi, il y a urgence.
Une majorité du groupe UDF de l'Assemblée nationale empruntera le chemin ouvert par la Charte en vue de participer à la protection de la planète et votera le texte, en dépit de toutes les réserves que j'ai exprimées. Certains de mes collègues, comme d'autres, dans tous les groupes, n'emprunteront pas cette voie et il faut les entendre et les comprendre, parce qu'ils expriment une véritable sensibilité. Sans doute la méthode choisie n'était-elle pas la meilleure, mais l'important, c'est que, grâce à une prise de conscience, l'avenir de nos enfants soit assuré. Nous devons veiller à leur laisser un patrimoine naturel et environnemental au sein duquel ils puissent construire leur avenir. Il nous appartient, mes chers collègues, d'y contribuer ensemble.