Intervention de Yves Détraigne

Réunion du 28 février 2005 à 15h00
Vote sur le projet de loi constitutionnelle relatif à la charte de l'environnement — Explications de vote

Photo de Yves DétraigneYves Détraigne :

Monsieur le président du Congrès, monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, après un premier vote qui vient d'introduire dans notre Constitution des dispositions qui avaient fait l'objet d'un vote conforme au Sénat, nous allons maintenant nous prononcer sur la Charte de l'environnement, qui, elle aussi, a fait l'objet d'un vote conforme à la Haute assemblée. Si le vote conforme est une procédure difficile à admettre en temps ordinaire, elle l'est plus encore s'agissant de lois constitutionnelles, même si la révision de la Constitution est, hélas ! devenue chose courante dans notre pays. Comment admettre, en effet, que l'on puisse inscrire dans notre loi fondamentale des dispositions que l'on a sciemment refusé d'enrichir et de préciser là où elles pouvaient l'être ?

Quoi qu'il en soit, même si cette procédure peut laisser un goût amer, on ne peut cependant pas être contre un texte qui inscrit le droit à un environnement sauvegardé au rang de nos principes constitutionnels. Face aux risques que font courir à notre environnement et aux générations futures le réchauffement de la planète et l'épuisement des ressources naturelles, nous n'avons pas le droit de rester indifférents aux questions écologiques. Il nous appartient donc de faire le maximum pour concilier au mieux développement économique et préservation de l'environnement.

On ne peut donc qu'être d'accord avec le considérant de la Charte selon lequel « la préservation de l'environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la nation », ou encore avec son article 6, qui dispose que « les politiques publiques concilient la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social », même si l'on peut considérer que ces dispositions ont plus valeur déclarative que normative.

Certes, au travers de la notion de développement durable, qui est aujourd'hui largement partagée par nos concitoyens, un certain nombre de principes figurant dans la Charte sont déjà intégrés dans la prise de décision, tant par les responsables publics que par les entrepreneurs privés. Aussi, l'inscription de la Charte de l'environnement dans le préambule de la Constitution ne révolutionnera pas le droit applicable en France. En revanche, on peut espérer qu'elle jouera un rôle d'accélérateur dans la prise en compte des impératifs environnementaux et aidera à anticiper et prévenir les problèmes écologiques de demain.

Vous n'ignorez pas, cependant, que ce texte soulève un certain nombre de problèmes. S'il satisfait ceux qui pensent que la France a vocation à éclairer le monde, il contient, en revanche, des dispositions qui risquent de créer des difficultés dont nous aurions pu nous passer au regard de l'état actuel de notre économie.

Ainsi, a-t-on bien mesuré les conséquences de l'article 5 de la charte, relatif au principe de précaution ? En introduisant dans la Constitution ce principe, qui sera d'application directe, on risque d'encourager la contestation de décisions relatives, par exemple, au lancement de recherches dans des domaines encore mal connus ou à la mise en place de projets pilotes destinés à tester de nouveaux process industriels.

Quand on sait que les procédures préalables à la création d'entreprises, notamment celles qui sont soumises à déclaration ou à autorisation, sont de plus en plus lourdes et contraignantes, on peut s'interroger sur l'opportunité d'inscrire dans notre Constitution - c'est-à-dire au sommet de notre ordre juridique - un principe qui risque de donner lieu à des procédures dilatoires, qui rendront plus compliquées encore l'innovation et la création d'entreprises en France, où cela est déjà pourtant plus difficile que dans la majorité des autres pays de l'Union européenne. Quant à la recherche, ne risque-t-elle pas de quitter notre pays ?

II est donc à craindre que nous adressions, avec ce texte, un signal négatif à ceux qui veulent entreprendre et que, en voulant être des précurseurs, nous affaiblissions la compétitivité de notre pays. En réalité, c'est dans un cadre européen - au minimum - que le principe de précaution, qui est seulement cité dans le Traité constitutionnel, aurait dû être défini.

Par ailleurs, alors que de nombreux décideurs - notamment les élus que nous sommes - se plaignent de la judiciarisation croissante de notre société, on peut se demander si nous ne favorisons pas, avec l'article 5 de la Charte, cette regrettable évolution.

Certes, le principe de précaution est déjà inscrit dans le code de l'environnement et, si l'on en croit ses plus fervents partisans, il sera désormais mieux encadré, ce qui évitera de voir se développer des contentieux à l'issue incertaine. Permettez-moi de rester sceptique face à cet argument car en fait, lorsque la communauté scientifique sera divisée, le texte qui nous est soumis laissera au juge le soin de trancher entre ceux qui pensent qu'un dommage peut affecter de manière grave et irréversible l'environnement et ceux qui pensent le contraire. Je ne suis pas sûr que le Parlement puisse s'en réjouir.

Parce que l'environnement est une valeur à laquelle nous sommes attachés, la majorité du groupe de l'Union centriste votera la Charte de l'environnement. Cependant, parce que ce texte donne le sentiment de traduire surtout un effet d'annonce et reste trop flou sur le plan juridique, avec tous les risques que cela fait peser sur notre économie, une partie du groupe, dont je suis, ne le votera pas.

En tout état de cause, que l'on soit pour ou que l'on soit contre, il faudra être vigilant et veiller à ce que l'interprétation qui sera faite de la Charte n'entraîne pas un passage du « tout économique », qui a été justement décrié, à un « tout environnemental », qui le serait tout autant et qui pourrait causer des dommages irréversibles à notre économie.

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