Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, je ne reviendrai pas dans le détail sur la situation ô combien ! préoccupante dans laquelle la majorité a plongé l’ensemble de notre régime de protection sociale. S’il est de bon ton, en ces temps de crise, de louer le rôle d’amortisseur social de ce régime comme d’en appeler à la régulation du système capitaliste, les Français savent plus que jamais qu’il y a d’un côté les discours, de l’autre les actes, qu’il y a les effets de scène et leur réalité quotidienne.
Ils découvrent âprement la polysémie du terme « rupture » : pour une infime minorité, celle qui est protégée par le bouclier fiscal, cela rime avec consolidation des privilèges ; pour la très grande majorité, cela signifie descendeur social. Il en va ainsi pour l’ensemble de notre population, qu’elle soit retraitée ou pas.
La crise impacte nécessairement nos comptes. Elle contracte le volume des recettes, c’est un fait. Pour autant, nous ne devons pas nous limiter à cette seule observation. Pour reprendre les termes de M Dominique Leclerc, rapporteur : « La crise ne doit pas servir d’alibi pour masquer la réalité. »
Bien sûr, les déficits ont précédé la crise. Quant aux perspectives, elles ne sont guère rassurantes : le total cumulé des déficits sur la période 2010-2013 est estimé à 120 milliards d’euros, qui seront à la charge des générations futures. Parallèlement, la CADES a déjà plus de 100 milliards d’euros sur les bras ! À cet égard, notre collègue Jean-Jacques Jégou observait justement que la perspective de voir nos enfants, voire nos petits-enfants, être dans l’obligation de régler l’addition de nos dépenses inquiétait beaucoup les Français. Sur l’emprunt présidentiel, je partage votre point de vue, monsieur Jégou, et je ne suis pas certaine que les générations futures aient à s’en réjouir.
Venons-en maintenant à la situation de la branche vieillesse, sur laquelle je centrerai mon propos.
Si le PLFSS de 2009 contenait quatorze mesures qui impactaient cette branche, le PLFSS pour 2010 n’en comporte qu’un nombre très restreint. Chaque PLFSS contient des dispositions symboliques : l’année dernière, vous aviez soumis le versement de la pension de réversion à une condition d’âge et repoussé à soixante-dix ans l’âge de la retraite. Cette année, vous vous attaquez à l’article 38, en réduisant un avantage acquis par les femmes depuis 1975. Je ne m’attarderai pas sur cette question ; ma collègue Gisèle Printz développera ce sujet, après les interventions de Mmes André et Panis, au nom de la délégation au droit des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.
En 2003-2004, la branche vieillesse enregistrait un excédent de 600 millions d’euros. Depuis, elle est déficitaire. Supérieur à 4, 5 milliards d’euros en 2007, atteignant 5, 6 milliards d’euros en 2008, le déficit devrait être de 8, 2 milliards d’euros cette année ; il dépassera la barrière des 10, 5 milliards d’euros en 2010. Pis encore, selon les projections figurant à l’annexe B du projet de loi, et à législation constante, en 2013, le déficit atteindra 14, 5 milliards d’euros, voire 15, 7 milliards d’euros si nous intégrons le Fonds de solidarité vieillesse.
La Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés a vu le volume des prestations servies croître en 2008 et en 2009 respectivement de 6, 3 % et de 4, 9 %. Ce ralentissement tient essentiellement au changement de règles encadrant les départs en retraite anticipée et entraîne une diminution de 270 millions d’euros du coût du dispositif, qui est ainsi ramené à 2, 1 milliards d’euros. Aussi la retraite anticipée devrait-elle contribuer négativement pour 0, 4 point à la croissance des droits propres.
Concernant les ayants droit, nous constatons une stagnation. En effet, hors dispositif de préretraite en 2008 comme en 2009, ce sont 650 000 personnes qui ont pris leur retraite. Quant à la part des retraités de plus de soixante ans, elle a progressé de 3, 6 % en 2008 et de 3, 5 % en 2009, ce qui explique l’augmentation des droits constatés.
Le PLFSS de 2009 a été construit, cela a déjà été dit, sur des hypothèses de croissance totalement irréalistes, voire farfelues.
Avec plus d’un demi-million de demandeurs d’emploi en plus, soit une contraction de 2 % de la masse salariale sur 2009, l’agrégat « cotisations » recule de plus de 0, 4 %. Certes, une compensation partielle sera trouvée avec la hausse du transfert au titre du chômage du FSV pour 1, 3 milliard d’euros. En cas de dégradation de l’emploi, il jouera le rôle d’amortisseur sur les produits de la CNAV. S’y ajoutera aussi une augmentation des recettes fiscales, notamment avec la fraction du produit du prélèvement social de 2 % sur les revenus du capital qui lui est allouée, soit 400 millions d’euros.
Il n’en demeure pas moins que la situation de la CNAV est fort préoccupante. L’année 2010 ne marque pas de rupture, loin s’en faut. La croissance des prestations est estimée à 4, 5 %, en recul de 0, 4%, du fait, notamment, de la forte baisse des départs en retraite anticipée, ce qui ramènerait le coût du dispositif à 1, 6 milliard d’euros. Conjointement, les droits dérivés devraient enregistrer une hausse de 4, 9 % par rapport à 2009.
Pour ce qui est des produits, la Commission des comptes de la sécurité sociale estime la progression à 0, 8 % en 2010, pour atteindre 92, 1 milliards d’euros. L’agrégat « cotisations » diminuerait encore, conséquence de la baisse prévue de la masse salariale.
Par ailleurs, à compter de 2010, la CNAV n’enregistrera plus de contributions sur le montant des indemnités de mise à la retraite. Le moins-perçu devrait avoisiner 400 millions d’euros en 2010.
Quant au FSV, sa dégradation est réelle. Si 2007 et 2008 ont été des années de retour à l’excédent, 2009 se solde par une perte record de plus de 3 milliards d’euros.
J’évoquerai maintenant, cela n’a pas été fait jusqu’à présent, le Fonds de réserve pour les retraites, le FRR. Outil essentiel de notre système de retraite, il a été institué en 1999. Rappelons qu’en constituant des provisions financières ce fonds a pour objet de consolider le financement des retraites servies par le régime général et les régimes alignés. À ce titre, il participe à la pérennisation de notre système par répartition. Son rôle sera très important à compter de 2020, lorsque la transition démographique entraînera un doublement du besoin de financement du régime général.
Lors de la réforme de 2003, l’actuelle majorité était tout acquise aux logiques individuelles et de capitalisation. Elle leur prêtait la vertu de pouvoir répondre aux contraintes démographiques et budgétaires qui ne manqueraient pas de peser rapidement. Dans le même temps, elle ignorait l’importance stratégique du FRR. C’est une faute grave ! En 2008, la perte financière a été de 2, 6 milliards d’euros. Pour 2009, la Commission des comptes de la sécurité sociale estime que son solde financier pourrait être de moins 700 millions d’euros. À l’horizon 2020, l’actif du FRR devrait être de l’ordre de 83 milliards d’euros courants. C’est à cette date que les premiers décaissements débuteront.
Nous l’avons dit, 2010 sera un rendez-vous important pour nos retraites. Notre pays, comme l’ensemble des pays occidentaux, doit faire face au papy-boom, à l’allongement de la durée de la vie et à une faible progression de sa population active. Nous comptons aujourd’hui 1, 45 cotisant par retraité et les volumes financiers consacrés aux pensions augmentent de 5 % à 6 % par an.
Le rapporteur Dominique Leclerc a déclaré, voilà quelque temps, que la réforme Fillon n’avait pas répondu aux attentes, pourtant nombreuses, sur le financement du système de retraite. C’est un euphémisme ! Il suffit de considérer notamment le niveau des retraites et le pouvoir d’achat de nos aînés pour en être persuadé : « la présidence du pouvoir d’achat » est bel et bien remisée au rang de slogan.
En 2003, l’actuel Premier ministre nous promettait que le déficit serait maîtrisé et les recettes sécurisées. Or, dès 2004, les premiers déficits ont été enregistrés. Par ailleurs, cette réforme reposait sur le pari d’une croissance forte et d’un pouvoir d’achat croissant. On voit ce que cela a donné ! La politique économique menée depuis a généré tout le contraire ; faute de temps, je citerai simplement le rapport annuel sur la pauvreté du Secours catholique, qui en est une illustration parfaite. Notre pays compte 6 millions de personnes âgées qui vivent avec des pensions largement inférieures au SMIC ; un million de retraités connaissent la pauvreté et 620 000 d’entre eux relèvent du minimum vieillesse. La baisse du taux de remplacement, liée à la précarité salariale que la droite ne cesse de vouloir généraliser, fragilise les mécanismes solidaires de retraite.
Pour relever ce défi, il faut réunir tout le monde autour de la table. Certains des partenaires sociaux reçus par le groupe socialiste ont souhaité un « Grenelle des retraites ». Les partenaires sociaux doivent être respectés et entendus à l’occasion d’une authentique négociation collective. C’est un préalable pour qui veut réformer les retraites dans un esprit de consensus et de cohésion sociale.
Il importe de maintenir un système de retraite par répartition solidaire et universel, fondé sur une démarche intergénérationnelle, juste et efficace. Une politique dynamique est également indispensable dans le domaine de l’emploi, qui doit être durable et correctement rémunéré.