Intervention de Annie David

Réunion du 10 novembre 2009 à 14h30
Financement de la sécurité sociale pour 2010 — Exception d'irrecevabilité

Photo de Annie DavidAnnie David, auteur de la motion :

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, il y a deux ans, je soutenais ici même, au nom de mon groupe, une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008.

Je déplorais, entre autres, l’étendue des déficits, le manque de recettes dû au refus de taxer les revenus financiers et dénonçais la volonté gouvernementale d’appauvrir la sécurité sociale, au risque d’entraîner, à terme, la faillite du système.

Il y a deux ans, Mme Roselyne Bachelot-Narquin semblait indignée de ce qui n’était pourtant qu’un simple constat. Mais que dire aujourd’hui, à la lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 ?

Loin de s’améliorer, la situation s’est fortement aggravée et l’entreprise de destruction de la protection sociale que je dénonçais alors continue et s’accentue.

Les chiffres sont têtus, mais objectifs et dénués de toute idéologie. Ils montrent que le texte qui nous est soumis creuse, d’une manière sans précédent, les déficits de la sécurité sociale, toutes branches confondues. Ces déficits devraient en effet connaître une croissance exponentielle, passant en une seule année de 20 milliards à 30 milliards d’euros, pour atteindre un montant cumulé qui pourrait être compris entre 150 milliards et 177 milliards d’euros en 2013. Et encore ce total exorbitant est-il celui du scénario le plus optimiste !

Face à cette situation plus qu’alarmante, les sénatrices et sénateurs communistes et du parti de gauche estiment que le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 est en l’état irrecevable, car inconstitutionnel.

Les principes de valeur constitutionnelle que nous estimons mis à mal dans ce texte sont, d’une part, la protection de la santé et, d’autre part, l’obligation de présenter des comptes réguliers, sincères, donnant une image fidèle de la réalité.

En 1971, le Conseil constitutionnel a intégré dans le bloc de constitutionnalité le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qui crée, de manière très explicite, des droits sociaux « particulièrement nécessaires à notre temps », opposables aux pouvoirs publics.

Ces droits ont donc une valeur juridique supérieure aux lois, notamment aux lois de financement de la sécurité sociale. Ainsi, au onzième alinéa du préambule figure le droit à la santé : la nation doit garantir à tous « la protection de la santé ». Cette proclamation nous semble, hélas ! être encore ce principe « particulièrement nécessaire à notre temps » que souhaitaient les constituants de 1946.

Cette protection constitutionnelle vaut au droit à la santé pour toutes et tous de se retrouver parmi les valeurs les plus hautes dans la hiérarchie de normes qui fondent notre société. Toute loi, quel qu’en soit le domaine, doit respecter et même faire en sorte d’atteindre cet objectif : elle ne peut rogner sur des droits que la Constitution accorde aux citoyens.

Or le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, sans directement affirmer que certains de nos concitoyens et concitoyennes n’auront plus droit à la santé, rend l’exercice de ce droit si difficile qu’il le vide de sa substance.

C’est toute la différence qu’il y a entre l’existence d’un droit et l’effectivité de sa mise en œuvre. En théorie, sur le papier, j’ai le droit de me faire poser une couronne en porcelaine, mais, en pratique, concrètement, en ai-je les moyens, au regard du reste à charge ? Toute la question est là...

Cette interrogation est devenue très concrète pour un nombre croissant de nos concitoyennes et concitoyens.

Ce texte élève, au final, un écran infranchissable entre le droit constitutionnellement garanti à la santé pour toutes et tous et l’accès réel au soin.

Ne me dites pas, monsieur le ministre, que vous ignorez qu’il existe en France des personnes qui n’ont pas ou plus les moyens de se soigner ! Le fossé se creuse entre celles et ceux qui peuvent bien se soigner, et tous les autres, de plus en plus nombreux, qui ne le peuvent pas.

Ces « autres » – hommes, femmes, enfants –, déjà bien trop nombreux, le sont encore plus année après année, au point que l’on se rapproche d’un système à l’américaine, où l’accès au soin devient le véritable clivage social. Une grave maladie deviendra-elle, en France aussi, synonyme de ruine personnelle, de maison hypothéquée ou de souscription d’emprunt pour faire face aux énormes dépenses induites ?

Savez-vous qu’aux États-Unis, dans certains États pauvres, des équipes médicales caritatives organisent de funestes tombolas à destination d’indigents, parfois atteints de maladies très graves, mais qui n’ont tout simplement pas les moyens de se faire soigner ? Que croyez-vous que gagne celui qui remporte cette loterie ? Le droit de se faire soigner gratuitement !

Espérons que de telles dérives n’arrivent pas en France, où, déjà, on constate que des femmes et des hommes n’ayant pas de mutuelle ou l’ayant résiliée en raison de son coût trop élevé renoncent à se soigner ou reportent une intervention chirurgicale nécessaire, faute de moyens.

En 1946, le constituant a posé des principes de solidarité et d’accès aux soins et à la santé pour toutes et tous. En 1971, le Conseil constitutionnel a consacré la valeur constitutionnelle de ces principes. Aujourd’hui, monsieur le ministre, votre gouvernement s’emploie consciencieusement à les remettre en question.

L’idée des constituants de l’après-guerre était de donner à toutes et à tous l’accès à une médecine qui ne distinguerait plus ses bénéficiaires en raison de l’appartenance sociale ou des ressources : participation à raison de ses revenus ; satisfaction en fonction de ses besoins, la sécurité sociale venait de voir le jour.

Ces principes posés par le constituant de 1946 sont bien encombrants pour vous, qui souhaitez mener à bien votre entreprise de privatisation de la santé, car cette philosophie du partage et de la solidarité est à cent lieues de celle de la médecine à deux vitesses, du chacun-pour-soi et de la marchandisation de la santé.

Voulez-vous véritablement maintenir un système de protection sociale ou désirez-vous l’abandonner et basculer vers un système entièrement aux mains de société privées ?

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