Monsieur le président, madame, monsieur le ministre, mes chers collègues, après toutes les déclarations prononcées depuis ce matin à cette tribune, vous avez l’occasion d’être cohérents avec vous-mêmes et de prendre une décision qui serait, certes, inaccoutumée – le renvoi en commission –, mais à la hauteur de la situation exceptionnelle que nous connaissons.
Vous l’avez tous souligné : les comptes sociaux sont au bord du gouffre. Plusieurs « grandes premières » ont été citées par les orateurs qui m’ont précédé. En voici une autre : pour la première fois, la commission des finances de l’Assemblée nationale n’a pas adopté le projet de loi de financement de la sécurité sociale, faute de majorité ! Notre collègue députée qui remplissait les fonctions de rapporteur a jugé les choix du Gouvernement « peu vertueux et surtout risqués » et son projet « insuffisant », et elle-même s’est abstenue.
Nous aussi, les parlementaires, nous avons une responsabilité, et s’il ne nous appartient pas d’assumer celle du Gouvernement, nous ne pouvons cautionner un projet d’une telle indigence face au danger que représente, à très court terme maintenant, une dette insoutenable.
La litanie des chiffres donne le vertige. Les déficits explosent. En 2010, toutes les branches seront dans le rouge. La fin de la crise laisse-t-elle présager le retour à l’équilibre ? Non ! Nous le savons, la dette qui était pour partie conjoncturelle dans ses causes, bien sûr, est devenue totalement structurelle.
De même, le déficit est permanent, et il est malheureusement prouvé que le retour de la croissance ne permettra pas de le supprimer. C’est bien la pérennité même de notre système de protection sociale qui en jeu.
Or quelle est la réponse du Gouvernement ? Un projet d’attente, surréaliste – le terme a déjà été utilisé –, celui précisément qui est proposé à l’examen de la Haute Assemblée.
Madame la ministre, je vous ai interrogée récemment ici même pour savoir quel pouvait être l’objectif d’un gouvernement dont on a le sentiment qu’il regarde couler ce vaisseau, pourtant au cœur de notre identité nationale. Votre réponse a été un peu décalée. Vous m’avez reproché de mélanger les différentes branches de la sécurité sociale.
J’en profite donc pour vous confirmer que j’évoquais bien le déficit du régime général : 10, 2 milliards d'euros en 2008, 23, 5 milliards d'euros en 2009, 30, 6 milliards d'euros prévus pour 2010, 30 milliards d'euros pour 2011, pour 2012 et pour 2013.
J’évoquais également le plafond des avances de trésorerie autorisé de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l’ACOSS, qui serait porté à un montant historique de 65 milliards d'euros. À ce rythme, en 2013, les déficits cumulés atteindront 170 milliards d'euros : 150 milliards d'euros pour l’ensemble des régimes et 20 milliards d'euros pour le Fonds de solidarité vieillesse.
Madame la ministre, je ne peux pas non plus ne pas réagir lorsque vous affirmez lutter contre les refus de soins par des mesures de plus en plus précises en prévoyant des sanctions à l’encontre des professionnels de santé qui ne respectent pas leurs obligations. Or vous vous êtes prononcée contre la légalisation du testing que nous défendions lors de l’examen du projet de loi portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires ; vous avez refusé l’instauration de sanctions à l’encontre des comportements discriminatoires que nous proposions également ; vous avez choisi de laisser peser l’entière charge de la preuve de la discrimination sur l’assuré.
Que doit-on croire, madame la ministre : ce que vous dites ou ce que vous faites ? Vos discours, aussi assurés et volontaires qu’ils soient, ne peuvent tenir lieu de politique !
En matière ambulatoire, qu’avez-vous fait pour instaurer un réel accès aux soins ? Vous avez accordé des augmentations de rémunérations sans contreparties. Vous avez abandonné – ce sont les médecins qui l’affirment ! – l’outil conventionnel, qui est aujourd'hui à bout de souffle. Et la perspective de la création d’un secteur optionnel, depuis la signature, le 15 octobre dernier, d’un protocole entre l’assurance maladie, une partie des représentants des médecins et des organismes complémentaires, ressemble fort à un marché de dupes pour la sécurité sociale et les mutuelles.
Vous ne répondez pas à cette question fondamentale pour nos concitoyens. Pourquoi ne dites-vous pas la vérité, qui est qu’en laissant passivement filer les déficits depuis des années, vous procédez, avec la sécurité sociale, comme vous venez de le faire pour l’hôpital ? C’est une triste valse à trois temps : désengagement de l’État, asphyxie financière, dilution dans le privé.
Les victimes, ce sont les Françaises et les Français, surtout les plus humbles d’entre eux.
Car à l’impéritie vous ajoutez l’injustice sociale, en faisant peser sur l’usager la responsabilité et le coût de la dette. Ce projet de loi ne déroge pas à ce qui est devenu la règle : nouvelle hausse du forfait hospitalier, nouveau déremboursement de médicaments, nouveau transfert sur les mutuelles.
Vous organisez ainsi, peu à peu, année après année, franchise après franchise, de manière peu visible mais certaine, la baisse constante de la part socialisée des dépenses de santé.
Nous le savons, les économies attendues de ces mesures sont dérisoires au regard de l’ampleur de la dette. En revanche, elles sont lourdes de conséquences pour les budgets et la santé des familles. Mais, au nom d’un vieil évangile fiscal, imprimé rue du Faubourg-Saint-Honoré, vous trouvez juste de taxer les plus fragiles plutôt que d’avoir recours aux prélèvements obligatoires et de répartir la charge sur tous. Au nom du saint bouclier, vous préférez laisser enfler la dette sociale, alors que vous pourriez à tout le moins en atténuer la charge en rétablissant la CRDS dans le droit commun des cotisations, ce que des voix réclament dans votre propre camp.
Les ressources nouvelles que vous nous proposez d’adopter sont tout aussi marginales et loin d’être à la hauteur des enjeux.
« Un déficit structurel appelle des réformes également structurelles qui ont rarement un impact immédiat. » Ainsi s’exprimait le Premier président de la Cour des comptes devant la commission des affaires sociales du Sénat. Il n’y a pas à chercher : rien de tel dans ce texte. Et force pour nous est de débattre non pas sur ce qui y est, mais sur ce qui n’y est pas.
J’en viens au secteur médico-social. Je souligne que, pour la deuxième année consécutive, nous disposons de l’excellent rapport, à la fois objectif et enrichissant, de notre collègue Sylvie Desmarescaux.