Je pense qu’il s'agit là d’une question importante qui mérite quelques explications, notamment en ce qui concerne l’attitude de la commission et sa volonté de préserver le principe de l’encellulement individuel.
Certaines des raisons de la commission tiennent à la vie quotidienne dans les prisons, telle que j’ai pu l’observer, au moins partiellement, en multipliant les visites dans ces établissements.
En effet, certains directeurs de prison – de plus en plus nombreux, serais-je tenté de dire, au fur et à mesure que l’inflation carcérale s’est développée –, au cours des visites que j’ai effectuées dans leur établissement avec nos collègues de la commission des lois, m’ont confié qu’ils étaient de plus en plus souvent confrontés à des détenus refusant de réintégrer leur cellule, par exemple à la fin de la promenade.
Ces réactions n’exprimaient en rien un défi à l’autorité pénitentiaire, mais simplement le refus de retourner en cellule collective. Même s’ils devaient payer cette fronde du quartier disciplinaire, les détenus préféraient encore ce dernier, avec les contraintes qu’il implique, plutôt que l’encellulement collectif qui leur était imposé.
Il est vrai également que des drames se sont produits en encellulement collectif, des violences, parfois des meurtres – nous avons tous en mémoire des cas particulièrement tragiques.
Sans aller jusqu’à ces extrémités, et pour nous limiter à la vie quotidienne de la prison, rappelons combien les détenus peuvent manifester d’irritation à l’égard de la télévision, qui constitue pourtant une amélioration importante de leur cadre de vie.
Il est vrai que, comme la langue d’Ésope, la télévision peut être la meilleure et la pire des choses. Elle fonctionne parfois, sinon vingt-quatre heures sur vingt-quatre, du moins depuis très tôt le matin jusqu’à très tard le soir. Quand plusieurs détenus cohabitent dans une cellule, le choix des programmes, déjà un motif de discorde en soi, se fait généralement sur le plus petit dénominateur commun. Et ce n’est pas nécessairement la chaîne Arte qui est choisie, si je puis me permettre cette remarque…
Que pouvons-nous répondre, nous, parlementaires, quand nous visitons les prisons, au détenu qui nous dit : « Monsieur le sénateur, j’en ai marre, je souhaiterais dormir, lire, travailler, me former, et je dois supporter cette musique, ce bruit de fond incessant. » ?
La commission a voulu maintenir l’objectif de l’encellulement individuel, pour trois raisons principales.
Tout d'abord, parce que ce principe a valeur d’objectif essentiel de la politique pénitentiaire, parce qu’il garantit des conditions de détention plus respectueuses de la dignité de la personne et parce qu’il implique de lutter contre la surpopulation carcérale, qui se trouve à l’origine de bien des difficultés des établissements pénitentiaires dans notre pays.
L’objectif de l’encellulement individuel doit donc continuer de guider la politique pénitentiaire, ce qui, pardonnez-moi de le préciser, ne serait pas le cas si l’encellulement collectif était admis au même titre que l’encellulement individuel.
En outre, je trouve qu’il serait véritablement paradoxal de remettre en cause, à l'occasion d’une loi pénitentiaire que le Gouvernement veut, à juste titre, ambitieuse, et qui l’est – M. Badinter nous disait que c’était une « grande loi » –, un principe inscrit dans notre droit depuis 1875.
Par ailleurs, cet objectif est également conforme aux règles pénitentiaires européennes, qui constituent un socle de principes minimaux communs à l’ensemble des États membres du Conseil de l’Europe.
Sans doute la règle 18.6 rappelle-t-elle qu’ « une cellule doit être partagée uniquement si elle est adaptée à un usage collectif et doit être occupée par des détenus reconnus aptes à cohabiter ».
Toutefois, cette disposition n’est qu’une exception énoncée au principe de la règle 18.5, selon laquelle « chaque détenu doit en principe être logé pendant la nuit dans une cellule individuelle, sauf lorsqu’il est considéré comme préférable pour lui qu’il cohabite avec d’autres détenus ».
Enfin, il est apparu nécessaire, pour un troisième motif, de conserver la rédaction actuelle du code de procédure pénale ; pour la première fois peut-être, l’objectif de l’encellulement individuel n’apparaît plus hors de portée.
Grâce à l’effort engagé dans le cadre des constructions du « programme Perben », 16 466 places devraient être créées, portant la capacité opérationnelle des établissements pénitentiaires à quelque 62 500 places, ce qui correspond à peu près, mes chers collègues, au nombre actuel des détenus.
Comme l’avait indiqué Mme le garde des sceaux, ministre de la justice, lors de son audition par la commission des lois du Sénat du 26 novembre dernier, un peu plus de 30 % des cellules des maisons d’arrêt du programme « 13 200 » sont doubles, ce qui pourrait correspondre, peu ou prou, à la proportion du nombre de détenus couverts par les régimes dérogatoires prévus par l’article 716 du code de procédure pénale, dans sa rédaction actuelle, que la commission entend maintenir. Jean-Patrick Courtois énonçait d'ailleurs voilà quelques instants ces dérogations.
Pour toutes ces raisons, la commission a jugé indispensable de conserver les principes actuels de notre droit, qui font de l’encellulement individuel le principe et de l’encellulement collectif l’exception.