Intervention de Thierry Breton

Réunion du 15 juin 2006 à 9h30
Politique énergétique de la france — Débat sur une déclaration du gouvernement

Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, comme le Premier ministre s'y est engagé, nous voici aujourd'hui réunis pour un débat sur l'un des enjeux essentiels pour la France et pour l'Europe : notre politique de l'énergie.

Face à la croissance des besoins en énergie, le caractère limité de nos ressources apparaît avec force : la fin de l'ère du tout pétrole est une réalité, les approvisionnements en gaz naturel deviennent un enjeu géostratégique essentiel et une politique ambitieuse d'investissements dans des installations de production électrique est nécessaire pour accompagner l'augmentation de la consommation.

Notre débat d'aujourd'hui est un moment décisif. Je le dis avec calme, avec sérénité, mais aussi avec une véritable solennité. Après nos échanges d'aujourd'hui, chacun devra, en conscience, prendre ses responsabilités. Ce mot de « responsabilité » sur le sujet de l'énergie est moins que jamais un mot en l'air.

La France, dans les cinquante dernières années, n'a manqué aucun des grands rendez-vous, même les plus difficiles politiquement, dans le domaine de l'énergie. Qu'il s'agisse de l'hydraulique ou du nucléaire, pour ne citer que deux secteurs principaux de l'énergie, les dirigeants d'hier ont su déployer un immense effort de pédagogie et de conviction, ils ont su prendre des décisions courageuses et visionnaires. Grâce à eux, la France dispose aujourd'hui d'atouts substantiels dont chacun se félicite au quotidien.

Nous sommes aujourd'hui face à des questions aussi décisives. Du fait de la crise de l'énergie, le statu quo est moins que jamais une option. En fonction des décisions qui seront prises à l'issue de nos discussions, nous nous serons donnés, ou non, la possibilité de prendre en main l'avenir de Gaz de France, de peser davantage sur les rapports de force industriels et commerciaux en Europe et dans le monde et de mieux maîtriser notre futur.

Chacun devra pondérer ce qui est réellement décisif et stratégique pour notre pays, pour l'entreprise Gaz de France, ses salariés et ses consommateurs, de ce qui l'est moins.

Chacun devra juger sur pièces la réalité des défis et des menaces, la qualité des réponses que les entreprises proposent d'y apporter et le sérieux des garanties dont le Gouvernement a décidé d'entourer ce grand projet.

Je sais que chacune et chacun ici est conscient de ces enjeux et, surtout, apprécie pleinement le poids de notre responsabilité sur ce dossier.

Les évolutions géostratégiques et économiques dans le domaine de l'énergie sont très profondes et se sont encore accélérées depuis 2004.

Depuis 2000, et encore plus depuis 2004, le monde de l'énergie a profondément changé. Le monde a pris conscience de la réalité de l'épuisement désormais prévisible des ressources fossiles. Simultanément, la demande a explosé avec le dynamisme des nouvelles économies asiatiques, alors même que l'instabilité géostratégique des zones de production ne cessait de croître.

Nous venons de prendre conscience que, face à la quasi-disparition durable des surcapacités de production en matière d'hydrocarbures, qui a conduit à une forte hausse du prix du pétrole, de 28 dollars à 73 dollars le baril, face au renforcement des enjeux liés à la sécurité d'approvisionnement en gaz de l'Europe et au mouvement considérable de consolidation des acteurs européens de l'énergie, notre monde avait changé.

Au-delà de cette donnée, le caractère stratégique de la ressource gazière ou pétrolière en fait, de manière de plus en plus visible, une arme dans les rapports de force internationaux : c'était une évidence ancienne pour le pétrole ; cela l'est devenu également pour le gaz naturel.

C'est pourquoi à cette « dureté » croissante du rapport de force économique dans le secteur de l'énergie, répond une puissante vague de consolidation et de concentration dans les pays consommateurs.

C'est aujourd'hui, n'en doutons pas, mesdames, messieurs les sénateurs, que se constituent les acteurs majeurs de l'énergie de demain. Les décisions importantes ne peuvent attendre si nous voulons conforter notre indépendance énergétique. Notre politique énergétique n'a pleinement son sens que si elle peut s'appuyer sur des entreprises puissantes, d'une taille suffisante pour affronter les enjeux de ce nouveau monde. C'est évidemment le cas pour EDF. La question est plus délicate pour Gaz de France.

Désormais, les énergéticiens européens cherchent tous à disposer d'une taille critique afin d'investir et de renforcer leur pouvoir de négociation avec les principaux pays producteurs. Ils cherchent aussi à présenter une offre duale, gaz et électricité, pour répondre aux demandes de leurs clients.

Les acteurs de l'énergie sont donc engagés dans une course à la taille afin de disposer de la capacité d'investissement en amont qui leur est indispensable pour assurer l'approvisionnement ou la production. Les montants en jeu se chiffrent en milliards, voire en centaines de milliards d'euros. Selon les experts, d'ici à 2030, ce sont plus de 700 milliards de dollars qu'il faudra investir dans les secteurs énergétiques simplement pour satisfaire la croissance de la demande mondiale puisque, dans vingt-cinq ans, la population de la planète aura augmenté de 25 %.

Les acteurs de l'énergie sont donc engagés dans une course à la taille pour s'assurer l'indispensable capacité d'investissement en amont. Car, pour pouvoir satisfaire les besoins, il faudra investir massivement en amont. Il faudra donc avoir des entreprises qui ont la capacité et les bilans pour le faire. Les montants en jeux sont considérables. Cette course, il faut avoir le courage de le dire, se déroule aujourd'hui et personne ne peut dire comment elle se terminera.

Pour répondre aux enjeux stratégiques de l'énergie, nous menons de longue date une politique ambitieuse et volontaire. Nous avons conduit avec le Gouvernement, en particulier avec François Loos, des actions très vigoureuses pour répondre aux défis des prix du pétrole, pour favoriser les investissements dans les outils de production d'électricité, pour répondre aux enjeux des hydrocarbures chers - notamment en encourageant les sources d'énergie alternatives -, pour développer des filières complémentaires, en particulier le bioester ou le bioéthanol qui ont été vigoureusement activés au cours des dernières semaines, mais aussi pour développer des programmes ambitieux en ce qui concerne la maîtrise de la consommation d'énergie.

L'action des gouvernements de Jean-Pierre Raffarin et de Dominique de Villepin dans le domaine énergétique a, depuis quatre ans, été ambitieuse et exemplaire. Elle s'est concrétisée par deux lois essentielles déjà adoptées par le Sénat.

La loi du 9 août 2004 a permis à EDF et Gaz de France d'être en mesure de saisir les opportunités stratégiques liées à l'évolution des marchés de l'Europe de l'énergie, en les dotant d'un statut qui leur permet de faire face aux défis du monde nouveau.

La loi du 13 juillet 2005 a établi la feuille de route de notre politique énergétique, centrée sur la maîtrise de l'énergie et sur le développement de capacités de production d'énergie nouvelles renouvelables, mais aussi d'énergie nucléaire avec la décision de construire en France une centrale nucléaire de troisième génération, l'EPR.

Enfin, la loi relative à la transparence et la sécurité en matière nucléaire, qui est en cours de promulgation, ainsi que le projet de loi sur les déchets radioactifs, qui est discuté cette semaine en deuxième lecture, permettront de renforcer et de compléter ce cadre réglementaire.

Nous conduisons, comme je viens de le rappeler, une action volontariste à grande échelle. J'insiste sur le fait que je mène ce combat avec détermination, au nom de la France, au sein des institutions internationales dans lesquelles j'ai l'honneur de représenter le Gouvernement français, que ce soit l'Eurogroupe, l'ECOFIN ou le G7, afin d'établir des relations beaucoup plus étroites avec les pays producteurs et, ainsi, de mieux anticiper et évaluer l'offre et la demande.

J'évoquerai maintenant l'entreprise Gaz de France.

Certes, Gaz de France détient un potentiel formidable de 11 millions de clients.

Certes, Gaz de France dispose, avec ses 30 000 salariés, auxquels je tiens à rendre hommage, d'une capacité humaine et de savoir-faire unanimement reconnus.

Certes, Gaz de France bénéficie de contrats d'approvisionnement à long terme qui ont été négociés avant la hausse récente du prix du pétrole et qui lui assurent, pour le moment, une sécurité d'approvisionnement.

Certes, Gaz de France dispose d'un réseau de transport, d'un savoir-faire reconnu auprès des collectivités locales françaises et d'une image forte auprès des Français.

Certes, Gaz de France a tout cela, mais il faut, mesdames, messieurs les sénateurs, voir la réalité.

Gaz de France n'est un acteur dans le gaz qu'en France et ne représente que 14 % des ventes de gaz en Europe. À l'échelle européenne, quelles que soient ses qualités intrinsèques sur le territoire national, l'entreprise ne sera qu'un acteur de petite taille.

Gaz de France n'est que le distributeur d'un gaz qu'elle achète. Son activité de production est très faible. Elle sera soumise, comme les autres distributeurs, à une forte pression lors de la renégociation de ses contrats. Sa taille moyenne ne lui permettra pas d'être en position de force lors des négociations très difficiles qu'il conviendra de mener pour assurer, tout simplement, ses missions premières, à savoir la sécurisation des approvisionnements énergétiques et la distribution à un meilleur coût auprès de ses clients.

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