Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, j'évoquerai ici un sujet beaucoup plus grave que la fin du pétrole : la nécessité absolue de préparer immédiatement la transition énergétique. En effet, le dérèglement climatique, puisqu'on ne parle plus de réchauffement, « coûte » d'ores et déjà 1 % du PIB mondial, dont plus de 200 milliards de dollars par an actuellement pour les États-Unis.
Ce chiffre va décupler d'ici peu. Une étude, qui s'appuie sur une hypothèse basse du Groupe d'experts international sur l'évolution du climat, alors qu'on se réfère aujourd'hui à l'hypothèse haute, prévoit que, dans les années 2050, le coût pour les seuls États-Unis sera de 2 000 milliards de dollars par an. Dans les années 2030, 3 % du PIB mondial seront consacrés à essayer de réparer les conséquences des catastrophes climatiques !
Si l'on y ajoute le coût de l'augmentation du prix du pétrole, qui est de l'ordre de 1 % à 1, 5 % du PIB mondial, les pays industrialisés auront l'équivalent de 4, 5 % du PIB mondial en moins pour leurs investissements, soit un taux plus important que celui de la croissance européenne. Les puissances occidentales, en tout cas celles qui ne produisent pas de pétrole, seront donc confrontées à un problème financier grave : il n'y aura plus d'argent pour investir dans les filières économes en énergie, pour capter et séquestrer le CO2 et pour amorcer la transition énergétique.
Par conséquent, il faut agir tout de suite. Dans dix ans, il sera trop tard, comme l'a écrit le grand savant australien Tim Flannery dans un ouvrage qui est désormais le livre de chevet de Tony Blair et d'Al Gore.
En France, le « plan climat » prévoit une transition énergétique, qui est indispensable et urgente. Je rappelle qu'il s'agit de diviser par quatre les émissions de CO2.
Nos filières électronucléaire et hydroélectrique nous permettent de l'envisager, alors que beaucoup d'autres pays ne le peuvent pas. La France, qui dispose de tous les outils nécessaires, peut devenir un modèle en matière d'économies d'énergie, de captation et de séquestration du CO2à la source pour les centrales et industries lourdes, de biocarburants, de stockage d'électricité en batteries, d'énergie photovoltaïque ou provenant des éoliennes, d'oxycombustion, d'usage des TIC pour l'aménagement du territoire, de diminution du « tout automobile », de développement du ferroutage, de l'augmentation du nombre de bâtiments zéro énergie, ou d'isolation, grâce à Saint-Gobain. La France peut et doit servir de modèle au monde, comme au siècle des Lumières.
L'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques, présidé par notre collègue Henri Revol, va présenter, le 29 juin au Sénat, un rapport pour lequel nous avons procédé à plus de 300 auditions à travers le monde, notamment en France, en Allemagne, aux États-Unis, en Chine et au Japon. Un des sous-titres est « Alerte rouge, une action urgente ! », car nous allons dans le mur !
Cela me paraît beaucoup plus crucial que la nécessité pour la France d'avoir des champions. C'est certes important et nous sommes heureux de les avoir dans les domaines nucléaire, pétrolier, ou gazier. Mais, en même temps, une mobilisation nationale devrait nous permettre de devenir aussi le champion de la transition énergétique. Si nous ne commençons pas par être les meilleurs dans ce domaine, personne ne nous écoutera lorsque nous dirons aux autres de faire comme nous. Nous devons, par exemple, être aussi bons que les Allemands dans les domaines du photovoltaïque et de l'isolation des bâtiments. C'est possible !
Le rapport de l'Office comprend de nombreuses suggestions, comme accroître l'effort de recherche dans les domaines liés à la transition énergétique. Pour les financer, nous proposons d'augmenter régulièrement la TIPP de 1 % par an. Il faudra expliquer que l'énergie ne peut être bon marché et se préparer à ce qu'elle soit de plus en plus chère. Une partie de ces recettes supplémentaires doit aussi pouvoir être utilisée pour aider les plus démunis.
Nous suggérons la création d'une « vignette carbone », dont les bénéfices seraient de l'ordre de deux milliards d'euros par an, l'augmentation de la TIPP rapportant à peu près le même montant. Ces ressources financeraient, pour l'essentiel, l'organisation de la recherche et les incitations fiscales, de façon à faciliter la transition énergétique, ce qui permettra de diminuer la charge de l'augmentation inéluctable du coût de l'énergie pour tous et créera des emplois.
En même temps, nous proposerons une structure interministérielle nouvelle et des actions internationales fortes, notamment vis-à-vis de l'OMC. Le commerce mondial est devenu inéquitable, c'est anormal ! Les pays qui dépensent de l'argent pour appliquer le protocole de Kyoto, et qui, pour certains, vont même plus loin que les objectifs fixés, sont en concurrence avec d'autres qui ne l'appliquent pas et qui ont, par conséquent, des coûts de production diminués, tout de profitant des efforts des autres. Cette situation est injuste et intolérable.
Ce point me paraît important pour que la France et l'Europe adoptent de concert une organisation nouvelle. Nous savons que la plupart des pays en voie de développement seront d'accord avec nous, car ils sont parmi les plus exposés aux désastres du changement climatique.
Ce travail, comme tous les travaux de l'Office, repose sur des données sérieuses, avec une stratégie à vingt ans, pour résoudre le difficile enjeu consistant à sortir d'une situation où 80 % de l'énergie consommée dans le monde est d'origine fossile, nous conduisant, dans moins d'une vingtaine d'années, à une impasse financière et à une catastrophe humaine.
Au-delà de l'incidence financière, en effet, les conséquences seraient dramatiques pour près de la moitié de l'humanité, qui vivra dans des régions à climat désertique, ou bien qui sera soumise à des inondations, à des typhons de plus en plus fréquents, ou encore qui sera confrontée à des problèmes insurmontables de migrations humaines concernant plus de un milliard d'individus.
La lutte contre le changement climatique est une nécessité. Il est essentiel, à l'occasion des débats sur la politique énergétique, de montrer que les temps changent, que nous avons su adopter longtemps à l'avance une position de transition énergétique favorable, afin de devenir un modèle pour le monde en ce domaine !