Intervention de Nicole Bricq

Réunion du 15 juin 2006 à 15h00
Politique énergétique de la france — Suite du débat sur une déclaration du gouvernement

Photo de Nicole BricqNicole Bricq :

J'ai donc étudié avec attention ce projet industriel et la manière dont il était présenté par les deux opérateurs, sous son plus beau jour, évidemment, puisque le mariage doit être célébré rapidement.

Ce projet permettrait le renforcement de la position concurrentielle en aval - 20 millions de clients en Europe -, le portefeuille d'approvisionnement en amont - j'insisterai sur les conditions dans lesquelles c'est prévu -, et un certain nombre de synergies opérationnelles.

Compte tenu de la part montante que représente le gaz naturel liquéfié dans le panier énergétique mondial, de la maîtrise des quatre terminaux - Zeebrugge et Boston pour Suez, Montoir et Fos pour Gaz de France -, de la puissance à négocier les prix de celui qui deviendrait l'un des premiers acheteurs mondiaux, des capacités de stockage, notamment de Gaz de France, et du réseau de transfert dont ce groupe disposerait, le tableau pourrait paraître séduisant ; mais il est incomplet, car il ne présente en fait qu'une facette du projet.

Ce projet, que j'ai bien étudié, présente quatre inconvénients majeurs, que je détaillerai rapidement.

Son premier inconvénient est d'être déséquilibré à l'encontre des intérêts de Gaz de France, qui disposait depuis plusieurs années, préalablement à toutes ces opérations, d'un véritable projet industriel. Gaz de France souhaitait investir son cash-flow en amont, c'est-à-dire dans l'approvisionnement, à hauteur de 15 %.

Rien ne garantit l'usage qui sera fait, dans le cadre de la fusion, de la trésorerie de Gaz de France, qui est une entreprise bien gérée.

Certes, vous l'avez dit, Gaz de France a un problème de taille, mais celui-ci peut être réglé autrement que par une fusion pure et simple avec Suez.

Il se trouve que, en 1999, j'ai remis au Premier ministre un rapport sur les conséquences de l'ouverture du marché, notamment sur le gaz. Ce n'est donc pas à moi qu'il faut donner une leçon sur le devenir des entreprises !

Concernant Gaz de France, j'avais effectivement préconisé, à la fin de mon rapport - un député de la majorité l'a évoqué lors du débat à l'Assemblée nationale, et c'est la raison pour laquelle j'en parle -, une ouverture du capital de Gaz de France, à partir d'un projet industriel qui le rapprochait de l'amont, compte tenu des risques géopolitiques pesant sur ses ressources. Je pensais à l'époque - cela fait longtemps, me direz-vous ! - que le rapprochement avec un pétrolier - les champs gazifières sont en général situés à côté des champs pétroliers - était plus intéressant.

Même si un certain nombre d'années sont passées, la solution que vous nous présentez aujourd'hui est à l'opposé : vous faites en sorte qu'une entreprise privée intéressée par le marché de l'énergie puisse récupérer, au moyen d'une fusion, tout ce qui fait la force de Gaz de France.

Je n'ai pas de leçon à recevoir non plus concernant la notion de patriotisme économique, que je trouve assez délirante. Dans une économie de marché, monsieur le ministre, c'est normalement aux entreprises d'assurer la meilleure gouvernance capitalistique ! Or on demande aujourd'hui à un groupe privé d'absorber un groupe public - c'est le terme qui a été employé -, alors que son actionnariat est fragile.

On en revient toujours à la même question : que demande-t-on aux capitalistes dans une économie de marché ? On leur demande de faire leur travail de capitalistes, c'est-à-dire d'investir à long terme plutôt qu'à court terme pour rémunérer leurs actionnaires.

On constate aujourd'hui une dichotomie. Ce capitalisme ne s'intéresse qu'aux profits, et pas aux investissements à long terme qui pourraient renforcer la pérennité d'un groupe. On demande ainsi aujourd'hui à Gaz de France de venir au secours d'une entreprise qui n'a pas su se constituer un capital qui ne soit pas opéable. On inverse donc le problème !

Le deuxième inconvénient majeur de votre projet, c'est qu'il crée une position dominante sur le marché du transit et des stockages en Belgique.

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