Intervention de Xavier Pintat

Réunion du 15 juin 2006 à 15h00
Politique énergétique de la france — Suite du débat sur une déclaration du gouvernement

Photo de Xavier PintatXavier Pintat :

... c'est-à-dire d'une remise en cause de la cohésion territoriale.

Le spectre d'une fracture électrique entre ruraux et urbains, entre territoires riches et territoires pauvres doit être chassé. Or les entreprises de fourniture d'électricité en situation de concurrence et sous contrainte de rentabilité iront vendre sur les segments de marchés les plus profitables, et c'est normal.

Le problème, c'est que l'éloignement, l'enclavement, la faible densité démographique ou les difficultés économiques d'un territoire peuvent être des facteurs décourageant les investissements commerciaux de ces fournisseurs dans les zones concernées ; l'offre commerciale y sera donc moins diversifiée et sans doute très sensiblement plus coûteuse que dans les grandes villes.

Plus inquiétant, on peut craindre des comportements analogues des deux nouvelles sociétés de distribution chargées de la gestion des réseaux de distribution qui, si elles sont aussi cotées en bourse, ne pourront se désintéresser de la rentabilité de leurs investissements.

Or, si ce nouveau contexte présente l'intérêt certain de stimuler la productivité des entreprises de distribution, il n'en reste pas moins qu'il y aura toujours des territoires structurellement non rentables pour lesquels la mise en place de garde-fous est une nécessité vitale, monsieur le ministre.

Il faut alors trouver le moyen de préserver absolument la cohésion territoriale du point de vue de la desserte électrique.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, l'électricité n'est pas un bien comme un autre. L'électricité n'est pas stockable. L'électricité est vitale et irrigue l'ensemble du territoire national. Il y a donc là une vraie notion de service public, à la fois national et de proximité.

Dans ce contexte, l'un des meilleurs moyens de maintenir cette cohésion est de renforcer les grandes intercommunalités, donc les grandes concessions, associant dans leur périmètre zones rurales et zones urbaines, territoires riches et territoires pauvres.

Il faut mettre la solidarité territoriale, dans le domaine de l'électricité, au coeur même de la coopération intercommunale.

C'est un élément d'équilibrage indispensable par rapport à l'ouverture à la concurrence, si l'on veut que les missions de service public de proximité, donc de contrôle, soient assurées dans les meilleures conditions.

Une autre observation liée au processus actuel d'ouverture à la concurrence porte sur la relation de proximité avec le consommateur. Celle-ci demeure irremplaçable dans le domaine de l'électricité et du gaz.

En ce qui concerne le réseau, la maîtrise d'ouvrage en zone rurale ne peut pas être portée efficacement par d'autres que les élus ruraux, qui sont en contact permanent avec les usagers du système électrique, notamment les plus vulnérables. Ainsi qu'on l'a vu en période de crise - je pense notamment aux tempêtes de décembre 1999 -, les difficultés se gèrent avant tout sur le terrain.

En ce qui concerne la fourniture d'énergie, il faut préserver la possibilité de bénéficier de tarifs administrés permettant au consommateur d'électricité de continuer à profiter du retour sur les investissements de la France dans l'énergie nucléaire.

En effet, il serait tout de même paradoxal que la France, qui a beaucoup investi dans les années soixante-dix dans le nucléaire et qui, par voie de conséquence, produit moins de CO2, moins de gaz à effet de serre que les autres pays dans le domaine de l'énergie n'en ait pas un juste retour sur sa facture d'électricité. Si nous n'y prenons garde, la France subira tous les inconvénients du nucléaire sans en retirer le moindre avantage.

À cet égard, je conseille de méditer l'exemple des États-Unis - ils ont ouvert le marché en février et fermé en novembre - et celui du Canada, qui a mis en place une commission de régulation veillant à la qualité et à l'investissement dans les réseaux.

La défense du petit et du moyen consommateur ne peut se résumer ni se limiter au maintien des tarifs administrés. Il faut également se préoccuper de la défense des droits du consommateur, en particulier dans les territoires éloignés des grands centres de décision.

Là encore, le consommateur doit pouvoir bénéficier de l'appui de proximité des autorités organisatrices de la distribution. Le règlement des difficultés rencontrées au quotidien par les petits consommateurs d'énergie de la Lozère, de l'Ardèche, de la Creuse ou même de la Gironde avec des fournisseurs qui vont de plus en plus souvent s'entremettre entre ces consommateurs et le gestionnaire de réseau doit être organisé au niveau local. Et si les collectivités organisatrices de la distribution publique d'énergie ne peuvent pas tout faire sur ce plan, elles peuvent tout au moins constituer un premier niveau d'interface avec le citoyen-consommateur, en l'informant, par exemple, sur ses droits, ce qui est déjà beaucoup.

S'agissant, enfin, du projet de fusion entre Gaz de France et Suez, pour lequel vous faites appel à la responsabilité de chacun, monsieur le ministre, je ferai deux observations liées aux préoccupations exprimées par les autorités organisatrices de la distribution publique de gaz et d'eau potable.

Tout d'abord, la volonté du Gouvernement de doter la France d'un second grand groupe énergétique ayant une réelle capacité de développement à l'international est parfaitement comprise.

Toutefois, la modification de la structure des entreprises concessionnaires ne doit pas produire d'effets négatifs sur la présence territoriale de leurs services. En particulier, GDF étant lié avec EDF dans le cadre d'un opérateur commun de réseaux, les collectivités concédantes veulent avoir une parfaite lisibilité sur la façon dont les moyens humains, matériels et financiers de cet opérateur seront préservés à l'avenir.

Il en va de la pérennité de la qualité de la distribution d'énergie.

Par ailleurs, il ne saurait être question d'une remise en cause des compétences des communes et de leurs groupements dans le domaine de l'énergie et de l'eau, en raison de l'évolution des structures des entreprises opératrices, qu'il s'agisse de fusions ou de filialisations.

Je pense en particulier au régime de propriété des réseaux, qui appartiennent aux collectivités ou à leurs groupements, et à la bonne exécution des contrats de concession ou de délégation de service public par le biais du contrôle. Un bon service public est un service public contrôlé au niveau de responsabilité sur lequel il s'exerce.

Les entreprises locales de distribution doivent, elles aussi, disposer des moyens juridiques et financiers d'assurer effectivement leurs missions, sous le contrôle des collectivités qui les ont créées.

Dans un monde où la bataille pour les approvisionnements énergétiques menace les équilibres mondiaux, je mesure avec gravité la portée du choix qui nous est proposé. Je crois important de souligner qu'un tel projet, pour réussir, ne peut faire l'économie de l'adhésion des syndicats, que vous avez qualifiés hier, devant nos collègues de l'Assemblée nationale, de partenaires sérieux.

Au-delà des engagements que nous avions pris, ce qui nous préoccupe tous, au fond, c'est l'exercice effectif d'une régulation publique performante.

Je vous sais sensible à cette attente, monsieur le ministre. Je ne doute pas qu'ensemble nous parviendrons à trouver le juste équilibre, car la perspective de porter un groupe français au quatrième rang mondial de l'énergie mérite de dépasser toute approche partisane.

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