Intervention de Dominique Voynet

Réunion du 15 juin 2006 à 15h00
Politique énergétique de la france — Suite du débat sur une déclaration du gouvernement

Photo de Dominique VoynetDominique Voynet :

Plus le marché s'internationalise, mieux c'est en général.

Je n'évoquerai même pas le constat statistique fait depuis bon nombre d'années par tous les observateurs et les analystes économiques : il montre que les deux tiers des fusions échouent, au sens où la réunion de deux entreprises n'est pas plus performante que chacune d'entre elles prise séparément.

Une fusion, c'est aussi la rencontre ou le choc d'équipes, de traditions managériales, de culture d'entreprises.

Dans ce que vous nous proposez, je ne vois guère de traditions de services ou de clientèles, d'équipes, de formes de management compatibles entre elles.

Je ne vois rien non plus qui puisse améliorer la gouvernance, c'est-à-dire la démocratie dans l'entreprise, au moment où les conditions de départ d'un dirigeant du groupe Vinci reposent à nouveau la question du statut et de la responsabilité des managers : tout ça sent l'arrangement et la combine entre initiés.

Sur le fond, il me semble que ce que vous proposez va, de toute façon, exactement à l'inverse de ce qu'il faudrait faire.

L'avenir énergétique en Europe est à la constitution d'acteurs complémentaires, situés au plus près des consommateurs, qu'il s'agisse des industriels ou des particuliers, très réactifs, capables de pratiquer la diversification qu'imposent les enjeux écologiques et climatiques majeurs, adossés et mis en réseau par une puissance publique capable de mobiliser les capitaux nécessaires aux investissements de très long terme du secteur.

L'avenir est à la réduction de notre dépendance continentale à l'égard de toutes les matières premières énergétiques, tels le pétrole, le gaz, l'uranium. Cela passe en premier lieu par des économies d'énergie, par l'amélioration de notre efficacité énergétique, notamment dans le domaine des transports et dans celui de l'isolation des logements, qui constitue aussi une urgence sociale. Cela passe également par l'émergence d'un puissant secteur d'énergies renouvelables, par une fiscalité adaptée à ces exigences.

Quel plaisir d'entendre ce matin M. Laffitte plaider pour une mobilisation générale susceptible de préparer l'après-pétrole ! Je plaide à mon tour, après avoir tenté de la mettre en place en tant que ministre de l'environnement, pour l'instauration d'une taxe mixte carbone-énergie permettant de financer cette politique.

Évidemment, nous avons besoin pour aller dans cette direction d'un quart de siècle de transition, et c'est précisément dans ces vingt-cinq ans que vous vous apprêtez à bloquer le paysage, et de la pire façon qui soit. Vous le partagez en effet entre deux groupes français de taille mondiale, qui, d'ailleurs, vont se faire concurrence, y compris sur le marché du nucléaire, deux groupes dont l'intérêt financier sera la croissance à court terme de la consommation énergétique, deux groupes qui n'ont aucune vocation à la diversification, et qui ne sont pourtant nullement à l'abri des aléas des marchés financiers internationaux.

Vous nous parlez de projet industriel. Mais rien dans ce qui est connu aujourd'hui ne justifie, du point de vue écologique, une préférence pour l'alliance de Suez avec Gaz de France plutôt qu'avec Enel.

J'ai beaucoup de doutes, dans les deux cas, sur la compatibilité du métier d'énergéticien avec celui de spécialiste des questions d'environnement : les clients, les technologies, les rythmes d'investissement, dans les deux cas, ne sont pas identiques. Si j'étais syndicaliste aujourd'hui, je n'aurais pas plus confiance dans la signature de Suez pour maintenir les emplois de l'eau ou du déchet que dans celle d'Enel.

J'ai beaucoup de doutes sur la capacité de l'une ou l'autre des configurations à favoriser l'innovation, la concurrence, la qualité des services, sans même parler des prix pour les consommateurs. Je ne vois d'ailleurs pas en quoi ce projet permet une véritable amélioration de la performance verticale quant à la production, le réseau, la vente ou les complémentarités géographiques.

Quel sera le bénéfice pour le consommateur ? Comment cela contribuera-t-il à la compétitivité de notre industrie, dont les PME seront de plus en plus durement touchées par la hausse des prix de l'énergie ?

Rien de convaincant non plus n'est dit sur ces enjeux de long terme, déterminants pour l'avenir de notre économie.

Or, tout changement structurel aussi profond que celui qui nous est proposé doit reposer sur une vision économique et politique explicite, avec des objectifs clairs et évaluables. Faute de quoi, il ne subsiste qu'une simple manoeuvre entre groupes d'intérêts particuliers.

J'ai par exemple beaucoup de doutes quant à la capacité de l'un ou l'autre de ces attelages à contribuer à la mise en oeuvre d'une stratégie de réduction massive des émissions carbonées dans la production, mais aussi au changement de comportement des consommateurs.

Il s'agit plutôt de profiter de la rente énergie et des profits somptueux qu'elle offre de façon très temporaire. Et après cela, le déluge !

Dans les deux cas, nous avons affaire non pas à de vraies propositions industrielles, pensées à la fois à l'échelle locale et à l'échelle européenne, mais à des opérations financières réalisées au profit des noyaux d'actionnaires les plus forts et satisfaisant l'une ou l'autre des catégories de dirigeants d'entreprises les plus liés aux droites européennes en place depuis cinquante ans.

Ce serait le moment, pour lors, de parler de « pôle de compétitivité et d'efficacité énergétiques » ! Mais sur ce sujet comme sur les questions d'environnement, je ne vois rien venir.

Monsieur le ministre, mesdames, messieurs les sénateurs, comme nul n'est obligé de choisir entre de fausses solutions, que l'on présente comme les seules possibles, je préfère que l'on ne dépouille pas la puissance publique de sa capacité d'intervention sur le terrain de l'énergie et que l'on réforme profondément l'existant plutôt que d'accompagner, pour d'obscures raisons de copinage industriel, des opérations de fusion plus ou moins aventureuses.

À l'évidence, la privatisation que vous engagez aujourd'hui est une arme pour pousser demain à celles d'EDF et du parc nucléaire français.

C'est la raison pour laquelle vous devez savoir que nous nous mobiliserons contre votre projet. Cela ne vous émeut pas, mais gardez vous bien, car, dans un autre contexte, ce même gouvernement avait traité avec une égale désinvolture les réticences qui annonçaient les risques d'une autre réforme concernant l'emploi : on sait ce qu'il en est advenu quelques semaines plus tard. Si j'étais vous, j'avancerais donc avec prudence dans cette affaire.

En conclusion, je tiens à protester énergiquement contre les conditions dans lesquelles s'opère le déclenchement de l'enquête publique sur le réacteur EPR.

Il aura fallu moins d'une semaine - contre parfois des mois pour l'instruction du dossier d'une simple éolienne -, du 15 au 19 mai derniers, pour que le Premier ministre demande à la préfecture de la Manche de déclencher l'enquête publique, pour que le préfet identifie et nomme les trois commissaires enquêteurs et organise son dispositif à des dates très propices : du 15 juin au 31 juillet, entre la Coupe du monde de football, le baccalauréat et les vacances scolaires.

Cette enquête publique est par ailleurs organisée sur une zone limitée à dix kilomètres, soit dix-huit mairies. Elle est particulièrement restreinte puisqu'elle ne couvre même pas l'intégralité du département de la Manche et exclut de facto les plus grandes agglomérations. Gageons que le dossier présenté au public sera particulièrement exhaustif, qu'il traitera toutes les questions cruciales liées à la sûreté et à la sécurité.

Monsieur le ministre, je vous demande de relayer cette protestation auprès de M. le Premier ministre. La démocratie a un prix : ne le galvaudons pas !

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