Monsieur le ministre, à nouveau nous allons essayer de vous convaincre - nous ne perdons pas l'espoir d'y parvenir ! - que, s'il était nécessaire d'aborder la question de l'immigration, ce projet de loi n'est certainement pas celui qui était attendu.
Loi après loi, les conditions de l'immigration, les conditions de l'intégration, puisque les deux termes figurent dans l'intitulé du projet de loi, sont loin d'être celles que nous aurions pu espérer. Les conditions du regroupement familial, en particulier, n'ont cessé de se durcir. Elles sont déjà extrêmement difficiles à remplir, au point que certaines familles sont contraintes, pour pouvoir être réunies, à ne pas passer par la procédure prévue tant celle-ci est longue et complexe.
Parmi ces conditions à la fois injustes et contre-productives, on trouve notamment l'obligation pour un migrant étranger de ne recourir à la procédure de regroupement familial que s'il désire faire venir la totalité de sa famille alors même que, pour diverses raisons, souvent familiales ou économiques, il désire n'en faire venir qu'une partie. Ainsi, des Maliens, des Sri-Lankais, des Marocains... qui ne désirent faire venir qu'un fils, une fille ou, tout simplement, leur femme ne peuvent pas utiliser cette procédure légale : ils sont alors forcés de passer par des voies détournées.
Après une première loi, en novembre 2003, dont nous attendons d'ailleurs toujours le bilan, vous passez avec ce projet de loi à un palier supérieur.
Actuellement, entre le moment où un migrant étranger entame une procédure de regroupement familial et celui où enfin arrive sa famille, il peut se passer jusqu'à trois ans. Votre projet de loi tend aujourd'hui à allonger encore ces délais, puisque l'étranger ne pourra déposer sa demande de regroupement familial en faveur de son conjoint ou de ses enfants qu'au bout de dix-huit mois.
Autre élément ouvrant la porte à l'arbitraire, le regroupement familial, aux termes de l'article 31 du projet de loi, pourra être refusé si le maire juge que le migrant étranger établi dans sa commune et qui souhaite faire venir sa famille ne se conforme pas aux principes régissant la République française.
Arbitraire, disais-je. En effet, qu'est-ce que les principes, qu'est-ce que les valeurs de la République française ? Ne s'agit-il pas des valeurs universelles ? Ne sont-elles pas ces grandes valeurs pour lesquelles nos parents parfois se sont battus, pour lesquelles nous-mêmes aujourd'hui continuons, ici ou ailleurs, à nous battre, parce que nous voulons les voir vivre et déclinées dans leur réalité : la solidarité, par exemple, les libertés... ?
Les conditions de ressources et de logement sont durcies. Les députés se sont même prononcés en faveur de la modulation des ressources selon la composition de la famille et pour la prise en compte de la taille de la famille et de la région d'installation dans les conditions de logement. De plus, le conjoint et les enfants mineurs entrés en France à la suite d'un regroupement familial devront attendre trois ans pour pouvoir solliciter une carte de résident, délivrée selon le bon vouloir du préfet.
Après avoir été portés à douze mois, les délais pour pouvoir solliciter un regroupement familial passent ainsi à dix-huit mois. S'agissant des cartes de résident, les enfants ou le parent rejoignant, qui devaient attendre un an, puis deux ans pour pouvoir les demander, devront désormais patienter trois ans.
Enfin, dans la même logique de généralisation de la suspicion sur le mariage, la personne entrée en France par regroupement familial sera dans une situation de totale dépendance à l'égard de son conjoint puisque, si le couple se sépare, même plusieurs années après le mariage, elle se verra retirer son titre de séjour. Par une telle mesure, le Gouvernement entérine la dépendance des femmes étrangères, qui seront, mécaniquement, plus touchées que les hommes : vous le savez, 80 % des conjoints qui viennent en France dans le cadre du regroupement familial sont les épouses.
L'impossibilité de retirer le titre de séjour en cas de violences conjugales ou si le couple a des enfants atténue bien sûr les effets dévastateurs de cette disposition, mais les atténue seulement.
Le durcissement extrême des conditions du regroupement familial aura pour conséquence directe de créer des sans-papiers supplémentaires, alors que les personnes concernées ont vocation à vivre en famille en France.
Une fois de plus, les restrictions au droit au regroupement familial, c'est-à-dire au droit de vivre en famille, sont tout simplement en contradiction par rapport aux engagements internationaux et aux conventions européennes que la France a par ailleurs ratifiés.