Avec l’article 8 du projet de loi ordinaire, nous abordons la disposition dont la portée est sans aucun doute la plus grave, car elle touche finalement aux principes et aux conditions mêmes d’existence et d’épanouissement d’une société démocratique.
En effet, non seulement ce projet de loi tend à organiser, sur le seul fondement d’une décision arbitraire du Président de la République, la dépendance économique de l’audiovisuel public vis-à-vis de l’État, ce à quoi la commission Copé s’était d’ailleurs plus ou moins pliée, mais encore il impose la subordination des dirigeants de la radio et de la télévision publiques au gouvernement en place en prévoyant que ces derniers seront choisis par le chef de l’État.
Je le rappelle, la commission Copé avait écarté cette hypothèse, car elle estimait qu’il était nécessaire de conserver à France Télévisions « sa spécificité que le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de réaffirmer ».
Mme Blandin a eu raison de rappeler la position qu’avait adoptée la commission des affaires culturelles du Sénat, alors présidée par Jacques Valade, sur la nécessité de désigner de manière plus démocratique qu’aujourd’hui le président de France Télévisions. Comme nous, elle jugeait que son mode de désignation actuel était non seulement perfectible, mais encore hypocrite.
Au lieu de progresser sur la voie de la démocratie, on revient en arrière.
Cette disposition, le Président Sarkozy l’a voulue au mépris d’un des principes les plus essentiels de la démocratie, la liberté de la presse, qui, dans une société moderne, n’est rien sans son indispensable corollaire, l’indépendance des médias.
Si cette disposition est intrinsèquement grave, c’est que, pour citer Pierre Rosanvallon, intellectuel qui s’est exprimé récemment sur les atteintes que le gouvernement actuel portent aux libertés civiles et politiques : « La liberté de la presse n’est pas simplement une liberté individuelle […]. Elle est une composante structurante de la vie démocratique. Elle participe du fonctionnement même de la démocratie. Elle est ainsi à la fois une liberté publique, un bien collectif et un rouage démocratique. »
En voulant institutionnaliser la subordination à son autorité des dirigeants des sociétés publiques de radio et de télévision, le Président de la République ignore délibérément, comme certains le font dans le présent débat, la spécificité de ces entreprises, que reconnaissait la commission Copé.
Je laisse à nouveau la parole à Pierre Rosanvallon : « Dans le débat actuel sur la nomination des présidents de l’audiovisuel public, il y a une [...] précision qu’il est essentiel d’opérer : il faut bien distinguer les conditions de gestion d’un bien public conflictuel – un bien dont la présomption de gestion partisane détruit le caractère public – et celles de la direction d’une entreprise publique – déterminée par des catégories d’ordre gestionnaire. C’est pour cela que nommer un président de chaîne de télévision n’est pas de même nature que nommer le président d’une entreprise ferroviaire. Il faut ainsi dénoncer la rhétorique qui entretient cette confusion. De même qu’il faut dénoncer la confusion parallèle entre la notion de décision politique et celle de nomination à une fonction de gestion d’un bien public conflictuel. Un pouvoir élu est évidemment toujours fondé à prendre une décision politique. Il a été élu pour cela, pour trancher entre des options différentes, faire des choix. Prendre parti est en la matière de l’essence même de sa mission et de l’exercice de sa responsabilité – qui sera sanctionnée par une éventuelle tentative de réélection. Mais il y a des domaines où il faut au contraire s’abstraire de cette logique. Ne pas le reconnaître, ce serait finir par justifier le droit à épurer librement l’administration et rompre avec la notion même de service public. »
Pierre Rosanvallon a précisé les termes du débat. Il s’agit non pas d’un débat manichéen, mais d’un débat qui est plus profond que celui qui s’est instauré au Sénat. J’appelle chacun à relever cette contradiction. Il faut aller plus loin, ne plus considérer qu’il est normal que le pouvoir politique nomme le responsable d’un média audiovisuel comme il nomme le président de la SNCF.